Rencontre sur le pouce avec James Yorkston dans le tumulte d’un hôtel du Marais, pour ce qui restera dans les annales souterraines comme sa première interview française. Il vient de publier le superbe Moving up country, qui renoue avec le meilleur du songwriting écossais, dans une tradition folk britannique issue de la charnière des années 60 et 70 animée par des songwriters merveilleux comme Nick Drake, Richard Thompson, John Martyn, Anne Briggs, Vashti Bunyan, Bert Jansch ou Dick Gaughan. Une découverte salutaire.
Chronic’art : D’où venez-vous toi et ta musique ?
James Yorkston : Je viens d’un petit village qui s’appelle Kingsbarn, porche de Saint Andrews, célèbre pour le golf. J’ai déménagé à Edimbourg il y a dix ans et je vis là-bas depuis. Ma musique combine songwriting et folk traditionnel.
Ecoutais-tu la musique de John Martyn ou de Bert Jansch étant jeune ?
Je ne pense pas que John Martyn fasse du folk traditionnel bien que Bert Jansch en fasse. Ce n’est qu’à l’âge de 15 ans que je me suis mis à écouter du folk traditionnel comme Anne Briggs. D’abord en écoutant la radio. Mais je viens d’une famille plutôt musicale. Lorsque mon père était en Irlande, il chantait des chansons traditionnelles écossaises dans les pubs. Je pense toutefois que je me suis intéressé tout seul à ce genre musical.
On retrouve des qualités intemporelles au sein de ce premier album. Reflètent-elles ce refus de compromis que tu évoquais ? Cet album aurait pu être enregistré, il y a 40 ans. Et dans 20 ans, il sera toujours aussi classique…
C’est volontaire. Je ne voulais pas utiliser de nouvelles technologies qui sonneront datées d’ici quelques années. Je me la joue pas rétro pour autant. Cet album a d’ailleurs été enregistré sur ordinateur avant que nous le transférions sur une vieille table de mixage. Les microphones étaient aussi modernes, mais je ne voulais pas utiliser des effets qui sonnent trop à la mode pour être obsolètes d’ici peu. Je voulais que cela reste dépouillé et que les instruments parlent pour eux-mêmes, que ce soient le bazouki, la sitar, les violons, l’harmonica, les guitares acoustiques et la double basse. Je voulais qu’ils ressortent, sans ces effets tape à l’oeil qui caractérisent bon nombre de productions actuelles.
Où a été enregistré cet album ?
Domino m’a demandé comment je voulais enregistrer cet album. Je voulais le faire moi-même, alors j’ai loué un cottage à la frontière écossaise. Nous nous y sommes installés durant un mois. Avec tout le matériel, un ordinateur, des micros, une console de mixage. C’était extraordinaire. Il y avait un lac pas loin, des forêts, mon téléphone ne marchait pas, il fallait que je marche vingt minutes à travers la forêt, pour atteindre le sommet de la colline. Beaucoup de boissons également…
As-tu des disques de référence ?
Non, pas vraiment. Si ce n’est que j’aime beaucoup le son des premiers albums des Pogues. Leurs deux premiers disques en particulier. Ils sonnent très bien, les instruments y sont dépouillés et secs. J’aime aussi D’Gary de Madagascar. Je jouais de la basse avant de me mettre à la guitare, il y a trois-quatre ans. C’est lui qui m’a donné envie de jouer de la guitare. J’ai beaucoup d’influences mais ça ne transparaît pas sur le son de cet album. Anne Briggs, Gram Parsons, Jacques Brel, je l’adore. Les influences habituelles en quelque sorte…
Comparée à celle de certains songwriters américains, ta musique paraît plus subtile. Elle rappelle bien entendu celle de Nick Drake, de Vashti Bunyan, de John Martyn…
Je connais Vashti ! Elle habite à Edimbourg. C’est une amie de Simon Raymonde qui produit son album et je suis en train d’écrire des morceaux pour son prochain disque. Simon a aussi produit mon album. Lorsqu’il m’a dit qu’il avait produit l’album de Vashti Bunyan, mes yeux se sont éclairés. Je l’ai rencontré et je dois lui écrire deux morceaux. Elle m’a fait écouter ses enregistrements récents, ils sont extraordinaires. J’étais plutôt soucieux, mes tracas se sont très vite estompés. Les paroles ne sont pas aussi hippies que sur Another diamond day, mais la musique est assez similaire. Vashti est géniale.
Comment s’est passé la rencontre avec Domino ?
J’étais sur le point de signer avec Play It Again Sam (PIAS). Mais le contrat tardait à arriver. Ce n’était pas un bon contrat selon mon avocat. J’avais rencontré Lawrence de Domino dans un pub, par hasard. J’étais avec un ami et nous rencontrons ce type, nous avons commencé à parler de musique… On s’est très bien entendus et on a bien bu. On a terminé la soirée dans l’arrière-salle d’un bar, à jouer des chansons de Gram Parsons au piano. C’était une chouette soirée. Je lui ai ensuite envoyé une démo, sans savoir exactement ce que faisait Domino. Je pensais avoir déjà un deal, donc je ne lui ai pas envoyé ça dans l’idée de signer un contrat. Je lui ai envoyé ce disque réalisé avec certains de mes amis, réunis sous le nom de The Fence Collective dont Lone Pigeon. Lawrence s’est montré intéressé. Mais je pensais déjà avoir signé ailleurs, lorsque mon avocat m’a informé que le contrat n’était pas correct. Lawrence est venu me voir. Et le contrat a été signé de manière quasi instantanée. J’ai signé pour trois albums. Mon deuxième album est déjà pratiquement terminé.
Tu viens de rentrer d’une tournée américaine. Quels sont tes futurs projets ?
J’ai tourné cet été en Ecosse et au Royaume-Uni, je reviens en Europe à la rentrée. J’ai fait beaucoup de festivals. Ensuite, je pense retourner aux Etats-Unis. J’aimerais aussi jouer aux Transmusicales de Rennes, j’avais beaucoup aimé cette ville.
Vois-tu un aspect éminemment écossais dans ce que tu fais ?
Dans une certaine mesure, ce qui se fait à Fife actuellement, avec King Creozote, Lone Pigeon et les gens de Fence Records participe à cette nouvelle identité musicale écossaise. Beaucoup de choses se passent actuellement au sein de cette scène de Fife et du label Fence. C’est une forme de réaction d’autodéfense envers la médiocrité musicale britannique actuelle.
Penses-tu que ton environnement est favorable à ta musique ?
Oui, au début, je pensais enregistrer à Fiffe, mais les locations de cottage étaient trop élevées, à cause du golf et de toutes ces choses… Alors on a enregistré en pleine campagne. Je suis originaire de la campagne moi-même, d’un petit village de 150 habitants, donc mon environnement a forcément déteint sur cet album. Même si Edimbourg est une ville agréable et ouverte, comparée à New York. C’est une ville magnifique. Dans le village de mon enfance, c’est la radio qui m’a sauvé. J’écoutais John Peel et Andy Kershaw, l’occasion de découvrir ce qui se passait ailleurs que dans mon trou… C’est eux qui m’ont aussi fait découvrir plein de choses, Willie Nelson, Gram Parsons, Johnny Cash… Ils ont été remarquables en ce qui concerne mon éducation musicale. Je leur dois tout.
Lire notre chronique de Moving up country