Il est intéressant de noter que « Violent cop » ne devait pas, à l’origine, être réalisé par Kitano, ce dernier n’en étant que l’acteur principal ; mais il s’est retrouvé à la tête du projet après le désistement du scénariste et metteur en scène initial, Kinji Fukazuku, spécialiste du polar violent, genre très populaire au Japon depuis les années 80. En prenant en charge la réalisation du film, Kitano va totalement le détourner de ses intentions de départ. Ce détournement passe par la mise à mal d’un problème formel essentiel à la réalisation de tout film de genre, à savoir la représentation de la violence.
Ce qui est normalement un signe d’appartenance au genre va devenir un signe du détournement de celui ci. En prenant ses distances avec cette violence, en la rendant dérisoire, en la dédramatisant, Kitano se démarque de la production classique inspirée du modèle Hollywoodien et contribue à la création d’un univers personnel.
Ainsi, il fait surgir la violence du calme ambiant, la rendant absurde par son apparente gratuité. L’absence de mise en spectacle de cette violence nous en fait oublier les enjeux, si enjeux il y a. Et cette gratuité est à la base de l’humour visuel présent dans Violent cop. Nous réagissons face à une violence complètement cynique en la prenant au second degré. Quand Azuma (le flic) écrase un criminel au volant d’une voiture, il reste totalement apathique. Cette impression atteint son apogée lors de l’affrontement entre Azuma et Kihiro (le yakuza) lorsque ce dernier abat accidentellement une passante sous les yeux de son amie apeurée, sans manifester la moindre émotion. La froideur des personnages face à la violence crée l’absurde des situations. Cette froideur est explicable par le fait que chez Kitano, la violence est inhérente aux personnages, c’est une partie intégrante de leur fonction. Donc, pour Azuma comme pour Kihiro, la violence ne se justifie pas, elle est une caractéristique naturelle de leur être. La violence d’Azuma est un moyen d’expression, comme lorsqu’il questionne un suspect dans les toilettes d’une boîte de nuit : chaque question est véritablement ponctuée par la violence du policier ; de même quand il « discute » avec un amant de sa soeur.
Mais si la violence est dispensée aussi froidement, elle est également reçue avec la même froideur par Azuma. Ce dernier regarde sans sourciller ses collègues se faire passer à tabac et encaisse plusieurs balles sans être stoppé une seule seconde. La violence est totalement assumée dans les deux sens par le personnage de Kitano et contribue à lui donner un caractère totalement inhumain. On retrouve cette inhumanité également dans la mise en scène lors, par exemple, de l’affrontement entre un policier et un forcené armé d’une batte de base ball, où Kitano va jusqu’à utiliser le ralenti (procédé de dramatisation par excellence) pour accentuer la froideur de la violence représentée et nous montrer l’incapacité du policier à stopper cet homme.
Kitano filme les victimes et presque jamais les bourreaux, comme dans la scène d’ouverture où l’on ne voit que le clochard qui subit les violences des adolescents, ou lorsque Azuma roue de coups Kihiro. Car si Azuma subit la violence sans manifester de douleur, les autres personnages n’endurent pas la souffrance avec le même stoïcisme. Ainsi Kitano nous montre ces victimes comme si leur condition étaient inéluctable.
On observe dans Violent cop que la violence instaure une hiérarchie : celui qui s’en sert est celui qui détient le plus d’ascendant sur les autres. Ce trait que l’on retrouve dans beaucoup de films de Kitano (particulièrement exploité dans Boiling point où le héros est véritablement en quête de violence) nous montre le caractère primitif de son univers et de ses héros, amenés à disparaître car le monde change. Kitano montre la fin de la violence en filmant la mort de la principale figure de ses films, à savoir Kitano l’acteur.
La violence n’est sous le poids d’aucune morale et en nous la montrant aussi crûment, Kitano la dénonce du même coup. Bien sûr, l’intérêt majeur de Violent cop ne réside pas dans cette dénonciation, mais la représentation de la violence selon Kitano est désormais devenue un des traits principaux de son cinéma, en tout cas l’un de ceux les plus visibles. Violent cop est la véritable genèse d’une nouvelle forme de violence dans un cinéma de genre réinventé.