Eric Glambek et Erlend Oye forment le duo norvégien Kings Of Convenience, révélation folk de ce début d’année. Entre Nick Drake et Joao Gilberto, leur musique suave et boisée enchante. Entretien.
Chronic’art : Il y a beaucoup de groupes en Norvège qui jouent de la musique folk ?
Erlend : Nous sommes un peu au milieu de différentes scènes. Il y a une scène électronique, de dance music, avec le label Telle Records, avec des gens que nous connaissons et avec qui il a pu nous arriver de jouer. D’un autre côté, il y a cette scène « slow rock », avec de très bons groupes influencés par Mazzy Star ou Codeine. Nous connaissons ces gens, mais nous ne faisons pas vraiment partie d’une scène musicale.
Eric : (Sur un ton faussement pathétique) On a toujours été un peu seuls…
Erlend : (Rires.) Oui c’est vrai. Même à Londres, où nous avons beaucoup joué et vécu, nous n’avons jamais vraiment trouvé de gens avec qui partager nos passions, comme une scène musicale qui pourrait nous supporter, ni même de labels évidents à qui proposer nos productions. Maintenant que nous sommes signés chez Source, c’est plus facile pour nous, mais on s’est sentis un peu esseulés dans notre coin pendant quelque temps, avec la musique qu’on faisait. Si tu fais de la house-music, que tu es de Paris ou Berlin, tu sais qu’il y a une scène importante, avec des DJ et des artistes, ce qui facilite grandement la tâche. Nous on sait qu’on doit juste faire de bons concerts pour donner envie aux gens de nous écouter. Avant d’en arriver là, ce n’est pas évident.
Eric : En Norvège, on a sorti quelques singles vinyle qui ont bien marché, mais c’était limité à quelques exemplaires. C’est seulement avec le premier CD Live in a room qu’on a été n° 6 dans les charts, et Toxic girl est une sorte de hit indé là-bas.
Parlons un peu du disque : le premier morceau ressemble vraiment à une introduction à votre univers, avec les instruments qui entrent peu à peu…
Erlend : Oui !
Eric : Oui, on voulait que ce soit le premier morceau de l’album. Et aussi le premier single. On voulait que notre musique et notre univers apparaissent, sortent de ce premier morceau, comme une déclaration d’intention de ce qu’était Kings Of Convenience.
Erlend : C’est une chanson qui se trouve au milieu de toute notre production. Si tu traces une ligne avec toutes nos chansons, celle-ci se tient au milieu, comme la plus représentative de ce que nous sommes. On ne voulait pas que les gens aient une fausse impression de nous, donc on a mis ce morceau en premier pour qu’ils sachent d’emblée ce qu’on faisait. Et puis on voulait que le disque soit un peu comme un voyage, un voyage sentimental, avec un départ, un trajet, et une arrivée. Le début est donc assez entraînant, le milieu plus introspectif et profond, et la fin plus lente, comme faite pour s’endormir.
Vos influences sont très visibles : Simon & Garfunkel, Belle & Sebastian, la musique brésilienne…
Eric : Je n’ai qu’un disque de musique brésilienne. C’est Joao Gilberto, Astrud Gilberto et Stan Getz Live in Carnegie Hall. C’est un de mes disques préférés. J’en joue certains morceaux.
Erlend : Mais je pense que le groupe qui nous a le plus influencés sont les Red House Painters. Les autres influences sont plus « accidentelles ». Les gens nous comparent beaucoup à Simon & Garfunkel, mais c’est plus dû au fait que nous chantons ensemble et que nos deux voix se mélangent comme ça. Nous n’avons pas commencé à faire des harmonies vocales à cause de Simon & Garfunkel, mais plutôt à cause d’un groupe comme Ride, que nous avons beaucoup plus écouté… Mais nous reconnaissons ces influences. Nous n’allons pas dire : « Non, nous sommes complètement neufs, nous sommes les Kings Of Convenience et nous avons inventé la musique et nous avons inventé le silence… »
Plus bizarrement, j’entends parfois dans votre musique des réminiscences de groupes folk américains, comme les premiers Swell, ou Sentridoh. Ce sont des musiques que vous avez fréquentées ?
Erlend : En fait, j’ai écouté Harmacy de Sebadoh aujourd’hui et il y a cette chanson, On fire, qui m’a effectivement fait penser à ce que nous faisons. Mais à part cet album, je ne connais pas grand-chose de Lou Barlow. Et pourtant, j’écoute plus ce genre de choses qu’Eric. J’aime bien Pavement. J’aime bien aussi God Machine. C’est très éloigné de ce que nous faisons, c’est presque du hard-rock. Mais aucun instrument n’est superflu dans leurs compositions. Tout semble nécessaire et simple, et j’aime bien cet aspect-là, minimaliste, qui nous ressemble assez finalement.
A propos de minimalisme, vous aviez décidé dès le départ que l’album serait aussi sobre en arrangements ?
Erlend : Oui, c’était volontaire. Et tout le monde nous a dit en écoutant les morceaux : « Oh, je verrais bien une trompette ici, et là j’entendrais bien des violons. » Nous aurions pu. Mais nous nous sommes dit qu’à partir du moment où tout le monde entendait des trompettes et des violons, ce n’était plus la peine de les enregistrer.
Eric : Nous voulions laisser de la place à l’imagination des gens.
Erlend : Qu’ils sifflotent leurs propres harmonies. C’est ce que je fais quand j’écoute des disques, je siffle, je chante.
Sur certains morceaux, on distingue des petits bruits d’ambiance, comme un parquet ou une chaise qui grince… Vous avez tenu à garder ces sons ?
Eric : Oui, on m’entend tousser aussi, avant une chanson. Nous avions tous les deux un rhume pendant l’enregistrement, et nous voulions en garder une trace sur l’enregistrement.
Erlend : Ce côté naturaliste du son est plus fort sur le Ep Live in a room, parce que justement c’était enregistré live dans une pièce, avec peu de matériel. Si tu l’écoutes au casque dans un silence complet, tu peux entendre la pièce effectivement, tu peux nous imaginer, nous visualiser en train de jouer dans la pièce. C’est ce qu’on voulait. Pour nous, ce sont nos enregistrements les plus forts.
Les paroles de vos chansons sont assez tristes, mélancoliques. C’est le climat norvégien qui influe sur votre humeur ?
Erlend : Je pense que, en général, c’est la tristesse qui nous inspire le plus pour faire de la musique. Et puis la musique triste est toujours la plus belle à mon avis. Et c’est ce que je trouve magnifique dans la musique, c’est qu’elle peut rendre belle la tristesse, la transformer en quelque chose de beau.
Comme Nick Drake par exemple ?
Erlend : Comme toute la musique ! Même A-ha ! Il y a des gens qui disent que la musique triste les rend tristes. Moi, quand j’écoute de la musique triste, ou mélancolique, ça ne fait que me rapprocher de la personne qui a produit cette musique, c’est très réconfortant. Parfois j’écris une chanson et deux jours plus tard, je la réécoute. Et ça me rend heureux. Parce qu’alors, je me comprends moi-même. C’est la même situation. Beaucoup de nos chansons sont tristes et personnelles, bien sûr, mais c’est une esthétique générale, ce que nous aimons dans la musique. Les chansons gaies ne m’émeuvent pas vraiment. Même Toxic girl, qui est une chanson assez gaie et entraînante, a un côté tordu et malheureux. Et c’est comme ça que je l’aime. Parce que tout bonheur a une fin, nécessairement.
Y a-t-il une part de nostalgie dans cette humeur ? Une forme de nostalgie pour l’enfance par exemple ?
Erlend : Peut-être… Un proche d’Eric est mort quand il avait 7 ans. Quand j’ai eu 7 ans, nous sommes passés d’une grande maison à l’autre bout de la Norvège dans un quartier affreux près d’une grande ville. Et ça m’a rendu très malheureux. J’avais toujours le souvenir de cette grande maison dans la nature, la neige en hiver, cet endroit incroyable pour un enfant, que je n’avais plus. Peut-être que cette tristesse est restée, je ne sais pas…
Il y a une chanson qui s’appelle Failure…
Erlend : Oui, mais elle dit « Failure is always the best way to learn ». C’est finalement assez optimiste. Je pense que tout ce disque est comme le souvenir vivant d’un voyage qui mène vers un certain bonheur. Le réécouter permet de se souvenir de tout le cheminement, heureux ou malheureux, qu’on a dû emprunter pour arriver à aujourd’hui. La joie ou la tristesse y sont comme le jour et la nuit. L’un ne peut exister sans l’autre. Mais le sentiment de défaite est sans doute un thème courant en musique. Imaginons que j’essaye de sortir avec une fille pendant six mois, et qu’elle ne veut pas. Si je peux faire une chanson sur cette expérience, ça me consolera. Je me dirais « Au moins, maintenant, j’ai cette chanson ». S’il n’y avait pas la musique, j’aurais l’impression d’une perte de temps et d’énergie, j’aurais l’impression que rien n’a de sens.
Alors la musique est très importante pour vous ?
Erlend : Oui. On fait la musique qu’on voudrait écouter en un sens, c’est pourquoi on joue tout le temps. Je n’écoute plus autant de musique qu’avant depuis que j’en fais moi-même. Et il m’arrive de jouer aussi pour moi seul des chansons que personne n’entendra jamais.
Qu’apportez-vous musicalement et respectivement l’un à l’autre ?
Erlend : Eric amène son background bossa nova, ce jeu de guitare particulier. Je m’intéresse plutôt au son, à la production, comment mélanger les instruments, mettre les chansons ensemble pour former un tout cohérent. J’imagine ça comme un grand mur blanc sur lequel il faudrait disposer des couleurs progressivement. On met telle couleur, puis on rajoute telle autre, on les mélange le plus harmonieusement possible, et finalement, ça donne des chansons.
Propos recueillis par
Voir notre chronique de l’album Quiet is the new loud