A l’occasion de son nouvel album en bacs, « Coco douleur », édité sur Tsunami-Addiction, Hypo s’est laissé interroger en mode ouverture. Evoquant aussi bien ses univers cataplasmiques que ses rencontres créatives, Monsieur Keyeux savate la diablerie Sacem et autres SDRM, parle d’une moitié de Daft Punk et revient sur ses pas (Active Suspension, Spymania) pour mieux se projeter vers l’avant. Ce chef d’orchestre protéiforme gère bien sur sa carrière, repassant peurs et amours, vols et emprunts, constructions et détournements… Aprés Random Veneziano, Karaoke a capella, puis son duo avec EDH, The Correct use of pets, son nouvel opus voit à nouveau défiler – avec brio – une pléiade d’invités aspirés par son vortex sonore, de Kumisolo en passant par EDH, ou encore Olamm… Rencontres sonorisées, échanges et inspirations, puis explications et complications. Un album superbement varié, mais cependant toujours à l’image de son (pro)géniteur. Micros, douleurs et cocos sont au programme – ATTENTION : concert à la Machine du Moulin Rouge (03.06.10) annulé.
Chronic’art : Tu as toujours revendiqué un travail de confrontation, de juxtaposition et de décontextualisation dans ta musique, et ce depuis tes débuts. Coco douleur est-il un aboutissement de ton travail ? Une sorte de bilan, dix années après ton premier album Kotva ?
Hypo : Un aboutissement, je l’espère, mais comme chaque disque se doit de l’être pour être réussi. Un aboutissement du travail, oui, mais surtout pas un bilan ! C’est un nouvel album, pas un « best of ». Si tu veux dire que j’ai essayé de faire au mieux ce que je sais faire, alors oui, c’est en partie ce que j’ai voulu faire. Mais en prenant une direction nouvelle, une approche spécifique différente de celle de mes précédents disques. C’est album un peu plus sérieux, principalement parce que je pense que l’époque n’est plus tellement à l’ironie. Plus précisément parce que l’époque elle-même se charge d’être ironique, voire cynique, donc j’ai eu envie de prendre le contre pied. Et aussi parce que « Hypo tord le cou à la musique, blah blah blah », c’est fait et ça n’est plus à faire. Si j’avais fait encore mon punk postmoderne en 2010, je me serais fait pitié. Même V/Vm est passé à autre chose, il fait de la musique contemporaine super sérieuse et c’est très bien comme ça. Donc cet album, c’est le disque le plus « premier degré » que j’ai fait. Ca ne veut pas dire qu’on ne rit pas quand on l’écoute, car j’espère qu’il contient de l’humour, mais disons que c’est un disque dans lequel je n’ai pas trop fait le malin. J’ai essayé d’exploser mes propres formes, de dilater un peu le format Hypo, de faire des morceaux plus longs, certains plus décousus. J’ai essayé de laisser de l’air. D’appuyer le format chanson, tout en le contrariant quand même. Et la contrariété du format se situe d’avantage sur le déroulement de l’album qu’au sein des morceaux eux-mêmes. Concernant la confrontation, oui, c’est un ingrédient que je ne laisse pas tomber. J’aime les objets incongrus. Mais dans cet album, j’ai davantage travaillé dans la soustraction que dans l’addition, en me confrontant aussi au vide, pour une fois. L’exemple le plus parlant est celui du morceau avec Kumisolo à la trompette. Au départ, je lui avais passé un instrumental que j’avais fait avec Nikolu de La Chatte et j’avais dit à Kumi de jouer ce qu’elle voulait. Je savais qu’elle ne jouait pas de manière très pro et je pensais qu’elle enregistrerait une petite piste de trompette que je devrais bidouiller ensuite. Elle est donc revenue au bout de quelques jours, toute gênée avec son CDR à la main en me disant « je suis désolée, c’est mal joué, mais tu recouperas ». J’ai écouté et j’ai trouvé ça fabuleux tel quel. J’ai donc viré l’instru d’origine et je n’ai gardé que les pistes de Kumi. J’aime beaucoup le sentiment de solitude qui en découle. Le morceau est même un peu trop long, je n’arrêtais pas de vouloir l’amputer, mais je me suis fait violence en me disant que non, ce n’était pas chiant, qu’il fallait laisser de la place à cet essoufflement, à cette solitude, à ce Miles Davis du pauvre, que c’était bien comme ça, trop long, tout seul dans son agonie de trompette.
Peux-tu nous expliquer la genèse de ces confrontations, avec tes invités, pour ton album Coco douleur ? Comment as-tu fais ta « compilation » pour arriver à cet album ? Est ce un album fait sur une durée donnée ? Car j’imagine que tu as un gros catalogue d’inédits…
Ouh là ! Je n’ai plus aucun inédit… Travailler en collaboration avec des gens implique qu’on attend que ces personnes aient le temps de se pencher sur ton cas. Ça veut dire que mon travail dépend du leur. Donc rien de fini ou d’abouti ne dort dans mes placards. La durée du travail dépend aussi du temps nécessaire à motiver et réunir tout ce beau monde. J’ai surtout essayé de travailler avec des gens dont j’aime le travail et que je suis depuis longtemps, comme ADK de Sam & Valley, Carl Stone ou Warren Defever de His Name Is Alive. Et d’autres collaborations ont été plus spontanées et soudaines comme celle avec Yama Boy ou Nobuko Hori. Et puis il y aussi mes partenaires habituels en qui j’ai toute confiance et qui me sortent immédiatement des trucs magnifiquement tordus et parfaits, comme EDH et Sawako. Il y a un travail de prospection et aussi un travail de persuasion pour gagner la confiance des gens, pour qu’ils te laissent casser leurs jouets.
Tu as démarré sur des labels comme Spymania et Active Suspension; puis aujourd’hui Tsunami Addiction. Comment s’est passé la jonction avec ce label et quelles sont vos relations et autres projets en parallèle ?
Ça s’est fait très naturellement. Je connais Tsunami-Addiction et collabore avec eux depuis 2001. Ça a toujours été ma deuxième maison, donc le jour où Active Suspension a décidé de suspendre ses activités, le fait de travailler avec T-A était une évidence. C’est un label en qui j’ai toute confiance. Et je me sens très à l’aise dans leur catalogue. Je viens d’ailleurs de mixer l’album de La Chatte qui est la prochaine sortie du label.
Pourrais-tu faire un album instrumental à l’avenir ? Sans vocaux ? Ou juste quelques vocaux sous forme de textes ou de samples ? Ou es-tu imperméable à la musique instrumentale en qualité de musicien, pour tes projets personnels à sortir en tant qu’album ?
J’y pense de temps en temps. Je me demande ce que serait un album instrumental de Hypo en 2010. Mais actuellement je pense que ça ne donnerait qu’un « Kotva 2.0 », ce qui ne me motive pas tellement. Mais si je trouve une bonne raison de le faire, cet album instrumental, alors pourquoi pas. Mais ça n’est pas pour tout de suite. Le programme à venir, c’est un second album de Hypo & EDH et un album avec Momus qui m’a fait l’honneur de me le demander.
On sent dans ton travail une envie de simplicité tordue, souvent courte, drôles ou un peu mélancolique. Est-ce que l’esthétisme sonore de ton travail reflète une part de toi même sur chaque morceau ?
Bien entendu, oui. Je suis simple, tordu, court, drôle et mélancolique. Hé hé. Non, plus sérieusement, j’essaye de mettre un maximum de pudeur dans mon travail, de ne pas me la jouer écorché vif qui chiale sur sa guitare. Mais il y a des sous-couches de pathos. J’aime entretenir une dualité. Comme dans le titre de l’album. Tu saupoudres de la noix de coco sur la douleur pour qu’elle ait l’air d’un dessert exotique.
Tu fais partie des artistes électroniques ayant tourné pas mal au Japon, avec un réseau d’amis, de labels et d’artistes assez large, notamment Kumisolo et Nobuko Hori, pour ne citer qu’eux. Comment abordes-tu le travail avec les artistes japonais avec qui tu travailles ? Comment trouves tu la scène musicale japonaise et qu’est ce qui t’attires dans leur musique ?
Je travaille avec les Japonais de la même manière qu’avec les autres et je n’ai pas vraiment calculé cette « japanorientation ». J’étais même surpris, une fois l’album terminé de réaliser qu’il était assez tourné vers le Japon. C’est un pays que j’affectionne et je sais que ce n’est pas très original, mais le Japon représente un espace de liberté esthétique du fait que depuis longtemps eux-mêmes confrontent leur esthétique à celle de l’occident. On est habitué en Europe à une certaine récupération, selon des phénomènes de mode, des cultures qui nous semblent exotiques. Et quand la mode est passée, on ne veut plus en entendre parler. Mais le Japon est un pays qui depuis très longtemps travaille dans l’appropriation, le détournement, la confrontation. C’est quelque chose de très naturel pour eux. Ils l’ont fait avec la Chine en premier lieu, puis avec l’occident ensuite. Pas toujours de manière pacifique, d’ailleurs, mais c’est une autre histoire. Mais cette liberté d’appropriation fait que j’aime travailler avec eux. L’autre jour un journaliste a dit à mon label qu’il ne parlerait pas de mon disque parce que « Y en a marre des japonais qui chantent sur de l’électronique ». C’est tellement post colonialiste comme propos… Ah oui c’est vrai, ce qui est à la mode c’est les blancs qui mettent des rythmes de zouk dans leur musique. Bah oui, et j’aime bien aussi, y a pas de souci. Mais merde alors, c’est pas aussi simple que ça la musique. Ce n’est pas qu’une affaire de mode.
Tu travailles désormais en Creative Commons, peux-tu expliquer pourquoi tu as choisi ce chemin et comment cela fonctionne pour un artiste ?
Ça part davantage d’un constat que d’un choix. Toutes les structures qui me soutiennent, les radios, les salles de concerts, sont des structures associatives qui payent simplement un forfait à la Sacem et qui n’ont pas l’obligation de rentrer dans le détail de leur programmation. L’argent récolté est mis dans un pot commun et reversé aux plus gros vendeurs de disques (moins les 20% que la Sacem se met dans la poche au passage). J’en avais donc assez de donner de l’argent à Francis Cabrel et de ne rien toucher. Donc quitte à ne pas me faire de fric, j’aime autant que les gens puissent diffuser ma musique gratuitement sans avoir à payer quoi que ce soit à une structure qui est de toutes manières illégale. Je parle de la Sacem qui est une société privée et qui s’est attribué le monopole en France, alors qu’il existe une loi anti-monopole. Une société qui a réussi à faire croire à la France entière que ta musique n’est pas protégée si tu ne leur confie pas tout ton répertoire, alors qu’il y a de toutes manière la loi sur la propriété intellectuelle qui ne dépend pas du tout de la Sacem. Une société qui rappelons-le, est également au cœur d’un scandale concernant la spoliation des droits d’auteurs de musiciens juifs sous l’occupation. Hum hum… Et enfin, cet organisme se permet, via sa filiale SDRM, d’obliger les micro-labels à payer des droits de reproduction mécanique exorbitants qui peuvent représenter le tiers du coup d’un disque, alors que les petits labels ont déjà du mal à survivre. Donc en 2006 j’ai renvoyé ma carte Sacem coupée en deux et basta. La Creative Commons est une bonne idée, mais ce n’est pas au point. Du moins, le système dominant ne le prend pas encore en compte. Donc ça marche bien si tu as un agent qui fait le boulot de la Sacem, mais je n’en ai pas les moyens. Daft Punk fonctionnent comme ça, je crois. Et il était question que Thomas Bangalter monte une société concurrente de la Sacem et ce serait une très bonne chose.
Tu écoutes beaucoup de plus de rap, de grime, de R&B, depuis quelques années, qu’au début de ta « carrière ». Pourquoi donc ? Et quels type d’artistes apprécies-tu ? Est ce que certaines prods de rap, certains producteurs, peuvent t’influencer pour tes productions ?
Je ne sais pas si c’est cohérent, mais je suis venu au rap par le R&B. Mais j’ai une culture hip hop assez sommaire, très grand public. Je n’écoute pas de hip-hop underground. D’ailleurs lorsque le hip hop a commencé à infiltrer la musique électronique, ou que les labels electro se sont tournés vers le hip-hop, je n’aimais pas. Je n’aime toujours pas les trucs de Lex et Anticon. La bizarrerie du hip-hop qui lorgne vers le rock ou l’expérimentation ne me séduit pas. J’ai toujours trouvé que c’était juste mettre du rap sur des trucs qui existaient depuis longtemps et que ça n’apportait pas grand chose. Je préfère Snoop Dogg, Lil’ Kim, Missy Elliott, le premier The Game, Dr Dre et les trucs bien francs dans le bling bling ou plus dark comme Mobb Deep ou Three 6 Mafia. Et le hip-hop anglais également, les premiers Dizzee Rascal, Shystie et Roll Deep restent inégalés. J’aimais la liberté de Roll Deep. Le côté « rien à foutre de sur quoi on rape ». Et bien entendu que ça a une influence sur ma musique. L’écoute intensive de ces musiques à partir de 2004 m’a franchement donné un coup de fouet et une bonne bouffée d’air. J’ai retrouvé dans le Grime des valeurs qui étaient les miennes depuis longtemps. Avec EDH on a fait une reprise de Snoop Dogg pour la compilation « Endless Cover ».
The Trouts, Squarepusher et Jamie Lidell ont commencé sur Spymania, comme toi. Que penses-tu de l’évolution artistique de ces artistes ?
The Trouts, ils sont devenus quelque chose ? Putain je suis vraiment largué si c’est le cas. Squarepusher, je suis très fan jusqu’à Do you know Squarepusher. Après, son album de la maturité où il est en photo, bah bof, je le trouve chiant, ensuite celui avec la pochette où il se la joue « vous avez vu c’est moi qui fait tous les instruments », bah bof aussi et ensuite je n’ai pas écouté. Jamie Lidell, j’aime beaucoup le premier sur Spymania, et aussi les albums de Super_Collider, mais les suivants c’est du Jamiroquai…
C’est devenu un pote de Nagui, il paraît… Bref. Penses tu que la musique doit être un message politique, à un moment ou à un autre, qu’il s’agisse de son compositeur, ou de la parole du compositeur ? Toi t es un peu une sorte d’anarchiste hippie ?
Heu… Anarchiste, je ne sais pas, mais Hippie sûrement pas ! Je n’ai pas une grande affection pour ces gens là. Surtout les contemporains. Quant à la politique, si tu considères comme moi que toute prise de position esthétique a des résonances politiques, alors oui, je suis politique. Je m’énerve assez souvent contre les systèmes de production, réception, diffusion, médiation de la musique et de l’art en général et je sais que ça ne plait pas à tout le monde. Et je suis souvent taxé de rabat-joie juste parce que je ne me fonds pas dans le fun décérébré dominant. Et puis, je me grille souvent auprès des médias et des institutions. Mais après ça, non je ne fais pas des « chansons à textes ». L’autre jour, je lisais une super belle chronique de mon nouvel album et le chroniqueur disait « j’aime beaucoup Hypo sauf quand il se lamente sur le système ». Mais je ne me lamente pas, je râle ! C’est pas pareil ! Et à chaque fois que je râle, tout le monde me dit « oui, tu as raison, mais il ne faut pas le dire, ne perds pas ton temps avec ça ». Sauf qu’à chaque fois qu’on m’interviewe, on me lance sur le sujet. C’est donc que les gens s’y retrouvent quand même.
Peux tu parler de Douleur coco le EP et des projets sortis en parallèle, ainsi que ton avenir proche en matière musicale ?
J’ai vraiment pensé l’album en deux volets et Dodo couleur en est le second. Il reprend la dualité présente sur l’album, mais de manière plus marquée entre la face A et la face B. Sur la face A, il y a la chanson la plus pop et la moins « bizarre » que j’ai jamais faite. Un tube direct et simple que j’ai fait avec ADK de Sam & Valley. Ensuite il y a un morceau pop très explosé, composé avec Vava et Nikolu de La Chatte et EDH. C’est mon premier morceau chanté en français et j’en suis très content. C’est un loukoum biscornu et dansant à la fois. Ensuite il y a le morceau présent sur l’album de Kumisolo mais dans sa première version, à la fois proche de la version album et pourtant complètement différente dans son approche, qui est ici beaucoup plus spontanée et mélancolique. La Face B est clairement plus abstraite et très triste. Elle contient des collaborations avec Carl Stone, EDH, Nikolu et Pirandelo. Ca sort en vinyle transparent et c’est la première sortie d’un nouveau label, Moelleux Records qui est une division de Summery Agency, mon booker. Concernant l’avenir proche, avec EDH on vient de remixer Yama Boy qui est sur mon album, ça va sortir en 45 tours, et je participe à la prochaine compilation Neopren records…
Propos recueillis par