Pour le premier album éponyme de Kat Onoma en quinze ans de carrière, on a questionné Rodolphe Burger et Philippe Poirier, qui évoquent ici leurs premiers émois musicaux et analysent leur parcours musical.
Chronic’art : Vous souvenez-vous du jour où vous avez choisi le nom du groupe ?
Rodolphe Burger : C’était au moment de la signature sur le label Attitude, quand on devait sortir notre premier maxi. Ils nous demandaient impérativement de coller un nom au groupe. On en avait déjà un, c’était « Dernière bande », mais ils ne trouvaient pas ça très accrocheur.
Philippe Poirier : Ce nom correspondait à la manière dont le groupe s’était constitué : ça n’était pas figé, ça pouvait changer… A partir du moment où on a été signé, tout s’est mis en place, avec ce nom, Kat Onoma.
R. B. : C’est très difficile de s’auto-baptiser. On était à Arles, chez un ami, on avait sous les yeux le tableau d’un ami peintre italien, qui devait être la pochette de notre premier disque, et il y avait « Onoma » écrit sur la toile : « nom » en grec. C’est devenu Kat Onoma, ce qui signifie « Comme son nom l’indique ». Une sorte de pirouette face à la difficulté de s’auto-baptiser.
Comment s’est déroulé l’enregistrement de ce nouvel album ?
R. B. : En l’occurrence, c’était assez différent des fois précédentes, parce qu’un peu d’eau a coulé sous les ponts, notamment d’un point de vue technologique. Les choses sont plus faciles pour nous, grâce à la réduction du volume du matériel : on peut aujourd’hui trimbaler tout le studio ou presque, esquisser des maquettes chez nous à Paris avant de tout emmener dans la ferme où on enregistre, dans les Vosges. Tous les allers-retours sont possibles entre ces maquettes, le live, les overdubs… Mais la réalisation proprement dite a été assez concentrée : un mois à la ferme avec Ian Caple, qui avait envie d’y travailler. Tout a été réalisé là-bas, ainsi que dans une chapelle à côté. On a profité d’une superbe acoustique, on y a surtout enregistré les cordes. Puis on a tout mixé à Londres, dans la foulée.
Qu’est ce que Ian Caple a apporté au groupe ?
P. P. : Il amène une écoute. Il n’arrive pas avec une idée préétablie de ce qui va se produire, il écoute et il garde beaucoup de choses. Ensuite, le travail d’élaboration des morceaux se fait entre les esquisses des chansons et ce qu’il a gardé des enregistrements live. Il extirpe un sens à tout ce qu’on produit musicalement, avec beaucoup de justesse et de musicalité. Il nous a beaucoup aidé pour faire tourner rythmiquement un morceau, il a fait de la programmation pour la configuration rythmique de certains morceaux. Léger on dirait, mais au final il y a beaucoup de choses qui tournent.
R. B. : Il était parfait pour ce disque. On voulait de l’électronique mais on n’avait pas envie de pousser le travail de programmation à l’extrême. On connaissait son expérience par rapport à ça : son travail avec Tricky ou Bashung par exemple. De plus, il est capable de travailler en acoustique : l’école anglaise, les prises live, analogiques, les Tindersticks, etc.. Il est donc très souple dans toutes les situations.
Justement, vous avez un background à la fois rock et électronique, entre Cochran et Kratfwerk…
R. B. : On n’a jamais senti de frontières entre les genres. Quand on a repris Kraftwerk, c’était pour faire une relecture de cette histoire, où il n’y aurait pas eu de partage. Cette histoire de « musique électronique », c’est de la fiction. La musique électronique, c’est la techno Mais l’élément électronique est présent dans le rock depuis le début. La techno ne nous a pas vraiment intéressé, mais aujourd’hui le foisonnement et le décloisonnement autorisés par l’électronique entre autre, nous intéresse beaucoup. Le trafic permanent entre le live, le studio, l’analogique et le numérique… Tout ça est à nouveau plus assoupli, plus ouvert.
En même temps, la base musicale de Kat Onoma est très rock…
P. P. : Je trouve que les gens se préoccupent trop des genres musicaux. Il y a des genres certes des formes, mais on écoute pleins de styles de musique différents. Pareil dans la pratique, on expérimente plusieurs voies à travers nos projets parallèles. Il se trouve pourtant que c’est à l’intérieur du rock, de la forme rock, qu’on s’exprime, et qu’on exprime toutes nos avancées musicales, nos évolutions en termes de goûts. Ca n’a rien de nostalgique, mais sous cette forme, toutes les ressources, toutes les inventions musicales sont possibles.
R. B. : C’est vrai qu’on est ancré dans la forme rock. On a commencé avec ce désir d’ailleurs, même si tous les membres du groupe venaient d’horizons musicaux très divers. Le rock nous avait tous marqué très jeunes. On voulait faire du rock sans renier toutes les autres musiques qui nous intéressaient par ailleurs. En marge de Kat Onoma, nous formions autrefois un autre groupe, instrumental, qui s’appelait Oeuvres complètes. Absolument pas rock.
Vos projets en dehors de Kat Onoma sont influents pour le groupe ?
R. B. : C’est évidemment enrichissant, parce qu’on se retrouve dans des situations diverses et variées, en utilisant des techniques différentes. Je pratique maintenant le sampler comme un instrument à part entière, et c’est venu d’une pratique musicale solitaire, pour des musiques de films notamment.
P. P. : On apprend les techniques, les dispositifs, et ça passe entre les différents projets. Mais en même temps, ce n’est pas flagrant. Quand on s’est remis à enregistrer sous Kat Onoma, on a très vite retrouvé nos marques, ce côté rudimentaire et spontané
R. B. : C’est vrai que le groupe a une identité propre, elle n’est pas clôturée, elle est plutôt à la fois déterminée et ouverte. C’est toute l’histoire de n’importe quel groupe : son identité, une association d’individus et de champs d’intérêts dans une structure quasi autonome…
Vous vous situez où dans la scène rock française ?
R.B. : On a commencé avec le rock alternatif. Depuis, ça a beaucoup changé, il y a eu des progrès dans le chant en français, et des avancées, notamment en musique électronique. La « génération Inrockuptibles » était influencée par la culture pop anglaise, ce qui n’est pas notre cas. Mais les sous-bassement de cette culture était américains, donc on se retrouve sur ce point là. Notre position géographique a sans doute été déterminante à ce propos. On habitait en Alsace. Là-bas, les radios américaines basées en Allemagne diffusaient énormément de rock américain. Le jazz et le free-jazz, que tout le monde redécouvre aujourd’hui, étaient également des musiques assez familières pour nous.
P. P. : L’Alsace profite d’une situation géographique particulière puisque la région se trouve dans la ligne du Rhin qui remonte jusqu’en Belgique, en Hollande et en Allemagne. Par exemple, en ce moment à Strasbourg, il y a une importante scène Death-métal, très liée à l’Allemagne. A notre époque, c’était plutôt la musique improvisée. Il y avait du free-jazz allemand, qui venait en droite ligne de ce qui s’était passé aux Etats-Unis dans les années 60. La scène parisienne, à mon avis, n’avait pas les mêmes points de repères.
R. B. : On a beaucoup été influencés par les musiciens qui ont joués avec Ornette Coleman, le courant post-free, ces musiciens qui venaient avec un bagage rythm’n’blues, hendrixien, plus le free jazz. Ces musiciens sont revenus à une musique binaire, qui incluait toutes ces influences… Cette musique là était très bien accueillie en Allemagne. Il y avait beaucoup de festivals. J’étais à Berlin récemment, et je me sentais beaucoup plus en phase avec la scène musicale là-bas. La scène électronique notamment est très importante, et très médiatisée.
Et puis, il y a cette tradition des groupes anglo-saxons qui dès l’après-guerre, jouaient en Allemagne, et qui ont initiés le Krautock là-bas…
R. B. : Oui, et c’est resté. Bowie, Brian Eno, U2 allaient effectivement en Allemagne…
P. P. : Nous sommes dans une tradition européenne, mais celle-ci a assimilé l’influence anglo-saxonne. C’est pour ça que notre musique n’est pas bien carrée, parfois dissonante. On n’a jamais été proches de la musique pop, même si on est dans un format de chanson issu de la pop et du rock. Ce qui me semble réussi sur le nouvel album, c’est l’emboîtement des influences, qui satisfait notre recherche d’une musique basique et également expérimentale.
R. B. : A mon avis, on fait plus dans l’expérimental. Parfois nos morceaux sont purement instrumentales, mais on fait surtout des chansons. Elles doivent rester lisibles, rudimentaires, de l’ordre du couplet-refrain. L’enjeu, le challenge est là : faire rentrer de l’expérimental dans la musique populaire. Sans être nécessairement identifiés comme « expérimental ». On fabrique quelque chose qui nous est propre, dans ce mélange d’influences, entre l’anglais et le français, le rock et l’expérimental, avec l’apport d’auteurs extérieurs pour les textes. Voilà ce qui constitue notre identité. L’écriture des textes par des auteurs extérieurs ne nous empêche pas de nous impliquer, bien au contraire. Nous sommes dans une problématique de mix général qui fonde notre identité.
Propos recueillis par
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