Suite des aventures festivalières de notre envoyé spécieux Jérôme Laperruque sur le front des rassemblements rock de l’été. Après la furia de Benicassim, la star des bloggers s’offre farniente catholique et plagisme bobo à Saint-Malo, pour la Route du Rock. Au taquet !
Jour 1 : Immatriculée conception
Le cul à peine posé sur la plage du Sillon, je jette un rapide coup d’oeil circulaire. Après une semaine toxicomane à Benicassim entouré d’Espagnols bruyants, il est bon de retrouver Saint-Malo, et la rassurante présence des familles bien-pensantes en bermudas bleus et pull Saint-James. « Jean-Matthieu, Corentin, allez mettre l’emballage de votre crème glacée dans la poubelle im-mé-dia-te-ment, la régate va bientôt commencer ! » Nous sommes le 15 août, et je suis au milieu de la France éternelle, celle qui visite les cathédrales et milite contre l’avortement. Le vent se lève légèrement, et je savoure le petit frisson qui me parcours. Je suis en descente, et mon habituel côté « rentre-dedans » a laissé place à une émotivité intériorisée et contemplative. Je viens de passer ma première nuit de sommeil, après sept jours de débauche extrême, et je regarde le monde avec tendresse, même si je comprends que je n’y ai aucune place. Le sentiment d’appartenance se mérite : il faut se doter de parti-pris idéologiques, être militant, être anarchiste, être artiste ou être religieux, mais surtout ne pas se contenter, comme moi, d’une appréciation molle du monde dans son unité. Et puis aujourd’hui, c’est l’assomption, Marie monte au ciel, je mange des moules marinières arrosées de muscadet, avant d’entamer ma procession jusqu’au bar VIP du fort. Surtout ne pas interpréter les embrassades fraternelles des attaché(e)s de presse comme la preuve d’une quelconque appartenance, juste boire, boire encore et aller regarder le joli concert de Cyann & Ben. Les français réussissent à captiver les premiers festivaliers en créant une ambiance atmosphérique et religieuse : le jour décline lentement, les voix fragiles s’appuient sur les basses sourdes et liées, et Marie prend place tranquillement à la gauche de Dieu, créateur du SM 58, du Roland Juno, des moules et des frites. Le calme post-orgasmique qui s’en suivra sera vite bouleversé par les canadiens de Broken Social Scene, sorte de collectif désordonné dont la ligne éditoriale semble être « tout et n’importe quoi ». La surprise passée, on passe à la surprise suivante, et puis ce n’est plus une surprise du tout, d’être surpris tout le temps, alors on retourne au bar, avec Christophe de Pias et tous les autres qui supportent poliment ma présence. Je suis bourré, Wilfried me manque, mais cette phrase me revient brutalement : « Chacun aspire, de temps à autre, à la bonace ». Bonace, terme marin oublié, prend tout son sens ici, à proximité de la cité corsaire, et à proximité de cette petite traductrice brune, à qui je prends la main pour aller prendre un bain de gros son devant M83, qui confirment la puissante efficacité de leur nouveau line-up rythmique. Ensuite, les rockers de HoggBoy font leur show, et semblent remporter l’adhésion du public, alors que je sirote des Mojitos avec Cyann & Ben. Ensuite, les rockers de Death In Vegas font leur show, et semblent remporter l’adhésion du public, alors que je sirote des Whisky-Coca avec Hoggboy. Ensuite, le monde s’évanouit et je ne peux plus rien siroter. Dans les loges, j’embrasse une fille avec un turban rouge, puis m’écroule sur le sol. Quelqu’un me porte jusqu’à ma couche, je monte au ciel escorté par les anges, évitant ainsi la corruption du tombeau. Vêtu de mon manteau de lumière, je pénètre ainsi dans la gloire des cieux, sans avoir connu le pêché de chair. Demain, peut-être.
Jour 2 : Gay Bar
Moulé dans ses t-shirts trop petits, il est la hype de Saint-Malo à lui tout seul : Fifi, le charismatique propriétaire de la Marie-Galante, sorte de Rhumerie-electro-lounge située en plein coeur de la ville Intra-Muros (c’est à dire en plein tourist-land), est LA star gay malouine. Ancien Jet-setter international et nouveau Jet-setter local, Fifi a le cran de ne pas jouer la carte de l’attrape-vacancier : toute l’année, il s’évertue à faire vivre la cité en proposant une programmation électronique correcte, qui a en tout cas le mérite d’exister dans une ville qui se désertifie hors saison. Cette année, les Djs anglais des labels Sub:ject et BTM nous bercent pendant que nous sirotons des gins et des cocos lopez en draguant mollement la touriste. J’embrasse vaguement une anglaise à la peau mate qui porte un t-shirt « White Stripes », et puis c’est l’heure de retourner au festival. Décidément, à chaque fois que je vois Black Dice, je suis complètement bourré. Cette fois, il n’y a pas Jack Lang, et j’ai l’impression d’être le seul à aimer le concert. Autour de moi, j’entends les gens crier : « C’est de la merde ! » ou « On veut du rock ! ». Le son est pourtant terriblement envoûtant, je ferme les yeux et me laisse porter par les lentes progressions et les nappes bruitistes mais la musique s’arrête brutalement, et le groupe quitte la scène après seulement 20 minutes de concert, sans doute déçu de ne pas avoir réussi à captiver le public. Je m’en retourne, déçu moi aussi, commander un planteur au bar presse. Une grosse blonde me prend à témoin en vociférant : « Tu me donnes leurs machines, là, moi aussi je peux le faire, pas besoin de connaître la musique. » Une grande fatigue m’envahit. Je m’apprête à répondre quelque chose d’à propos quand on me tape sur l’épaule en hurlant « au taquet ! » : mon ami Luz est donc bien de la partie, une fois de plus, et m’emmène danser au concert de Hot Hot Heat, grosse claque rock’n’roll dans ma gueule, une énergie incroyable servie par des musiciens terriblement bondissants et ingénieux. Une heure de tubes potentiels, c’est punk, c’est pop, c’est suave, et le public crie, saute, transpire, hurle des refrains qu’il ne connaissait pas cinq minutes plus tôt. On est quand même bien, là, avec ma bande de potes trentenaires, à sauter comme quand on était enfant. Je suis repu de bonne énergie quand le concert des Yeah Yeah Yeahs débute, et là, je m’amuse nettement moins. La brailleuse se déchaîne, et tout semble construit autour de sa furie théâtralisée. Le public, en quête d’icônes destroy, se pâme devant ses grimaces et son short ras-le-bonbon. J’essaie de me droguer pour oublier que j’ai vu les 2 Many Dj’s environ dix fois cette année, mais il n’en est pas de Saint-Malo comme de Benicassim : ici, la drogue est de mauvaise qualité. Je m’enfile une série de pilules diverses, et aucune ne me fera assez d’effet : impossible de ne pas s’ennuyer en entendant une fois de plus Zongamin entre New Order et Nirvana. Trop de Dj’s tue le bootleg.
Jour 3 : J’irai cracher sur vos tongues
Les siestes musicales, organisées par l’équipe de La Route du Rock sur la plage de Bon-Secours, ne ressemblent guère aux Piratages et autres Cake & Milk, comme je me l’étais imaginé. A Saint-Malo, les siestes musicales sont surtout des siestes. Quand j’arrive, déjà bien entamé, avec le projet de danser fiévreusement avec des filles en maillot, le volume sonore de Bobby H. Liberace est très faible, et les filles en maillot végètent sévère sur leurs draps de bain. Je me rabats alors sur le Palais du Grand Large, ou officie Four Tet, sorte de petit génie en t-shirt orange, qui réussit à faire de subtiles expérimentations sonores sans être intelli-chiant. Il déstructure en temps réel des samples lumineux, et joue avec la frustration du public, qui ne peut pas secouer la tête très longtemps sur le même beat. Il y a des gens couchés, des gens assis, des gens debout et la grande baie qui s’ouvre sur la mer rend ce moment intense et infini. La jolie petite rousse à côté de moi décide de me prendre la main. Je la regarde en souriant. Plus tard, je retourne sur la plage, mais rien n’a changé, mis à part le Dj. Thomas Morr fait un bon mix, dansant et éclectique, mais personne ne bouge un orteil. D’ailleurs, quand la musique s’arrête, personne ne s’en rend compte. Le spectacle de ces plagistes agglutinés comme des otaries engendre dans mon cerveau un certain radicalisme. Moi qui d’ordinaire n’aime pas les free-partys, j’aurais presque envie qu’une bande de travellers en treillis camouflage gueule « On veut du son, fils de pute ! ». Suite à l’annulation de The Kills, Calla et Fat Truckers, le programme de la soirée au Fort ne ressemble plus à rien. Quand Buck 65 remonte sur scène (il avait déjà joué la veille), une dizaine de techniciens préparent déjà le plateau pour Manitoba (qui avait déjà joué la veille). Si l’ami Buck, sur le petit morceau de scène qui lui est alloué, n’a pas la fraîcheur et le charisme rock’n’roll de la veille, Manitoba, lui, semble plus à l’aise que dans l’étroit Palais du (Grand) Large, la nuit et la scène du Fort se prêtant davantage à son electronica rigolote. Puis les barbus de Grandaddy arrivent, toujours plus à la pointe de l’anti-glamour. Je les préférais avant, moi, les Grandaddy, quand leurs arrangements étaient à leur image, un peu cheap et un peu négligés. Ce soir, leur son est trop riche, trop rond. Mon petit coeur préfère Ms. John Soda, et Stefanie Böhm, sa basse, sa voix fragile et son investissement tout entier dans la prestation : on ne voit qu’elle, on est suspendu à chacune de ses syllabes, et toute la musique (en particulier les rythmiques subtiles de Micha Acher), semble n’exister que pour mettre la chanteuse en valeur et se faire oublier derrière elle. Tout comme Travis, qui semble n’exister que pour nous permettre d’aller au bar, ou pour offrir une séance de rattrapage à ceux qui n’auraient pas eu la chance de voir Bryan Adams en concert. Et puis, brutalement, le site se vide de son public, il ne reste que la fête au bar VIP, des gros mix fédérateurs, mon ivresse au milieu de mes amis et la réapparition magique de la petite-rousse-du-grand-large. Une dernière vodka-tonic, et puis encore une dernière pour me préparer à supporter dignement le romantisme de ce qui m’attend : c’est-à-dire la traversée hasardeuse d’un champ de gobelets vides et un accouplement bestial dans le confort sommaire d’une tente canadienne. Vive le Rock’n’roll.
Le festival La Route du Rock 2003 s’est tenu à Saint-Malo les 15, 16 et 17 août 2003.
Voir le blog de Jérôme Laperruque
Lire notre compte-rendu de Benicassim 2003