C’est peut-être la plus belle partition de Verdi : Don Carlo revient à l’Opéra de Paris, où il fut créé (en français) en 1867. Affiche luxueuse pour un opéra qui connaît depuis quelques années un nouveau succès sur la scène lyrique internationale.


En v.f. ou en v.i., Don Carlo(s) est à la mode. On ne se demandera pas trop longtemps pourquoi. Voilà probablement l’opéra le plus décadent de Verdi, celui qui convient le mieux à notre fin perturbée de siècle. 1867-1998 : les mêmes ingrédients pour la même sauce, qui prend toujours aussi bien (mieux ?) : sur fond d’insurrection politique et d’intégrisme religieux, un père et son fils -en l’occurrence le Roi d’Espagne et son fils Carlos- se déchirent tout à trac le pouvoir et l’amour.

Un père tyran, ou présenté comme tel, envers ses sujets comme auprès de son fils ; lequel fils est suffisamment faible, sinon, névrotique, pour composer l’archétype du héros romantique (n’oublions pas que le livret est inspiré de Schiller).
Et l’amour -les amours, devrais-je dire, pas mal contrariées, en l’occurence, de tout ce noble monde. Carlos aime Elisabeth (de Valois), qui aime Carlos, mais finira par être mariée au père, raison d’Etat oblige… Posa, le Grand d’Espagne, coincé entre sa loyauté pour le souverain et son amitié particulière, dira-t-on, pour l’Infant -il y laissera sa peau. Ajouté à ce quartett une femme repoussée (Eboli) qui rumine sa vengeance dans l’ombre ; un zeste de surnaturel (l’intervention in extremis de Charles-Quint), et vous avez là le « grand opéra » le plus directement parlant à nos contemporains.

Don Carlo(s) est donc dans l’air du temps, qui le saisit plutôt pas mal, d’ailleurs, à en voir (ou entendre) les dernières représentations. La production de Luc Bondy, en 96, au Châtelet, fut l’événement lyrique de l’année : et même si l’affiche ne tint pas exactement toutes ses promesses, on gardera en mémoire le duo d’anthologie Alagna/Hampson (pour leur jeu, leur tenue vocale impeccable -en un mot, leur charisme) et la mise en scène, d’un dépouillement très sophistiqué, de Bondy. C’est surtout la première fois qu’il nous était donné d’entendre Carlos en français in extenso : un livret somptueux, mille fois plus poétique et chantant que son pendant italien -hélas, c’est celui-ci qui est le plus souvent choisi, faute probablement de « diseurs » francophones à la hauteur. EMI a enregistré l’événement : c’est une des captations live les plus scandaleuses, pour tout dire les plus pourries, qu’on ait entendu depuis belle lurette. Il faudra, pour se faire une idée plus exacte du spectacle, se procurer la vidéo.
Herbert Wernicke, dans la mise en scène qu’il a signé l’été dernier à Salzbourg, a lui aussi fait sensation : une lecture glaciale, très « psy » de ce Verdi atypique, servie ici aussi par un beau cast -notamment par le Posa de Carlos Alvarez. Il faut croire, d’ailleurs, que ce rôle a un beau destin devant lui : Hampson, Alvarez, et en attendant, peut-être, Bryn Terfel, il faut absolument entendre le somptueux Hvorostovsky dans la dernière version discographique de cet opéra (Haitink/Philips). Le baryton russe y surclasse, si possible, tous les précédents : il fait à lui seul le prix de cet enregistrement.
Après Bondy et Wernicke, après Alagna, Hampson, Alvarez, après des chefs (Pappano, Maazel) que l’on a peut-être dénigré plus que de raison, le Don Carlo nouveau de la Bastille est attendu au coin du bois (de Fontainebleau…).

L’opéra, faut-il le rappeler, a été créé pour « la grande boutique » -c’est ainsi que Verdi appelait alors l’Opéra de Paris-, et en français, le 11 mars 1867. On ne l’y a plus entendu, depuis, que dans sa version amputée et italienne -la même qui résonnera ce mois-ci entre les murs de Bastille, on ne peut que le déplorer.
Reste que, sur le papier, cette production est drôlement excitante. Parce que James Conlon, maître musical des lieux, est à la baguette : c’est un verdien raffiné, nerveux et sensible, on le sait depuis ses Rigoletto et Traviata. Parce que Graham Vick met en scène, et qu’on lui doit, ici même, un Parsifal très pertinent (et à Milan, l’an dernier, un Macbeth de la même facture). Parce qu’enfin, l’affiche met l’eau à la bouche : Ramey, même vieillissant, devrait camper un Filippo II bouleversant ; Neil Shicoff, à Salzbourg, a déjà fait entendre son Carlo très chantant ; quant au duo féminin Vaness (Elisabetta)/Zajick (Eboli), on ne pouvait le rêver plus antagoniste.

Donc, il semble que toutes les dates soient déjà complètes : si tel était vraiment le cas, on pourrait se consoler lors des sessions d’été. Belle consolation, au demeurant, avec le mozartien Furlanetto dans les habits du Roi, Larin en Carlo, l’admirable Dwayne Croft en Posa et la capiteuse Borodina en Eboli.
Bref, l’Infant et sa cour sont de retour à Paris, qui a mis pour l’occasion les petits plats dans les grands : qu’on se le dise !

Don Carlo, Opéra Bastille
Les 2, 6, 9, 12, 15 et 18 octobre 98 à 19h (sauf le 18, à 15h)
Reprise les 23, 26 et 30 juin 99 et les 3, 7, 10 et 13 juillet 99 à 19h
Renseignements et location aux guichets, tous les jours de 11h à 18h30.