2005, année du grime ? Nouvel épisode avec l’entrée en scène de Kano, beau gosse au caractère bien trempé, confronté au test du premier album, Home sweet home. Rencontre à l’issue d’un concert formidable où le jeune Mc, accompagné d’un de ses complices, Ghetto, a joué quelques titres de son album et enchaîné les freestyles joyeusement endiablés.
Chronic’art : Es-tu originaire, comme bon nombre d’artistes de la scène grime, de l’East London ?
Kano : Oui, je viens d’Eastham. Ghetto vit à Plaistow, juste en bas de la route, Demon, avec qui on tourne d’habitude mais qui n’a pu venir aujourd’hui, vient du coin, aussi… On y habite toujours, c’est notre base.
As-tu grandi dans une famille où la musique était importante ?
Mes parents sont d’origine jamaïcaine. J’ai grandi en écoutant du reggae, du dancehall, en même temps que d’autres styles de musique qui venaient de l’extérieur, hip-hop, jungle, garage…
Quand as-tu commencé à écrire, à « spitter » ?
Vers 15-16 ans, j’étais encore à l’école, il n’y a pas si longtemps (Kano vient d’avoir 20 ans, ndlr), en fait !
Ghetto : On s’est rencontrés un peu après, Kano faisait déjà le Mc, ça m’a donné envie alors je m’y suis mis, et on a progressé ensemble.
Quel a été ton premier titre : Boys love girls, produit par Jammer ?
C’est moi qui l’ai produit, en réalité, c’est mon premier titre, il s’intitulait Vice versa, mais tout le monde l’appelait Boys love girls, ça ne me dérangeait pas. Je l’ai fait à 16 ans.
Navré, je croyais que c’était Jammer, c’est parfois difficile de savoir précisément qui est l’auteur quand le titre circule en MP3 ou en white label sans mention précise… Tu as débuté dans les raves et sur les radios en même temps ?
Oui. J’ai commencé sur Flavour, puis sur Deja Vu, des radios pirates FM, j’avais mon émission chaque lundi soir, entre 20h00 et 22h00. Des enregistrements de ce show ont commencé à circuler, les fans sont apparus et se sont multipliés. On faisait aussi le maximum de raves, dès qu’on chopait un flyer et qu’on sentait que c’était bon pour nous, on y allait.
Tu as ainsi pu rencontrer d’autres Mcs et Djs de la scène ?
Oui, à un moment, on était tous sur la même radio, on se retrouvait dans les raves pour se clasher ! Si tu as vu Lord of the mic (DVD sorti en 2004, ndlr), je me chauffe avec Wiley, un duel légendaire…
Et la reconnaissance venant, tu as ainsi pu décrocher un contrat avec 679 Recordings ?
En fait, je n’ai pas attendu d’avoir un contrat pour commencer à travailler sur des titres, un album, j’étais déjà en studio en même temps que la radio et les raves. Je préférais prendre mon temps, avoir suffisamment de bons titres qui me conviennent vraiment, comme l’ont fait Dizzee ou Wiley, avant de trouver un label. Je me sentais en confiance avec 679, alors j’ai signé avec eux.
Savais-tu précisément à quoi allait ressembler ce premier album, avec qui tu allais travailler pour le façonner ?
J’ai choisi certains producteurs en fonction des morceaux que j’avais, d’autres m’ont donné des beats qui m’ont accroché, sur lesquels j’ai écrit de nouveaux flows… A vrai dire, j’avais une idée assez vague, j’ai accumulé les morceaux, et tu te rends compte que 15 titres ne font pas un album, il faut que chacun soit produit d’une façon appropriée… Au fur et à mesure, en choisissant les producteurs, les beats, les Mcs qui figurent sur certains titres, je suis parvenu à cet album, ça a pris une année.
Tu as même ajouté un titre à la dernière minute, je crois ?
Oui, Nite nite, produit par Mike Skinner (The Streets). L’album était déjà masterisé, mais j’ai voulu mettre ce morceau, tellement je le trouvais réussi (ce sera le prochain single de Kano, sortie prévue en septembre 2005, ndlr). J’avais déjà fait un titre avec Mike pour l’album, mais celui-là est vraiment meilleur.
Qui a eu l’idée d’utiliser un sample de George Harrison (I dig love, extrait de All things must pass) pour Reload it ?
Diplo, qui a produit ce titre, est arrivé avec une boucle d’une quinzaine de secondes que je trouvais excellente, j’ai eu le déclic aussitôt pour les lyrics, à cause de ce beat très jungle, ça m’a rappelé quand j’écoutais D Double E il y a quelques années, quand il spittait sur de la jungle, dans les raves, et qu’on demandait au Dj de remettre le morceau pour qu’il continue, de « recharger »…
C’est un titre qui est remarquable, la manière dont tu relates un épisode de l’histoire de la scène Garage… Ton album est très autobiographique, n’est-ce pas ?
Oui, un titre comme Sometimes est explicite, beaucoup de ces chansons prennent source dans mon expérience, je témoigne à travers elles, je commente cette expérience. Je voulais me présenter, tout simplement, à travers cet album, montrer ce que je suis, le plus honnêtement possible.
Comment as-tu construit ton flow ? Tu te distingues de la plupart des autres Mcs de la scène par ta diction, ton phrasé extrêmement précis…
Les mots sont très importants pour moi, je travaille beaucoup mon flow. Parfois, je trouve d’abord un flow, je joue avec quelques mots, puis je construis progressivement. L’énergie vient plus tard, une fois que tout est bien mis en place, le rythme, les mots. J’essaie d’être le plus compréhensible, le plus clair possible, je tiens à ce que le public comprenne ce que je dis. C’est pour ça qu’on me respecte depuis mes débuts, « Mc with good lyrics », pas comme beaucoup qu’on voit partout mais qui n’ont pas grand-chose dans la bouche.
Tu es un songwriter…
Oui, on me demande comment je suis devenu artiste après avoir été Mc mais j’ai toujours été un artiste, dès le départ, j’ai commencé à écrire des chansons, sans cesse…
Et tu es également très doué pour le freestyle, j’étais content de pouvoir le constater durant ton concert.
Je fais ça depuis toujours, et je continue autant que possible, ça fait partie du jeu !
Quels sont tes prochains projets ? De nouveaux singles ?
J’espère en sortir encore au moins deux, faire des vidéos, peut-être une vidéo avec un titre live… Je suis toujours en studio, pour des mixtapes, des trucs avec Demon et Ghetto, pour des films, je continue à collaborer avec d’autres artistes, il y a un titre qui vient de sortir sur la mixtape Lord of the decks 3, Addicted, avec Jammer.
(à Ghetto) A part faire la guest-star sur scène avec ton pote, quels sont tes plans ?
Ghetto : J’ai une mixtape qui sort en août, la meilleure ! Et je suis sur d’autres compilations qui sortent bientôt, des titres qui passent en radio, notamment chez Cameo sur 1xtra (la station dédiée aux musiques urbaines de la BBC, ndlr) sur lesquels je figure également, pas mal de choses… Je travaille sur mon album, à mon rythme. Dès que ce sera prêt, j’essaierai de trouver un label pour le sortir.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Home sweet home.
Remerciements à l’équipe du festival Feedback qui a facilité ces entretiens