Créé à l’initiative de l’association Racines et d’une journaliste de RFI, Catherine Ruelle, le Festival Racines Noires vient de présenter du 4 au 11 avril sa nouvelle édition au Forum des Images à Paris. Un festival entièrement consacré à la production audiovisuelle des peuples noirs du monde entier. Une petite fenêtre ouverte sur des images souvent ignorées en provenance d’Afrique essentiellement, mais aussi de Cuba.
Voilà un festival qui mériterait d’attirer davantage l’attention tant il est de plus en plus rare d’assister à la projection de films africains. Pourtant cette deuxième édition du festival (si l’on excepte le programme « Brésil… Noir » de l’an passé) brille tout d’abord par l’absence du public. La plupart des films diffusés l’auront ainsi été devant un parterre réduit à une poignée de spectateurs. Le moins que l’on puisse dire est que la communication du festival n’était certainement pas à la hauteur de son ambition. Mais la question est peut-être ailleurs, allez savoir…
Retours au pays
L’hommage à Djibril Diop Mambety, parrain de la première édition du festival, avec la présentation du très beau La Petite vendeuse de soleil, reflète peut-être la quasi-inexistence de la fiction africaine. Derrière le travail du maître, il est difficile de pouvoir apprécier des courts métrages aussi indigents que Kinkeliba et biscuits de mer (1998) d’Alhamdou Sy, Ganaw Ker (1999) d’Alassane Diagne ou Un Thé au Sahel (1998) de Mahamat Saleh Haroun. Ce dernier réalisateur est toutefois l’auteur d’un long métrage bien plus intéressant : Bye, bye Africa (1999). Journal intime du cinéaste qui retourne dans son pays (le Tchad) à la mort de sa mère, le film mélange habilement le réel à la fiction. Lors d’une scène où Haroun retrouve l’une des actrices qu’il a fait jouer lors d’un précédent film traitant du sida, celle-ci explique qu’elle est désormais considérée par tous comme séropositive et rejetée tel un paria. La fiction contamine ici littéralement la réalité et devient alors progressivement dangereuse. Dès lors qu’Haroun refuse de coucher avec elle sans préservatif, son personnage est lui-même pris au piège de sa propre imagination. Mais par la même occasion, le cinéaste s’embourbe vers la fin dans une impasse théorique digne des derniers Wenders. Dommage.
Loin de ce débat sur la fiction, la sélection fait surtout la part belle au documentaire, du dispensable Diaspora conversations (2000) de Mantha Diawara au plus formidable L’Esprit de Mopti (1999) de Moussa Ouane (diffusé sur Arte le lundi 17 avril), les films laissent transparaître en tout cas une implication personnelle parfois très forte, telle cette Lettre à Senghor (1998) de Samba Félix Ndiaye ou Un Rêve d’indépendance (1998) de Monique Mbeka Phoba. Le rapport à l’histoire africaine s’y dessine alors subrepticement dans une fêlure intime. (A) part of me (1998), court essai d’un jeune étudiant anglais de cinéma, représente à cet égard le point de non-retour. Carl Callam filme, sans jamais s’exposer, sa famille blanche d’adoption et en contrepoint une conversation téléphonique avec sa mère biologique. Lorsque son frère de lait lui avoue qu’il n’est pas un Noir comme les autres, le réalisateur reste placide, là où le frisson court l’échine du spectateur.
Mais la vraie surprise du festival reste la projection des films du Nigérien Mustapha Alassane. En 1966, il réalise deux films extraordinaires : Bon voyage, Sim un court métrage d’animation et Le Retour d’un aventurier un moyen métrage de fiction. Ces deux œuvres expérimentales sont particulièrement jubilatoires. La première, par l’accélération de la bande-son et son dessin au marqueur, séduit notamment grâce aux moyens utilisés. La seconde, véritable western parodique situé quelque part entre le Godard des années Mao et le Garage hermétique de Moebius, subvertit le film ethnographique qu’il est censé être. Le réalisateur développe l’histoire d’un jeune homme revenant d’Europe qui donne à ses amis des panoplies de cow-boy et forme une bande qui terrorise les habitants du village. Derrière la fable se cache une vraie satire de la fascination africaine pour le mode de vie occidental. Un petit bijou.
Cubanissimo
Si les films africains se taillent la part du lion dans la programmation, Racines Noires se veut toutefois, comme l’indique son sous-titre, une « rencontre des cinémas du monde noir ». Ainsi, une sélection de films cubains complète le programme. C’est dans une salle comble que sont projetés les deux documentaires sans grand intérêt de Santiago Alvarez sur les musiques cubaines (Para bailar a la Habana et La Isla de la musica). De petits films télévisuels réalisés en 1998 qui ne doivent leur succès qu’à la mort de son auteur et plus probablement à la déferlante latino suscitée par le très supérieur Buena Vista Social Club de Wim Wenders.
Enfin, une curiosité plus qu’exotique : Maria-Antonia (1990) de Sergio Giral, est un mélodrame tout ce qu’il y a de plus classique mais dont la facture plastique évoque aussi bien la blaxpoitation des années 70 que l’univers d’Arturo Ripstein. A la chatoyante sensualité dégagée par les corps répond une attirante bestialité dans un aller-retour plus que tragique où la comédienne Marucha Hernandez fait preuve d’un magnétisme redoutable. Charmant.
Face à la diversité des films présentés, Racines Noires représente un défrichage intéressant à défaut d’être véritablement passionnant, car d’un continent à l’autre, d’une langue à une autre, les films « Noirs » constituent encore un univers à explorer et surtout à soutenir.
Racines Noires se prolonge jusqu’au 18 avril au MK2 Quai de Seine (Paris) avec un panorama du cinéma haïtien et une rétrospective Raoul Peck, puis ensuite au cinéma L’Ecran à Saint-Denis (93).