En trois albums, passant du son dur et industriel des débuts (Polaire, 2°) à l’incorporation brillante de textes surréalistes et romantiques, sur Végétale, à cette musique dure et froide, Ulan Bator a su imposer sa marque dans le paysage désertique du rock français aventureux. Rencontre avec Olivier Manchion, bassiste, pour passer en revue l’actuel et le virtuel de ce groupe qui sort coup sur coup en ce début avril un quatrième album et un maxi de remixes.
Chronic’art : Pour débuter, revenons aux débuts du groupe. Peux-tu nous relater comment vous avez monté ce trio ?
Olivier Manchion : Amaury et moi nous connaissons depuis onze ou douze ans. On a fait pas mal de groupes ensemble, dans des garages à l’époque, un peu comme tout le monde. On était sur Paris. Franck était sur Bordeaux. De son côté il a fait la même chose que nous, en jouant dans de nombreuses formations en tant que batteur surtout. Il faisait un peu de trompette et des trucs expérimentaux. Amaury et moi étions plutôt de la veine noise, noise destroy à la Insane, ou des groupes noise américains assez durs. Ulan Bator s’est formé il y a trois ans à peu près, peu de temps avant que ne sorte le premier album. On a très vite enregistré, car nous avions déjà commencé à bosser sur des morceaux, sans label ni rien. On s’est installé dans la carrière de craie et on s’est mis à bosser sur des démos. On a alors rencontré Gérard N’Guyen, de chez DSA. Ca a d’ailleurs été notre volonté d’aller chez DSA, surtout Amaury qui était fan de Pascal Comelade. En fait, c’était le seul label qui nous plaisait, le premier sur la liste aussi. Ca a collé tout de suite. Peu de temps avant, on avait rencontré Franck, on s’est mis à bosser les morceaux pour les enregistrer. Ca s’est fait assez vite, en quelques mois. On a mis un peu de temps pour trouver un public. Il y a tout de suite eu de bonnes réactions des fanzines, qu’on a presque perdues depuis. On se retrouve maintenant plutôt dans Les Inrocks, des trucs comme ça. On a fait Musiques Action l’année d’après et quelques concerts assez sauvages. Je pense que les gens ne savaient pas trop où on voulait en venir.
Comment s’est passée la rencontre avec Faust ?
Un peu par hasard, sur un coup de fil. On s’est retrouvé avec Gérard Lepeyron au téléphone. On a sympathisé, on s’est rencontrés, et comme on aimait bien ce qu’ils faisaient, on a décidé de foncer. On a alors monté une tournée en collectif. Tous les concerts ont été vraiment différents, quasiment tous avec des formations différentes, on a dû en faire sept ou huit, de quatre à huit personnes.
Connais-tu des groupes français actuels qui auraient la même démarche que toi ?
Lorsqu’on a commencé à faire Ulan Bator, il y avait des groupes comme Bästard, Sister Iodine, mais je pense qu’on s’est un peu détaché de tout ça. Notamment par rapport aux réalisations discographiques, la prise de risque sur les concerts, avec la voix en français maintenant. Je crois que je ne connais pas d’autre groupe comme ça… Je ne dis pas qu’on est unique, ni que c’est merveilleux, mais je crois qu’on est peut-être un des groupes à s’être le plus détaché des influences américaines ou anglo-saxonnes.
Pour toi, le post-rock, c’est quoi ?
Je ne sais pas… Quand on dit que le scène post-rock, c’est Hint, Ulan Bator et Sister Iodine, je n’y comprends rien. Ca n’a rien à voir. Je pense que c’est une catégorie, juste un chapeau pour recenser quelques groupes qu’on estime être dans l’underground, mais qui ont tous des qualités tout à fait particulières, dissemblables, qui éventuellement jouent ensemble sur des concerts, mais qui musicalement n’ont rien à voir.
Que penses-tu de groupes comme Tortoise ou Labradford, auxquels vous êtes souvent assimilés ?
Nous avons peut-être quelques accointances au niveau harmonique avec Tortoise, mais avec des groupes comme Labradford, je pense qu’on n’a pas grand-chose en commun, même si j’aime bien leur musique. Ils n’ont pas du tout la même manière que nous de développer la musique. Nous n’avons aucun morceau, aucune plage, de dix minutes, ni du tout le même environnement sonore. Nos morceaux ont plein de parties différentes, à l’opposé du côté un peu ambient, expérimental ou progressif au sens propre du terme.
Est-ce que l’apparition de paroles dans votre musique correspond à une volonté figurative ou c’est juste purement musicale ?
Il n’y a pas vraiment de message. La voix est un gros plus, exactement comme un instrument. Il y a une prise de risque, car c’est chanté en français. Toute cette scène post-rock, entre guillemets, chante en anglais, qui n’est pas forcément leur propre langue… Le chant en français n’est pas pour nous une volonté de nous mettre à part, d’être dans un coin. On voulait de toute façon tous les trois que ça bouge du côté de la voix, Amaury encore plus particulièrement. Il s’est lancé dans l’aventure des textes en français, ce qui n’est pas une mince affaire. Il a plutôt bien réussi je trouve, et ça a été en même temps pour nous un passage de transition pour un premier album dans cette configuration-là. Parallèlement, on a fait un travail similaire sur la partie instrumentale.
Ulan Bator est justement passé de sons très durs au départ, parfois quasi industriels, à quelque chose de plus épuré…
Nous avons de toute façon toujours eu la volonté d’avancer, de ne jamais revenir sur nos pas. Refaire le premier album et stagner ne nous intéressait pas, faire des morceaux à format court ou couplet-refrain non plus, ni tourner en rond. Le prochain album sera à mon avis encore carrément différent. Le son changera toujours. Je crois qu’on a gagné une finesse, une maturité sur 2° grâce aussi au mixage. François Dietz avait à ce moment-là fait un gros boulot. Ca se sent moins sur Végétale parce que c’est mieux intégré, avec la voix en plus.
Pourquoi avoir choisi une carrière de craie pour répéter ?
D’abord parce que le lieu était super et nous offrait la possibilité de jouer 24h/24, on est tranquille et en autarcie complète. On s’est rendu compte assez rapidement que le son était d’enfer, en fait dès qu’on y a mis une batterie. Ca a servi pour des enregistrements, surtout sur 2°, où on ressent avec le mix la réverbération naturelle des carrières. Maintenant, on n’y restera peut-être pas indéfiniment, on va bouger un jour, comme on essaie de le faire en musique.
On parlait de l’accueil par le public de ce dernier album. Quelle est ta vision de cette musique « underground » qui, dès qu’elle est vendue, « popularisée », est un peu rejetée par ce milieu, comme pour Végétale notamment ?
Je ne sais pas. Moi, je trouve ça idiot : si chanter dans sa langue peut paraître ridicule, et si à bientôt trente ans essayer d’affirmer quelque chose de réel, de concret est mal perçu, alors autant arrêter de faire de la musique ! Ou alors, tu inventes un langage, le fameux « kobaien », ce qui était en fait un peu le cas sur les deux premiers album, où le chant n’a jamais été de l’anglais. On a jamais fait le choix de l’anglais. Il y avait juste des sonorités anglaises, comme françaises ou autres…
Etes-vous bien accueillis par le public étranger ?
En Italie, très bien, en Allemagne, en Suisse en Espagne également. Mais tu sais, dès que tu es un groupe étranger tu es mieux accueilli. En Italie par exemple, on a plus de public qu’en France.
C’est quoi le public moyen d’Ulan Bator ?
J’allais dire un peu tout le monde, en tout cas je le souhaite. Ca doit être du 18-45 ans je pense… Parce que, en même temps, on nous a aussi associés à une scène française comme Heldon, par exemple, par certaines structures, des jeux de batterie, mais moi le seul truc que j’espère, c’est le public le plus large possible, dans le sens positif, pas outrancier bien sûr…
Justement, tu parles d’Heldon, pourrais-tu nous raconter ta rencontre avec Richard Pinhas ?
C’est très simple, je travaillais sur un label, avant de tout arrêter pour ne faire qu’Ulan Bator, c’est-à-dire il y a deux ans à peu près, au moment où sortait de l’Un et du Multiple, sur ce label justement : Spalax. On s’est rencontrés un peu comme ça, on s’est revu et il a écouté ce qu’on faisait. Il cherchait un bassiste et ça a dû lui plaire de trouver un petit jeune (rires). Heldon me faisait un peu partir à l’aventure à la demande, parce que j’aime bien Richard ; après, surprise ! Je ne sais pas ce que ça va donner à l’arrivée, je n’en ai aucune idée. Ce projet est d’ailleurs tombé un peu près à la même période où on a collaboré avec Faust, donc on avait déjà un peu commencé à faire des choses avec d’autres personnes. Puis après ça, on est parti sur le nouvel album, jusqu’à aujourd’hui.
Il y a dans Heldon, un parallèle littérature/musique. Est-ce que toi, ça te tenterait d’avoir une introduction de textes et d’éléments extérieurs, dans ce sens-là ?
Non, car je crois qu’à trois on n’a pas encore tout dit. Peut-être une collaboration ponctuelle, comme nous l’avons fait avec Faust, mais nous sommes tellement loin de ce qu’on peut encore faire… Pour Heldon, les choses étaient un peu différentes, il y avait déjà au départ des gens comme Deleuze qui faisaient partie intégrante du projet. Ce n’est pas du tout notre démarche, c’est plutôt un truc assez fermé, un peu comme le studio, avec une équipe qui l’est aussi… mais a priori ça n’engage que moi. Avec dix cordes, quelques effets et une batterie, il y a des tonnes de choses à faire et on n’a pas fini.
Les effets, vous pourriez vous en passer ?
Non, je pense que si on fait avec, c’est qu’on y trouve un intérêt ; c’est une manière pour nous de nous servir des effets en essayant toujours de faire en sorte que ça ne sonne pas effet, avec la volonté de maîtriser tout ça à trois et de ne pas avoir besoin d’une personne extérieure ; même d’avoir une bande qui soit envoyée depuis la table et pas depuis la scène, c’est quelque chose qu’à un moment on est obligé de faire, mais qui me gêne parce qu’on ne maîtrise plus réellement tout. Mais on utilise très très peu les effets : moi j’ai un effet, Amaury doit en avoir deux ou trois et il y a un échantillonneur sur scène qui sert parce qu’avant on avait tout un tas de bordel qui ne marchait qu’une fois sur deux. On a décidé de cleaner un peu tout ça pour que ça marche à chaque fois. Donc il y a un son d’orgue dessus et je crois que c’est tout sur le synthé de départ. Le reste se fait au pied. Ce soir, il devait y avoir une bande, et ça n’a pas marché (rires)…
Est-ce que tu penses que les textes ou la musique d’Ulan Bator peuvent avoir une portée « directement politique » ?
Ca peut être le cas, mais ce n’est pas quelque chose qu’on exploite. On n’est pas dans ce créneau, il n’y a jamais vraiment eu de message dans les textes. Pour moi, les textes c’est de l’émotion, comme un riff de guitare. Il n’y a pas de message, ça fait partie du tout, de l’environnement musical. Sinon, musicalement on cherche à prouver qu’avec rien on peut quand même faire des choses. La grosse différence entre le premier album et le dernier, de ce point de vue là, c’est que le bruit gratuit c’est terminé, les plages ambiantes industrielles à dix francs aussi… Tu sais, en appuyant sur trois touches de synthé, tu peux faire des plages de dix minutes… Mais tous les trois on a une palette de goûts et d’envies très large et on se retrouve au milieu avec des choses structurées, des parties ambiantes ou hachées, des morceaux de huit minutes, jamais un couplet ni un refrain, ou alors une fois ou deux, pas de solo…
C’est aussi une volonté de ne pas vouloir se mettre en avant…
Le plan chorus ne nous a jamais intéressés. On n’y pense même pas. Je ne peux pas t’expliquer pourquoi, mais c’est quelque chose qu’on a toujours fuit, et ce, de plus en plus. On l’a tous fait il y a cinq ou sept ans. Je trouve qu’un solo n’aurait pas sa place dans Ulan Bator, où alors à l’extrême : même pas un solo, mais une décharge électrique qui va arriver d’un coup, en traître…
Vous improvisez énormément en concert ?
Non, très peu en fait, c’est très travaillé. Ca nous manque un peu en ce moment, on va essayer de développer ça, tout en gardant cette hyper-structure musicale vraiment très rigide, et de garder des passages en impro, un peu plus dans les ambiances. On a commencé à vouloir mettre des bandes et des sons extérieurs qu’on a fabriqués nous-mêmes mais à terme je pense qu’il faut qu’on le fasse sans bande, en direct.
Tu nous parlais justement des échantillonnages, des samples… Il y a ce projet d’album remix d’Ulan Bator qui sort…
Oui, toute une série de personnes y a participé, Otomo Yoshihide (LE terroriste des platines, ndlr), Scanner, Carl Stone et Stock, Hausen & Walkman. Il y a également Jean-Hervé Peron, le clavier de Faust… On tenait à ce que ça se fasse, même si ça peut paraître un peu à la mode. C’est un projet qui date déjà d’un an… On voulait que la sortie accompagne un nouveau disque. Ce sont des gens qu’on aime vraiment bien, qu’on a croisés sur la route, et puis voir ce que d’autres pourraient faire avec notre musique, comment ils la transformeraient, nous intéresse.
C’est vrai qu’il y a en ce moment une sorte de mode, de systématisation du sample. Est-ce que tu trouves la démarche intéressante ?
A long terme, je pense que c’est valable. Tu peux faire énormément de choses avec le sample. C’est génial pour des mecs qui sont tout seul. Otomo tout seul, je trouve ça énorme, Carl Stone aussi. On a joué ensemble en Allemagne il n’y a pas très longtemps, et ce qu’il faisait était vraiment intéressant. Je ne crois pas qu’on puisse se limiter à dire que c’est facile, c’est un instrument qui est très utilisé, mais ça reste quand même assez underground, il y a peu de gens en France qui connaissent ces personnes… Le sample est un super outil que chacun perçoit comme il veut, comme il l’entend. Mais dans Ulan Bator, chacun représente 33 % : s’il en manque un, il en manque la moitié, on est imbriqués les uns aux autres. Moi je n’ai pas trop envie que des échantillons prennent le dessus, les sons par contre oui, mais dans le sens musique artificielle. Pour l’instant, je n’utilise pas du tout le sample, ça ne m’intéresse pas, et j’ai encore plein de choses à faire avec des synthés analogiques, en direct… C’est peut-être vieux jeu, je ne sais pas, mais j’ai l’impression que tant que tu ne t’ennuies pas sur un instrument, il faut continuer…
Propos recueillis par
Lire nos critiques de Ego/Echo et de Remixes de Ulan Bator
Voir le groupe sur Pezner.org (où l’on aura notamment l’occasion de voir Ulan Bator en live). Le Pezner est une salle indépendante de qualité à Villeurbanne qui accueille tous les groupes les plus brillants des scènes rock, electro et jazz