A l’occasion de la sortie de Plastic fang, Jon Spencer répond à nos questions sans enthousiasme, décochant laconiquement des réponses courtes et concises aux limites de l’exercice promotionnel rébarbatif. Rien de neuf, on était prévenus. Pourtant le soir même, trois apôtres du garage-rock livraient devant un public à peine remis de l’annonce de ce gig-surprise un concert totalement incendiaire, à Mains d’Oeuvres. Les sceptiques y furent pour leur frais.
Chronic’art : Tu savais que vous alliez jouer ce soir ou ça s’est décidé au dernier moment ?
Jon Spencer : On a décidé ça hier. Ce n’est pas un quelconque arrangement, c’est notre décision.
Mais a priori vous n’êtes ici que pour faire de la promo ?
Oui, encore jusqu’à demain et pour nous c’est très ennuyeux de faire autant d’interviews en si peu de temps…
Vous avez votre matériel habituel avec vous ?
Juste nos guitares et la caisse claire de Russel. Ainsi nous pouvons faire des petits concerts, jouer à la radio…
L’album est moins groovy, moins funky qu’Acme, on dirait que vous voulez retourner vers des bases classiques, l’influence des Rolling Stones 70’s est là…
C’est un disque de rock’n’roll classique et droit. L’influence des Stones est évidente, il y a toujours eu cette influence chez le Blues Explosion, c’est très profondément ancré en nous. Mais même si nous restons des fans invétérés des Stones, nous avons aussi beaucoup écoutés de musiques des années 70… Steve Jordan, le producteur qui a bossé avec les Stones et qui a produit les disques solo de Keith Richards, a produit ce nouvel album. La connexion est bien là. Quoique ce n’était pas notre intention de faire un tribute aux Stones à la base.
SI tu devais le comparer aux précédents… ?
Il y quelques similarités, mais il est moins funky, moins fou, moins expérimental, beaucoup plus direct.
Etait-ce une option nécessaire après les multiples collaborations qui faisaient une partie du charme de Now I got worry et Acme que de vous retrouver dans une fraternité de groupe ?
Ce n’était pas nécessaire, juste ce que nous avions envie de faire.
Ca pourrait passer pour une régression…
C’est certes un retour aux fondamentaux, mais c’est aussi une manière d’avancer. Nous étions plus détendus, et ce que nous avons enregistré a plus de swing et de souplesse. Steve Jordan y est pour beaucoup.
C’est probablement votre disque le plus classique, le moins explosif…
Il est très agréable, il sonne très bien, les instruments sont très bien enregistrés et j’ai beaucoup de plaisir à l’écouter. Mais c’est aussi un disque brut et rock, avec du bruit et de la folie. Mais peut-être que la mise en forme sonne plus professionnelle : là encore chapeau à Steve Jordan.
Vous avez même invité Dr John…
Oui, Dr John joue de la guitare sur Hold on, il y a aussi Bernie Worrell de Parliament. Nous avons eu des invités charmants.
Finalement, vous trouvez toujours des guest-stars de luxe… Mais vous aviez aussi collaboré avec des contemporains comme Calvin Johnson, Alec Empire ou Money Mark. Il y a eu aussi Rufus Thomas…
… et RL Burnside. Ces gens sont des dieux pour nous !
Ce n’est jamais prémédité, vous n’avez pas une liste ?
Vraiment non, ça se passe ou ça ne se fait pas. Les types viennent et font leurs trucs. Pour Dr John, c’est Steve Jordan qui nous a suggérés que sa présence ajouterait quelque chose au morceau concerné. Et comme ils se connaissent, ça s’est fait et ça sonne très bien en effet.
Vous aviez d’autres souhaits ?
Sur ce disque, nous avons essayé de faire un truc avec Ike Turner, mais c’est tombé à l’eau.
En tant que fan, tu aimerais sans doute travailler avec d’autres personnes, n’est-ce pas ?
(bâillements) Forcément…
Des noms ?
On devrait peut-être refaire quelque chose avec David Holmes. Il a des influences qui couvrent un spectre très large…
Le but serait donc d’agir comme un filtre pour amener aujourd’hui des choses du passé ?
Oui, c’est ce qu’on a fait.
Ces derniers temps la démarche d’un groupe comme les White Stripes que vous avez probablement influencé tend vers la même chose…
Oui c’est vrai, on n’arrête pas de me parler des White Stripes, des Strokes, de The Hives. Ce ne sont pas de mauvais groupes et je suis content que les gens écoutent du rock’n’roll à nouveau.
Fais-tu la différence entre les Strokes qui sont très hype et les groupes de Detroit qui ont l’air plus honnêtes ?
Ils sont tous honnêtes à leur manière. Les Strokes ont tout de suite eu une hype énorme. The White Stripes ont travaillé pendant des années… enfin je leur souhaite tous beaucoup de succès. The Von Bondies par contre sont atroces, qu’ils aillent se faire mettre ces pouilleux ! Il y a certains groupes qui sont juste pop mais ils sont bons, et si le rock est à la mode c’est bien, rien de mal à ça.
Achètes-tu encore beaucoup de disques ?
Plus autant qu’avant. Maintenant que je suis un père de famille, je n’ai plus autant de temps libre et l’argent est utilisé à d’autres fins.
Quelle est le pourcentage de vieux disques dans tes achats…
La majorité, mais je ne fais pas vraiment de distinction à part celle entre ce qui est bon et ce qui ne l’est pas. Il y a ce groupe à New York, The Yeah-Yeah-Yeahs, on va tourner avec eux en Europe, ils sont jeunes. Je suis allé les voir en concert, j’ai acheté leur disque et quelques semaines après je les ai appelés en leur disant : « J’aime votre disque, voulez vous partir en tournée avec nous ? ». Ils sonnent comme Suicide, le garage, le rockabilly, la no-wave. Très New York. Il faut se souvenir qu’à toutes les époques il y a toujours eu de la musique intéressante, mais il faut que les gens aillent au charbon, creusent par eux-même, ne se contentent pas de prendre ce qu’on leur apporte sur le plateau de la hype, c’est comme ça que l’on trouve les bons disques. Créer ton propre label, ton propre groupe c’est la même chose.
Si tu étais à notre place, comment décrirais-tu Plastic fang ?
Un grand classique, et non pas simplement un grand disque de rock’n’roll classique.
Pour en revenir aux Stones, vous aviez enregistré l’intégralité de Exile on main street du temps de Pussy Galore…
On l’a fait et il est sorti sur notre propre label, une édition limitée à 500 copies. Depuis, il a été constamment piraté, si tu cherches bien tu peux encore le trouver…
Comment tes motivations ont-elles évolué depuis que tu as commencé à faire de la musique ?
Je crois que la principale différence, c’est que lorsque j’ai commencé Pussy Galore, j’avais beaucoup plus de haine en moi, je suis toujours en colère aujourd’hui mais je ressens moins de frustration par rapport à la musique. Cela dit je ne suis toujours pas un bon guitariste ! (rires)
Je n’en crois pas un mot.
J’aime toujours faire des bruits odieux avec ma guitare.
Sur scène, vous ressentez toujours la même source d’énergie irrationnelle qu’est le rock’n’roll ? Il y a toujours le même degré d’électricité ?
Oui, c’est l’électricité qui circule entre nous trois. La musique.
Tu t’imagines jouer en groupe avec d’autres personnes que Russel et Judah ?
Je joue souvent avec d’autres personnes : récemment j’ai joué avec Rorschach et j’ai fait un disque avec Cody et Luther Dickinson. J’ai une certaine expérience pour ce qui est de jouer avec d’autres groupes mais le Blues Explosion, c’est nous trois, c’est de l’alchimie…
Pourquoi as-tu coupé ta barbe? Tu avais une sacrée classe…
Elle était grande l’hiver dernier, je l’ai gardée pendant des mois, j’aimais ça mais quand il a fait plus chaud j’ai dû la raser. Ma femme ne l’aimait pas. J’ai essayé de la refaire pousser à nouveau cet hiver, mais elle n’était pas aussi bien alors il y a dix jours, avant de partir, je l’ai rasée pour de bon…
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Plastic fang