Parti à l’assaut des charts européens, « Programme d’entraînement cérébral du Professeur Kawashima » (également appelé « Brain age » ou « Brain training ») est désormais un phénomène mondial. Un pari réussi d’élargissement du public pour Nintendo autant qu’une surprise pour son concepteur, Koichi Kawamoto, que nous avons contacté. L’occasion de revenir sur la naissance du phénomène culturel japonais que personne n’attendait.
Chronic’art : D’abord, qui êtes-vous, et sur quels jeux avez-vous travaillé avant de concevoir Le Programme d’entraînement cérébral du Professeur Kawashima ?
Koichi Kawamoto : Je travaille pour Nintendo dans la branche développement Software et Design. En ce qui concerne les jeux les plus connus, j’ai participé à la création de Wario ware, Inc.. C’est moi qui ai notamment inventé le système des jeux de cinq secondes qui s’enchaînent rapidement les uns derrières les autres.
Le Programme, en temps que jeu pour console portable, s’adresse à un public plutôt inhabituel (les seniors). Aviez vous des consignes précises, des restrictions, d’un point de vue créatif, afin d’atteindre ce nouveau public ?
Je pourrais vous parler de la taille des lettres et du langage employé dans Le Programme. Les écrans d’une DS sont beaucoup plus petits que celui d’une TV. Nous nous sommes dit qu’une personne âgée aurait du mal à lire des mots tel qu’ils sont écrits dans un jeu conventionnel. Nous avons donc augmenté la taille des polices de caractères. C’était un casse tête parce qu’en augmentant la taille des caractères, on réduisait d’autant ce que nous pouvions afficher à l’écran. Dans le même ordre d’idée, nous avons éliminé tous les termes et les tics de langage propre au jeu vidéo ou aux équipements high-tech afin que les gens qui sont d’habitude intimidés par la technologie puissent se sentir à l’aise.
Combien de personne compte l’équipe du premier Programme (un deuxième opus est déjà sorti au Japon, ndlr) et en combien de temps ce jeu a-t-il été développé ?
Le noyau de notre équipe ne comptait que 6 personnes. Le nombre total de personne ayant été impliquée de près ou de loin doit avoisiner les 40. Le développement du jeu en lui-même n’a duré que trois mois et en incluant la phase de test initial (ce qui englobe aussi la phase de conception, purement orale et spéculative, ndlr) ça a pris environ sept mois.
Un reportage de presse dans un hôpital japonais relatait la location de console DS et du jeu Le Programme pour ses patients. Ce système a beaucoup de succès d’ailleurs des hôpitaux aux Canada ont eux aussi tenté l’expérience. Qu’en pensez vous ?
J’en ai entendu parlé. Nous espérions que ce genre de chose arrive. Mais nous étions tout de même très surpris quand c’est vraiment arrivé.
Quels étaient vos rapports avec le professeur Kawashima dont les travaux ont inspiré Le Programme ? Quel poids avait son point de vue sur le produit final ?
Nous avons travaillé de façon très étroite. Nous correspondions par mail tous les jours, et nous nous sommes souvent rendus à son bureau à l’université. Mon équipe et moi-même avons une certaine expérience et confiance en nous pour créer des jeux drôles et excitants ; mais pour la première fois, notre objectif était de réaliser un programme capable de stimuler le cerveau humain. Le professeur Kawashima nous a souvent aidé et conseillé. Mais ce qui était vraiment inhabituel pour nous, c’était de devoir mettre de côté des jeux et des idées de gameplay très fun parce qu’ils ne stimulaient pas le cerveau. En fait, nous avons dans nos bureau des modes d’entraînement qui ne pouvaient pas être inclus dans le jeu, bien qu’ils soient très marrants.
Comment vous est venu l’idée de faire tenir la DS comme un livre et pour quelle finalité ?
Il y a deux raisons à cela. La première tient au fait que la Nintendo DS dispose de deux écrans. Puisque c’est un dispositif avec une forme nouvelle, nous avons pensé que le public, et spécialement ceux qui ne jouent pas d’habitude, risquaient de ne pas comprendre à quoi servait la DS. Si vous faites pivoter votre DS à 90°, vous pouvez la voir comme un livre digital. Vous la trouverez plus simple à utiliser et c’est particulièrement flagrant pour les exercices de lecture à voix haute. La deuxième raison tient à l’importance des exercices de mathématique. Au départ, nous voulions que les questions tombent sur le premier écran et que le joueur écrive ses réponses sur le deuxième. Mais finalement, c’était un geste qui manquait de naturel. Si on tourne la DS à 90°, le problème est écrit à gauche et le joueur répond à droite, ce qui correspond à la manière dont on répond aux exercices dans les écoles (sachant que les gauchers peuvent régler une disposition inverse de celle des droitiers dans les options du jeu).
La version japonaise et la version européenne proposent-elles le même contenu ?
Pour les exercices de lecture des textes, nous avons remplacé les classiques de la littérature japonaise par ceux de la littérature européenne. Nous avons également ajouté du Sudoku.
L’exercice de lecture est aussi efficace en japonais qu’avec un texte européen, mais nous avons pensé que le joueur serait ravi de retrouver des romans et des textes qu’il a déjà lu.
Concernant le Sudoku, nous savons que c’est un passe-temps très populaire en Europe et aux Etats-Unis. Mais il va de soit qu’avant de l’inclure, nous avons d’abord fait des tests avec tout un équipement à l’université pour avoir la confirmation que le Sudoku stimulait le cerveau de façon significative.
Un seul personnage accompagne le joueur dans le programme d’entraînement. C’est une tête polygonée qui flotte… Parlez nous de cette tête.
Au début, nous voulions inclure la photo du professeur Kawashima dans le jeu. Mais le professeur n’était pas du tout de cet avis. Nous ne pouvions pas en rester là. Nous lui avons proposé un modèle de son visage en polygone et il nous a donné son accord. Rétrospectivement, je pense que la tête en polygone a beaucoup plus d’impact qu’une photographie.
S’entendre dire que son cerveau rajeunit, c’est quand même assez énorme. Quelles autres récompenses offre le jeu ?
Concernant cet entraînement du cerveau, nous voulions motiver le public pour qu’il le suive chaque jour. Nous avons donc fait en sorte que se rajoute progressivement, au fil des jours, de nouveaux exercices. De plus, le joueur est félicité à chaque fois qu’il améliore son score.
Très peu de jeux proposent ou ont la prétention d’améliorer un aspect du quotidien des joueurs. En l’occurrence la prévention de la perte des facultés intellectuelles. En temps que game-designer, vous êtes vous sentis investis d’une responsabilité particulière en développant ce jeu ?
Vous savez, beaucoup de japonais s’intéressent au fonctionnement du cerveau, et je suis l’un d’eux. J’ai trouvé très intéressant d’apprendre que la pratique de calculs simples et que la lecture orale pouvaient entraîner le cerveau. Bien entendu, on peut s’entraîner avec des livres d’exercices. Mais dans ce cas, on doit vérifier les réponses une à une ; vérifier son temps chronométré sur sa montre. Le Sudoku nécessite, normalement, une gomme et un crayon. Avec Le Programme, le joueur n’a plus besoin de tout ce matériel et peut dorénavant se concentrer complètement sur ces exercices.
Propos recueillis par
Programme d’entraînement cérébral du Professeur Kawashima – Nintendo DS (Nintendo).
A propos du jeu et du genre, lire aussi Chronic’art #27, en kiosque.