Avec les sorties des Contes de Terremer et « Amer béton », c’est l’occasion de faire l’état des lieux d’une animation japonaise en évolution depuis notre dossier « Au-delà de Miyazaki » (Chronic’art #18). Par un curieux tour de passe-passe, Miyazaki se retrouve encore en haut de l’affiche (gratifié d’un autre prénom), tandis que le modeste Studio 4°C tente une percée au-delà du cercle des initiés.
Entendu ici et là : « Tu as vu le dernier Miyazaki ? Euh, le dernier Ghibli, enfin, le premier film du fils Miyazaki… ». Une confusion renforcée par l’affiche française des Contes de Terremer, avec ses trois noms pour le prix d’un : « Après Hayao Miyazaki et Isao Takahata, le studio Ghibli est fier de vous présenter le premier film de Goro Miyazaki ». Un vrai faire-part de naissance, qui impose l’idée de continuité et de passage de flambeau (même si Miyazaki père se lance dans un nouveau projet). Le ton est donné : on est dans le familial. En revanche, ne cherchez pas de gros patronymes sur l’affiche française d’Amer béton ; seul celui de Taiyo Matsumoto apparaît, le film étant présenté comme une adaptation de son « manga culte ». Coeur de cible : les amateurs de la BD originale, même si les trombines réjouies des juvéniles héros peuvent passer pour une invitation faite aux bambins à venir découvrir le monde merveilleux du bitume (encore un malentendu en perspective, le film, pour ados et adultes, enchaînant les taloches réalistes). Ces stratégies promotionnelles limpides favorisent les pronostics : Les Contes de Terremer écraseront sans peine l’inclassable Amer béton, au box-office comme chez les médias généralistes. Le second, même si bancal, présente pourtant plus d’intérêt que le premier, lequel n’est exactement que ce qu’on en attendait : un film du studio Ghibli réalisé par le fils, novice en la matière, de Miyazaki.
Terrain connu
Visuellement, Terremer est bien sûr à la hauteur de la réputation du studio : décors fabuleux et animation porteuse de sens (le Japon compte dans ses rangs les meilleurs animateurs du monde, comme le dit l’américain Michael Arias, réalisateur d’Amer béton). Rien, cependant qui n’ait pas été vu dans Nausicaä de la vallée du vent, Le Château dans le ciel, Le Château ambulant, etc. L’imaginaire de Miyazaki père, développé au sein du studio Ghibli, semble être devenu reproductible, déclinable. Le récit lui-même comporte tous les gimmicks miyazakiens possibles, à tel point qu’on en oublie que le film est l’adaptation d’un roman de fantasy anglo-saxon. Certains argueront que ce manque de dépaysement n’a rien d’étonnant, l’univers même de Hayao Miyazaki s’inspirant de celui d’Ursula K. Le Guin, l’auteur du Cycle de Terremer. En effet, Miyazaki père souhaitait adapter cette œuvre, ce qui ne s’est pas fait, du fait, paraît-il, des réticences de l’auteur. Le réalisateur a alors signé un livre illustré, Shuna no tabi (Le Voyage de Shuna), qui annonce son unique manga, Nausicäa. Au regard de l’œuvre de Le Guin, on perçoit surtout, plus qu’une réelle influence thématique, la capacité de Hayao Miyazaki à donner vie à des ambiances, décors et des thèmes, de façon unique. Rappelons qu’il est avant tout dessinateur, et conçoit ses récits, scénaristiquement, au fil du pinceau. C’est cet imaginaire avant tout graphique qui lui confère cette « patte » reconnaissable, laquelle qui a fait beaucoup pour le classer, chez nous, parmi les « auteurs ». Mais Les Contes de Terremer restent hélas à la surface de cet univers ; nulle fulgurance, nul souffle ne vient parcourir le film, contrairement aux œuvres d’aventures hyper rythmées de Miyazaki père. Ici, personnages et récit prennent leur temps, c’est plan-plan et longuet à souhait. Plus généralement, on a l’impression de regarder le film avancer comme un bateau sans capitaine. Idem pour Amer béton.
Navires sans capitaine
Le mastodonte de Ghibli et l’OFNI de la petite structure du studio 4°C partagent en effet le même défaut : l’absence de mise en scène. Personne à la barre, comme l’attestent même les partis pris filmiques de l’adaptation de l’œuvre originale. Terremer reprend un livre de transition, d’où cette sensation d’être parachuté en plein milieu d’une histoire – ce qui est le cas – sans en détenir ni les tenants ni même les aboutissants. Manquent les clés pour comprendre le récit, les personnages faisant référence à des faits passés dont on ne saura rien. Mais non content d’être incomplet, le puzzle est aussi mal découpé : la narration filmique pose en effet problème, accordant un temps et une importance à des éléments qui ne font guère avancer l’action, sans être visuellement parlant par ailleurs. Amer béton, quant à lui, tient de l’enfilage de saynètes, adaptant linéairement le manga chapitre par chapitre. Mais que fabriquait Michael Arias au poste de réalisateur ? Ce spécialiste des effets spéciaux avoue avoir « laissé beaucoup de liberté aux animateurs du studio ». Pas très directif, donc, surtout sur l’étape essentielle de tout film d’animation nippon : le story-board. Pas moins de six personnes, dont lui-même, y ont travaillé. Ce qui explique que le film manque d’un « directeur ». Aussi, malgré ses qualités visuelles exceptionnelles -rappelons que le studio 4°C a notamment réalisé l’hallucinatoire Mind game (cf. Chronic’art #18) et que les animateurs qui y travaillent ont participé aux grands projets de ces dernières années- on reste extérieur à un récit qui nous claque, à chaque fin de séquence, la porte au nez. D’où la question du rôle de Goro Miyazaki comme d’Arias. Le premier, jadis consultant en construction puis directeur du Musée Ghibli, a visiblement été propulsé là par Toshio Suzuki (directeur du studio Ghibli et personnalité phare de l’animation japonaise) pour son nom, mais aussi comme fédérateur, meneur d’hommes. Les metteurs en scène remplacés par des « managers » ? Cela expliquerait aussi la place d’Arias sur Amer béton : récemment producteur de deux segments d’Animatrix conçus par 4°C, et aucune expérience de mise en scène, alors pourquoi lui, et non pas Kôji Morimoto, auteur, en 2000, d’un court-métrage tiré… d’Amer béton ? Ce dernier, surnommé « l’enfant terrible de l’animation japonaise », a semble-t-il été écarté du projet ; Arias ne donne cependant aucune explication sur cette curieuse absence, précisant juste que son idée a été acceptée par Eiko Tanaka, productrice du studio. Il apparaît surtout comme un bouche-trou providentiel -présent au bon moment et conciliant- à une structure qui avait besoin de quelqu’un autour de qui se regrouper. Et pour le reste ? Sa présence, comme celle de Miyazaki Jr, n’apporte aucune « valeur ajoutée » au film, exceptée l’avantage médiatique.
Ainsi, l’animation japonaise manquerait de jeunes metteurs en scène. Quelques noms émergent, cependant : Morimoto, qui n’a pas vraiment concrétisé depuis Magnetic Rose, Maasaki Yuasa, le réalisateur de Mind game, et Mamoru Hosoda, remarqué pour l’un des films du manga à succès One Piece, inédit chez nous. Ce dernier a récemment signé Toki wo kakeru shôjo (La Jeune fille qui domptait le temps), hyper primé et en salles en France cet été (miracle !). L’animation japonaise, ayant pris conscience de son impact sur la scène mondiale, a aujourd’hui deux visages : celui des films voués à une carrière internationale (avec le ronflant Paprika, Satoshi Kon a enfin réussi son examen de passage, tandis que Ghibli s’appuie sur son label Miyazaki) et celui des films destinés au marché intérieur (tel One piece déjà mentionné). Equilibre ou grand écart ? L’avenir nous le dira.
Lire notre chronique des Contes de Terremer, de Goro Miyazaki (en salles le depuis le 04.04.07)
Amer Béton, de Michael Arias sort en salles le 02.05.07