Jean-Louis Murat a la joie de vous présenter Mustango, bébé chaleureux et inattendu, né de ses amours avec des musiciens du Nouveau Monde (Marc Ribot, Harvey Brooks, Winston Watson, membres de Calexico, ou Elysian Fields). Entretien avec l’heureux papa, encore sous le coup du baby-blues.
Chronic’art : Combien de temps a pris l’enregistrement de Mustango ?
Jean-Louis Murat : En gros, tout s’est déroulé pendant mon séjour aux Etats-Unis, qui a duré quatre mois… Dont un bon mois sur l’enregistrement même du disque. Le travail a été effectué en pointillé : lorsque je trouvais une équipe de musiciens, je louais un studio et on enregistrait. Cela s’est passé entre New York, principalement, et l’Arizona.
C’est plus facile de travailler à New York, sans doute ?
Non, non. Je suis arrivé à Tucson en hiver, il y avait une profusion de studios libres. Il faisait bon et comme on n’est pas trop loin de Los Angeles, Tucson fourmille de musiciens.
Mustango est né à l’étranger. Est-il, par conséquent, une sorte de carnet de voyage ?
D’une certaine façon, on peut le dire, même si j’avais ébauché le cadre des chansons en France. A l’exception de trois ou quatre, peut-être. J’attendais de vivre là-bas cependant pour fignoler mes textes, pour les adapter… Au final, j’aurai beaucoup de mal à démêler ce qui vient de France et ce qui vient des USA.
Enregistrer outre-Atlantique était un vieux rêve ?
Je n’arrivais pas à envisager de travailler en France. Pendant longtemps, j’étais tenté par l’Egypte. J’y avais passé un moment agréable au cours de l’année, j’avais envie d’y retourner, mais cela posait trop de problèmes. Lorsqu’une opportunité de partir aux USA s’est présentée, je l’ai saisie au vol. L’ingénieur du son avec lequel j’ai toujours collaboré a la double nationalité et s’était installé définitivement à New York. Ça m’a servi de prétexte, même si au bout du compte, nous n’avons pas travaillé ensemble cette fois. A New York, j’avais loué un loft appartenant à un artiste japonais. J’ai passé l’essentiel de mon temps, hors musique, à peindre et dessiner. Tous les soirs, je sortais, j’allais à des concerts. Lorsqu’un groupe me plaisait, je filais les rencontrer backstage, avec ma pile de disques et ma bio en anglais. Je leur donnais mon e-mail, on se recontactait et cela se terminait en studio.
Comment jugez-vous Mustango par rapport aux albums précédents ? C’est votre meilleur, votre préféré ?
J’espère que c’est le meilleur, bien que j’ai un peu de mal à juger mon travail. A l’inverse du précédent, Dolorès, qui était surtout un album que j’avais fait pour moi, Mustango est plutôt pour les autres. Je pensais à mon public en l’enregistrant, en chantant les chansons… Qu’en reste-t-il ? C’est à voir, mais, cette fois, je n’ai pas trop pensé à moi.
On aimerait en savoir plus sur les coulisses de ces nombreuses collaborations…
J’ai travaillé avec au moins 25 artistes, solos ou membres de groupes. Je possède deux-trois versions de chaque chanson, enregistrées avec des équipes différentes et j’ai gardé les meilleures à mon avis. Les bons ou les mauvais souvenirs en studio dépendaient surtout de moi. Ça m’est arrivé de faire une erreur de casting. J’ai entendu des centaines de musiciens lors de concerts et il fallait que je choisisse parmi eux et parfois, je me trompais.
Des refus ?
Un. Je me suis fait jeter une fois. Par un artiste qui, lorsqu’il a pris connaissance des gens avec qui j’avais enregistré -dont certains de ses amis- a essayé de rattraper le coup. Il m’a envoyé des e-mails d’excuses, m’expliquant qu’il avait trop bu ce soir-là, mais le charme était rompu. C’était terminé de mon côté. J’avais pourtant écrit une chanson pour lui, sur lui, même… et il m’a jeté. Enfin, ça forge le caractère ! (rires)
Déjà 10 ans de carrière.
Je dirais 10 ans d’actif, sans compter les années de réserve, de galère, les passages dans des groupes. Je trouve plutôt pas mal de faire un peu de promo pour ce disque, que je sorte un peu, car il est temps que je fasse le point. Je n’avais pas encore réfléchi à ce cap des dix ans et rencontrer tous ces gens qui le mentionnent me force à dresser le bilan. J’ai besoin de savoir où j’en suis : en tant qu’artiste français, avoir fait ce disque… Je me demande parfois pourquoi chanter. J’étais très excité par Mustango et maintenant qu’il est terminé vient le temps de…
C’est le baby-blues.
(éclate de rire) Peut-être ! On peut le dire, oui. Ce matin, avant d’attaquer les interviews, je me disais que cette période n’était pas franchement la meilleure pour la promo. Je me sens un peu couci-couça, je ne sais plus trop où j’habite. Je ne suis pas rentré depuis longtemps et déjà, je me retrouve dans cet hôtel… On me pose des questions sur l’album, mais je ne me souviens plus des détails…
Foutue promo.
Pourtant, il faut en venir à bout, même si ça tombe toujours mal. En plein baby-blues, au moment où je ne sais plus trop bien quel disque j’ai terminé. J’attends de savoir ce que les gens en pensent. Je n’ai pas eu de retour pour l’instant. J’ignore à quoi ressemble Mustango.
Il est mignon, tout petit, tout rond, dans un boîtier carré.
(rires) Et en plus, il fait du bruit.
Sur l’album se trouve Polly Jean, un hommage à Miss Harvey. Ce titre m’est apparu comme un fantasme et un rêve de gamin… Que s’est-il passé à Saint-Malo l’été dernier ?
J’étais dans le public, j’avais vu plusieurs dates de sa tournée, mais le concert de Saint-Malo a été spécial pour moi. La douceur de l’air, les étoiles filantes. Je me tenais juste devant et soudain, au-dessus de la scène, est passée une étoile filante plus grosse que les autres, énorme.
Dans un rayon de quelques mètres autour de moi, le temps est resté suspendu. On se demandait si l’étoile s’arrêterait ou bien si elle visait PJ. J’ai écrit un texte sur mon site Internet où je disais en substance que l’étoile était le doigt de Dieu et qu’il nous signifiait : « Voilà ma fille ». Le concert a été superbe… Mon souvenir le plus vif de cette soirée -j’ai écrit la chanson en rentrant- était son collant rouge, que j’ai transformé en galurin rouge, mais ce collant rouge dans cette nuit étoilée bleu profond… J’ai toujours été un grand fan mais je n’ai pas osé sauter le pas. J’avais pris tous les contacts pour la joindre, afin de travailler avec elle pourtant. Elle m’impressionne trop. C’est la fille la plus douée de sa génération. On s’extasie sur Björk qui a un côté crispant… elle me fait penser à cette nana qui chante pour les gamins.
Chantal Goya ?
Oui. Chantal Goya… Elle est toujours là à minauder. Gnagnagna, Ayaya Ayouyou… (rit après cette splendide imitation). Mais PJ. Et son collant. Il m’a pour ainsi dire dicté la chanson.
Enfin liquidée l’image de garçon romantique ?
(soupir) Ce n’est pas moi qui ai lancé ça. Le public et les médias ont toujours envie d’un gars romantique et il faut qu’ils en trouvent un. A un moment, ça m’est tombé dessus. Maintenant, le public a évolué et se fiche de ces concepts très années 80. Ou bien, le rôle a échu à un autre.
Votre définition du romantisme.
(longue réflexion)… Une sorte de pessimisme gai.
Et échevelé.
Très important, le côté échevelé, mais ça reste une forme de pessimisme emballé par l’entrain. Ca me fait penser aux filles, que j’aime quand elles sont dans ce genre-là. Bon, avant tout, je préfère l’intelligence, mais chez toute fille intelligente, il y a aussi un fond de pessimisme. Ce mélange de joie de vivre et de noirceur est irrésistible, extra.
Nu dans la crevasse, tranche de surréalisme, sort d’où ?
Pour être primaire, je dirais que j’ai écrit Nu en rentrant d’une mauvaise semaine à Val d’Isère. J’y parle des remonte-pentes, des pistes, du Trophée des Glaces. J’y mentionne la jeune fille qui bossait aux remontées mécaniques. L’origine de la chanson est là, et après c’est parti dans toutes les directions. La chanson durait initialement 20 minutes : une fois lancé, je ne pouvais plus m’arrêter.
Votre opinion sur la French Touch ?
Exporter un peu ne peut pas nuire à la musique française. Ce que je n’aime pas trop, c’est la vision qu’on en a de l’étranger : une musique minimale, jugée un peu comme l’est la peinture naïve. En gros, on est perçus comme un pays de nains faisant de la musique de Teletubbies.
Ne critiquons pas le Teletubby !
C’est vrai que le Teletubby a son charme, mais c’est agaçant que la France soit perçue comme un pays petit et nostalgique. Les étrangers aiment ça chez nous : ils nous voient comme des grandes gueules, des personnages grandiloquents et notre musique est tout sauf grande gueule. Ce que je trouve gênant, également, c’est que la French Touch est une musique facile et pas chère, un peu dictée par le business. Ça ne coûte pas cher et ça peut rapporter gros : le rêve des maisons de disques. Ca veut aussi dire que de nombreux artistes qui font autre chose sont éclipsés et sans contrat pour l’instant.
Trouvera-t-on un jour des bidouilles électroniques sur un disque de Jean-Louis Murat ?
Il y en a eu déjà beaucoup. Je pense tourner à partir de l’automne prochain et j’aurai recours à des bidouillages sur scène. J’ai commencé à répéter avec un collaborateur de Air, justement, un type de 22 ans. Je lui ai fait écouter des trucs à moi, vieux de quinze ans, enregistrés avec une bande de copains, des boîtes à rythmes et des synthétiseurs. J’aime bien me sentir capable de tout faire moi-même ou de rester seul en scène au piano ou avec une guitare acoustique. Je ne veux pas me sentir limité par la technologie. Un concert fait à partir de machines est franchement chiant. 100% chiant ! A New York, j’ai vu Gus Gus, dont j’adore les disques, eh bien sur scène, je les ai trouvés chiants comme la pluie. Le son était si fort qu’ils ont quasiment vidé la salle en une demi-heure. C’était de l’agression sonore. Sur scène, ils portaient des boules Quiès et des casques. Pareil pour Underworld. Le public amène ses boules Quiès pour ne pas finir sourdingue. Ce côté-là m’énerve : c’est fasciste de vouloir nous exploser les tympans ! Underworld faisait trembler les murs. Je connais des Anglais qui bossent avec eux. Ils me racontaient que leur DJ a une oreille morte et un tiers d’audition dans l’autre. Ils sont fous. Totalitaires.
Des souvenirs de votre toute première scène ?
Oh ! oui. J’étais avec un groupe. On était quatre, je jouais de la guitare et je chantais quelques morceaux. Il y avait une batterie, une basse, deux chanteurs-guitaristes. Le deuxième chanteur, mon pote Alain, qui avait 17 ans à l’époque, était mort de trouille. Dès le premier morceau, il a cassé une corde. Il s’est alors appuyé contre son ampli, totalement pétrifié, mort d’effroi et n’a plus rien fait du concert. J’ai dû me démerder tout seul ! Depuis, mon leitmotiv en concert avec les musiciens, c’est « prévoyons le pire, nous ne serons pas déçus ». Pauvre Alain !
Murat et Internet ?
J’ai un site assez important depuis un an. J’ai été un peu sauvé par le Net : quand ça ne va pas, les gens sont là, à portée de clavier. Cette année, j’ai donné un inédit en MP3 tous les mois. Il y a aussi des sites de fans me concernant qui sont très actifs. Mustango s’est beaucoup fait via Internet : les contacts avec les musiciens, ceux que je continue d’entretenir avec eux, la visite des studios… Je m’en sers énormément.
Si vous n’aviez pas chanté, où vous trouverait-on aujourd’hui ?
Je n’aurais été ni salarié, ni fonctionnaire. Je ne sais pas quelle autre forme d’expression j’aurais pu choisir. La chanson est une forme assez facile finalement. Ça n’empêche pas d’écrire à côté. Sinon, je crois que je serais devenu paysan. Quand j’ai signé chez Virgin, c’était moins une. J’avais fait une demande d’immigration pour l’Australie en passant mon diplôme agricole, je voulais m’installer là-bas. Pendant un moment, j’ai un peu regretté. S’il n’y avait pas eu Virgin et ce contrat, je partais. Ça a tenu à peu de choses. Je crois qu’on est jamais vraiment responsable de ce qu’on devient : la vie joue avec nous. Ou se joue de nous.
Propos recueillis par
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