Bernard-Marie Koltès est doublement à l’affiche en ce mois de novembre avec La Nuit juste avant les forêts au Théâtre des Abbesses, mis en scène par Kristian Frédic, et Roberto Zucco à la Manufacture des Oeillets, mis en scène par François Bergouin. Portrait lapidaire d’un des plus grands dramaturges français de ces vingt dernières années.
Les spectateurs qui ont vu Yves Ferry dérouler sur scène cette longue phrase dont Koltès lui avait fait cadeau en écrivant pour lui La Nuit… en 1977, savent que ses textes sont agissants, qu’ils métamorphosent ceux qui les profèrent, les entendent ou les lisent.
Les spectateurs qui ont découvert Michel Piccoli, Myriam Boyer et Philippe Léotard dans Combat de nègres et de chiens, mis en scène par Patrice Chéreau en 1983, gardent le souvenir d’un spectacle incandescent. Ceux qui, plus récemment, ont vu Chéreau et Pascal Greggory réunis dans cette étrange chorégraphie du désir, de la souffrance et de la mort qu’est Dans la solitude des champs de coton ont, eux aussi, eu le sentiment d’être les témoins d’un moment de théâtre rare. La liste peut s’étendre à Quai Ouest (1986), Retour au désert (1988) ou Roberto Zucco (1991), la dernière pièce de Koltès, écrite après avoir vu, sur un avis de recherche, le visage d’un dénommé Succo, meurtrier, « comme ça, pour rien », de ses parents et de toute une série de personnes. Des œuvres sur lesquelles de nombreux metteurs en scène se sont penchés, ont souvent laissé leur empreinte, et sont souvent revenus, tant cette écriture recèle de doubles sens, d’aveux cachés, et laisse la place à d’autres lectures où à des envies de les « visiter » à nouveau. Car, rares sont les auteurs qui, aussi bien que Koltès, ont su prendre la mesure de leur époque et marquer de façon durable ceux qui un jour ont eu la chance d’être en contact avec leurs écrits.
Qui était cet homme, beau à jamais, mort du sida à l’âge de 41 ans (1989), entré en théâtre après avoir vu Maria Casarès jouer Médée (Lavelli, 1967) ? Qui était cet homme qui disait : « La vie ? C’est une toute petite chose… C’est minuscule, futile… Le théâtre ? Ca raconte de la manière la plus futile qui soit la futilité de la vie. » Un désabusé ? Un Cassandre ? Non. Un curieux, un flâneur souvent séduit par l’espoir d’une rencontre, un homme infiniment moins noir qu’on a pu l’imaginer, qui aimait passionnément Bruce Lee, Jim Morrison, Bob Marley, Bach, Dostoïevski, Joseph Conrad, Dashiel Hammet… Mille autres encore : Fritz Lang, Billie Holiday, Arthur Rimbaud dont le portrait ornait les murs de sa chambre, où qu’il vive… Un homme qui gardait les yeux grands ouverts sur le monde tel qu’il va, et qui a entendu avant tout les grondements de la rue.
Issu de la petite bourgeoisie catholique de province, Koltès s’est voulu proche des exclus et des plus menacés. Obsédé par l’Etranger, par celui qu’il pouvait aller chercher jusque dans les bas-fonds ou dans les forêts du Nicaragua, il a admirablement traduit sa fascination pour la vie dans sa plus extrême brutalité, et restitué sa quête d’amour -que l’on peut rapprocher de celle qui anima Pier Paolo Pasolini- au travers de textes crus, poétiques, violents : « Je cherche quelque chose qui soit comme de l’herbe au milieu de tout ce fouillis, les colombes s’envolent au-dessus de la forêt et les soldats les tirent, les raqués font la manche, les loubards sapés font la chasse aux ratons, je cours, je cours, je cours, je rêve du chant secret des Arabes entre eux, camarade, je te trouve, je te tiens le bras (…) ne dis rien, ne bouge pas, je te regarde, je t’aime, camarade… moi j’ai cherché quelqu’un au milieu de ce bordel, et tu es là… » (La Nuit…)
Il faut aller voir La Nuit juste avant les forêts, interprété par Denis Lavant. Comment le comédien, capable du meilleur comme du pire (lorsqu’il n’est pas canalisé), va-t-il délivrer la parole sublime de Koltès ? Réponse à partir du 7 novembre. Le décor et les costumes sont signés Enki Bilal : du très « beau linge » (trop ?) pour un texte tripal qui parle de solitude, de marginalité, du rejet de l’étranger…
La Nuit juste avant les forêts
Théâtre des Abbesses
31, rue des Abbesses
Paris 18e
Renseignements : 01 42 74 22 77
Du 7 au 18 novembre 2000
Roberto Zucco
Manufacture des Oeillets
25-29, rue Raspail
Ivry-sur-Seine
Renseignements : 01 46 71 79 79
Du 6 novembre au 9 décembre 2000