Alors que l’on pouvait s’attendre à une conversation bien sage sur les nouveaux espaces des musées d’art moderne (MoMA, Tate Moderne et Beaubourg) entre conservateurs et directeurs desdits musées, architectes, historiens de l’art, etc., les interventions ont rapidement pris des allures de « pour ou contre la Tate Modern ».
L’accrochage thématique de la Tate Modern pose problème. Du moins à Werner Spies, actuel directeur de Beaubourg, et à Kirk Varnedoe, conservateur en chef du MoMA. Ce sont eux qui ont entamé cette journée-débat du Louvre et leurs interventions n’ont pas laissé planer le doute : pour s’adresser au plus grand nombre, une présentation historique est nécessaire. Werner Spies insiste sur la nécessité de faire œuvre de politique culturelle et d’assumer ses responsabilités d’historien de l’art lorsque l’on dirige un musée comme celui du centre Georges-Pompidou. Il s’agit alors d’être à la fois suffisamment clair et didactique, et de servir l’art en en montrant toute sa force. Pour ça, Werner Spies considère que « seul l’accrochage historique permet de conserver et de visualiser la violence inouïe de l’avant-garde ». Et de conclure qu’un accrochage thématique ne sert qu’à masquer momentanément les faiblesses d’une collection. A bon entendeur…
Si Kirk Varnedoe consacre le début de son intervention à l’explication des futurs travaux de réaménagements du MoMA, c’est pour torpiller rapidement l’idée selon laquelle un accrochage chronologique serait étroit et forcément faux historiquement -puisque présentant des mouvements picturaux qui se succéderaient en ordre régulier-, alors qu’un accrochage thématique (on y revient !) semblerait plus intelligent. Développant une idée déjà avancée par Werner Spies, Varnedoe explique que la thématisation donne à la collection permanente la force de l’exposition temporaire et place alors le musée dans une logique presque commerciale incitant le visiteur à revenir ; mais, est-ce une si mauvaise incitation ? Et de conclure, plus politiquement correct que son prédécesseur, que les collections très importantes du MoMA et de Beaubourg donnent à ces institutions des obligations que la Tate Modern ne peut pas se permettre de tenir.
Le directeur du musée londonien, Lars Nittve, loin de s’émouvoir de ces quelques remarques, se félicite d’avoir à ses côtés des personnes aussi convaincues que ses deux voisins et reconnaît que son musée présente de grosses lacunes dans sa collection en ce qui concerne la première moitié du XXe siècle. Il assure d’ailleurs que cet accrochage n’est pas idéologique bien qu’il reconnaisse qu’une collection plus riche ne lui aurait pas fait adopter d’autres choix. Il lui semble cependant que l’accrochage chronologique n’est pas si transparent qu’il pourrait paraître et qu’il implique, pour le visiteur, de parcourir méthodiquement tout le musée afin de pouvoir comprendre l’enchaînement des mouvements tels qu’ils se trouvent présentés.
Le président de Beaubourg, Jean-Jacques Aillagon, se réjouit quant à lui des différentes propositions que peuvent apporter tous ces musées, allant dans le sens de Lars Nittve qui faisait remarquer que le public était trop habitué à un accrochage historique. Des multiplicités d’accrochages d’accord mais pas n’importe lesquels ; Aillagon conçoit le musée comme « un lieu de résistance à la superficialité » qui doit pour ça ne rien céder à ce qui pourrait se rapprocher d’une idée du zapping. Il semble que le centre Georges-Pompidou, grâce à son accrochage historique (et non chronologique), ne tombe pas dans ce travers, « donnant à voir l’Histoire au public ». Est-ce grâce à cette rigueur que Beaubourg enregistre cette année un bilan que son directeur qualifie de très positif ? La longue absence, durant laquelle le Centre s’est offert une deuxième jeunesse, ne l’a donc pas fait oublier des visiteurs ; il faut rappeler les expositions en régions orchestrées par Beaubourg qui ont permis de garder le contact avec le public. Cette tentative ne va pas rester isolée puisque a été annoncée ce jour-là la décision d’ouvrir un satellite du Centre en province. Avec quel accrochage ?
Une journée-débat sur le thème « MoMA, Tate Gallery, musée national d’Art moderne – nouveaux espaces » a eu lieu mercredi 7 juin 2000 dans le cadre du cycle « Musée-Musées » organisé par le Louvre. Sont intervenus : Jean-Jacques Aillagon, Jean-François Bodin, Jean-François Chevrier, Catherine Grenier, Harry Gugger, Alanna Heiss, Glenn Lowry, Jean-Hubert Martin, Lars Nittve, Jean-Pierre Salgas, Werner Spies, Harald Szeemann et Kirk Varnedoe. L’enregistrement sonore de cette journée sera consultable à la médiathèque du Louvre.