Pierre Clémenti, acteur, poète et cinéaste, est décédé le 27 décembre dernier, à l’âge de 57 ans.
Certains artistes résument à eux seuls toute la modernité du cinéma, ayant su épouser les trajectoires les plus radicales, souvent au prix de leur popularité. Pierre Clémenti était de ceux-là, et, avec lui, c’est notamment une certaine idée de l’underground français qui disparaît. Aujourd’hui, des œuvres telles que La Cicatrice intérieure (Philippe Garrel) ou Les Idoles (Marc’O) seraient inconcevables. Dans les années 60-70, un film pouvait encore bénéficier d’un budget raisonnable tout en se concevant comme une expérience, avec tout ce que cela comporte d’idéal et de fragile, de liberté et de danger. Clémenti s’est ainsi lancé, toute sa vie durant, à corps perdu dans les projets atypiques, les formes filmiques les plus audacieuses, les aventures troubles et risquées. Quelques étapes n’ont pas été payantes (Les Cannibales de Liliana Cavani et Zoo Zéro d’Alain Fleischer ont, entre autres, très mal vieilli, l’un dans le registre de la farce politique lourdingue et l’autre dans celui de l’étrangeté surfaite), mais rarement une carrière aura été aussi remplie de fragments sublimes, au cœur de la plus indépendante des galaxies sur pellicule.
Morceaux choisis
Parce qu’il est impossible de résumer une filmographie, mieux vaut se souvenir, même partiellement.
– Belle de jour (Luis Bunuel, 1966) : Dandy martyrisant Deneuve qui, forcément, n’a d’yeux que pour lui. Manteau de cuir, dents en acier, regard de loup : le Cinéma de la cruauté personnifié.
– Les Idoles (Marc’O, 1968) : Rock star dégingandée et adulée avec déhanchements frénétiques, déchéance pathétique et exécution en règle. Qu’est-ce qu’une vedette ? Un corps qui ondule plus que les autres. Clémenti, plus fougueux que jamais, habité par une arrogance magnifique, entre deux grands compagnons de route, Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon. Une critique drôle et corrosive de la société du spectacle, avec Eustache au montage.
– Le Lit de la vierge (Philippe Garrel, 1969) : Christ tourmenté, près de Marie (Zouzou), le regard vers le ciel, hurlant à son père l’horreur du monde dans lequel il vient de naître (« Papa, descends un peu voir le merdier ! »). Les sentiers de l’utopie sont les plus difficiles à vivre, et, en l’absence de Dieu, il faut tout prendre en charge, toute la douleur des hommes, l’absurdité de la vie et l’errance permanente.
– Porcherie (Pier Paolo Pasolini, 1969) : Tandis que Jean-Pierre Léaud succombe à son amour pour les cochons, Clémenti pratique le cannibalisme avec une sérénité et une beauté sidérantes. L’essence de la subversion.
– Partner (Bernardo Bertolucci, 1968) : Le plus beau couple de cinéma possible : Clémenti et Tina Aumont font l’amour sur une chanson pop signée Morricone. Elle, des yeux peints sur les paupières, lascive et mystérieuse. Lui, plongé dans sa folie, hagard, en quête de soi.
– Le Pont du Nord (Jacques Rivette, 1981) : Une figure sombre de passeur fatigué, guidant Bulle Ogier dans un Paris où tout le monde se perd.
– Visa de censure (Pierre Clémenti, 1975) : Le cinéma selon Clémenti ? Expérimentations tous azimuts, flot lyrique d’images psychédéliques, traversées hallucinées de terres psychotropes, famille d’amis (Jean-Pierre Kalfon, Yves Beneyton) partageant le même voyage. Jamais l’éphémère n’aura été aussi prégnant : tout meurt, puisque tout est filmé ; et il ne reste plus qu’à rêver le passé ou, faute de mieux, le revisiter par le montage, en pleine crise mélancolique.