Qui dit Michel Gondry dit Björk. Victime d’un réflexe quasi pavlovien, le clippeur virtuose est à jamais associé à l’ex-Sugarcubes. Pourtant avec ses pubs et ses clips pour Beck, Daft Punk, etc., Michel Gondry est tout sauf monogame. Dernière infidélité en date : un long métrage jubilatoire, Human nature. Rencontre avec un artiste touche-à-tout, vidéaste, bricoleur et… cinéaste.
Chronic’art : Réaliser un long métrage, est-ce un désir que vous portiez en vous depuis longtemps ?
Michel Gondry : Disons depuis quelques années, mais je n’avais pas cette ambition étant enfant. J’étais surtout tenté par l’art graphique et l’animation. En fait, l’envie, je l’ai vraiment ressentie pour la première fois lors de la présentation, dans un cinéma à Londres, du troisième clip que j’ai réalisé pour Björk, Isobel. Sa projection sur grand écran m’a fait prendre conscience du pouvoir de l’image, des émotions qu’elle pouvait engendrer. Et là, je me suis dit qu’il n’y avait aucune raison pour que je ne réalise pas un film.
Quelles ont été vos inspirations cinématographiques pour Human nature ?
Je ne crois pas qu’il y ait eu d’influences directes mais plutôt des idées qui transpercent.
Il y a des choses qui m’ont nourri quand je faisais des clips : ceux-ci m’ont ensuite un peu servi de vivier d’idées pour mon film. J’ai, par exemple, réutilisé certains éléments de Human behaviour, le premier clip de Björk, lui-même inspiré en partie de La Nuit du chasseur. De là à dire que Human nature relève directement du film de Charles Laughton…
Le cinéma, ça veut dire une équipe plus importante, des budgets plus élevés, un tournage bien plus lourd et plus de compromis que pour un clip…
J’ai eu quand même pas mal de liberté pour ce film. A peu de chose près, l’équipe est la même que celle de mes clips. Mais c’est vrai qu’il y a plus de personnes à convaincre. Dans le clip, je travaillais d’instinct et, en général, les gens me faisaient confiance. Au cinéma, il faut « expliquer », dire aux acteurs pourquoi ils doivent faire ce que je leur demande, de même pour l’auteur et le producteur…
Le clip, c’est avant tout l’univers du muet. N’appréhendiez-vous pas le fait de diriger des acteurs professionnels ?
En fait, je me suis aperçu qu’il était plus facile de diriger des acteurs quand on a un texte à leur faire dire que lorsqu’il n’y a pas de parole. Un rôle qui ne doit passer que par des expressions ou la position du corps est bien plus abstrait. Le script était très bien écrit, les acteurs aimaient tous leur personnage et participaient donc à fond au projet.
Justement, qu’est-ce qui vous a attiré dans le scénario de Charlie Kaufman ?
Son originalité. Aux Etats-Unis, nombreux sont les scénarios qui essayent d’être originaux, mais ils ne le sont que de manière superficielle. Ce n’est pas le cas de Human nature, le film a beau être une comédie, je pense que l’on retrouve l’esprit un peu torturé de Charlie Kaufman, ses obsessions et ses névroses.
Comment l’avez-vous rencontré, c’est Spike Jonze qui vous l’a présenté ?
Oui, ils travaillaient alors ensemble sur Dans la peau de John Malkovich. On a échangé plein d’idées et il a commencé à écrire une histoire sur un sujet que je lui ai proposé. Entre-temps, il m’a fait lire d’autres scénarios dont celui de Human nature que j’ai beaucoup aimé. Je lui ai alors demandé de m’en confier la réalisation.
Au vu de vos clips on s’attendait à plus de délires visuels. Finalement, votre film est assez sobre. Aviez-vous peur de faire un film de clippeur ?
Il y avait un peu de ça, mais je voulais aussi contrebalancer le côté « extrême » du scénario. Comme j’avais déjà eu l’occasion de m’exprimer visuellement dans mes clips, j’ai préféré approfondir le travail avec les acteurs, privilégier leur jeu. J’avais envie de réaliser une histoire de manière assez classique, de faire progresser l’intrigue et les personnages.
Il faut dire que Charlie Kaufman possède un imaginaire très fort, ça ne doit pas être facile d’y intégrer son univers, d’apporter sa touche personnelle.
En effet, tout était déjà tellement bien ficelé qu’il était difficile d’y rajouter des choses visuelles sans qu’elles paraissent plaquées. On retrouve cependant des traits typiques de mon univers. Par exemple, quand Patricia Arquette chante dans la forêt, il y a ce plan -un véritable exploit technique- où l’on passe du studio aux décors naturels par le biais d’une rétroprojection faite devant la caméra. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de gens qui se prendraient la tête à faire des choses comme ça. Mais je n’ai pas pour autant essayé d’en mettre plein la vue.
Pourquoi ce besoin de mélanger prises de vue réelles et tournage en studio ?
Ce sont des choses qui me tiennent à cœur et que l’on ne voit pas vraiment dans les films. Le cinéma en studio est surtout utilisé pour son côté pratique et non pour son potentiel émotionnel. Je pense que lorsqu’on juxtapose images naturelles et studio, il se passe des choses assez intéressantes dans le cerveau, ça engendre une sorte de petit puzzle assez jouissif.
N’est-ce pas également une manière de créer un univers particulier qui n’appartient ni à la nature ni au studio ?
Il y a de ça. Ca permet surtout de refléter à l’extérieur ce qui se passe à l’intérieur des gens. Lorsque Patricia Arquette a un rapport très positif avec la nature, on a tourné en studio : c’est alors onirique, magique. Par contre, lorsque la forêt est vécue comme un univers hostile, on a tourné en décors naturels ; on sent alors que les pieds s’accrochent dans les fougères, qu’ils sont piqués par les feuilles.
L’autre alternance fondamentale du film est celle existant entre nature et culture, mais Human nature n’opte jamais réellement pour l’une ou l’autre.
On n’avait pas envie d’être philosophiques. On voulait amorcer des idées, laisser le soin aux spectateurs de réfléchir, de trouver ou non leurs propres réponses. L’objectif était surtout de faire une comédie à partir de problèmes humains, personnels : les sacrifices de Patricia pour être aimée, ou encore ce que l’on doit faire en société pour rencontrer une fiancée.
Vous semblez avoir une certaine sympathie pour les personnages hors normes, un peu « freaks ».
Ces éléments viennent surtout de Charlie. Mais les personnages malgré leur côté extrême se devaient de refléter des problèmes universels. Patricia, en dépit de son problème de pilosité, ne devait pas être vue comme un monstre. En choisissant une actrice très belle et très touchante, j’ai pu contrebalancer le poids de sa maladie, l’hirsutisme, de manière que l’on puisse s’identifier à elle.
Avez-vous modifié certains aspects du scénario de Charlie Kaufman ? On pense en particulier au personnage de Gabrielle. Son accent « frenchie », par ailleurs assez bluffant, était-il prévu dès le départ ?
Oui, c’était dans le scénario. On a auditionné beaucoup d’actrices, toutes ressemblaient à des Américaines imitant des Françaises. Seule Miranda Otto l’a fait d’une manière incroyable : juste la petite pointe d’accent qu’il fallait pour que ce soit drôle et en même temps touchant. C’est une excellente actrice, une sorte de Bette Davis des temps modernes.
Et le reste du casting ?
Avec Patricia Arquette, on avait fait un clip ensemble pour les Rolling Stones, et depuis on est restés amis. C’est une personne qui aurait pu être une énorme star mais qui a toujours privilégié le rapport humain. Elle n’a pas du tout le côté arriviste qu’ont beaucoup d’actrices hollywoodiennes. Je pense qu’elle a quelque chose d’unique : quand elle regarde quelqu’un dans les yeux, elle est vraiment dans le personnage, elle ne joue pas. Elle est très différente de Miranda, une actrice plus technique.
Votre vision de la nature semble également influencée par le cinéma d’animation.
Oui, surtout par le film de Youri Norstein, Le Petit Hérisson dans le brouillard. A un moment, le petit hérisson tombe dans une rivière et, au lieu de se débattre, il se laisse flotter. On voit alors la nature défiler sous ses yeux à partir de son point de vue. Ce film a retrouvé les sensations que l’on peut éprouver au contact de la nature avec des éléments très simples.
Pensez-vous déjà à un second long métrage ?
Je suis en train d’écrire un projet qui va me permettre de délirer un peu plus. C’est l’histoire de quelqu’un dont la vie est assez misérable et qui a un contrôle parfait de ses rêves. Mais finalement ce sont ses rêves qui prennent le contrôle et il reste bloqué à l’intérieur d’eux. Ce sera de nouveau avec Rhys Ifans qui jouera le rôle principal et Alain Chabat a l’air d’être d’accord pour faire son collègue de bureau…
Propos recueillis par et
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