Si la cinématographie iranienne connaît les honneurs des festivals internationaux les plus prestigieux, celle des autres pays arabes tente de survivre tant bien que mal. La 5e Biennale des Cinémas arabes qui s’est tenue à Paris du 30 juin au 9 juillet 2000 en est le parfait témoignage.
Pour des raisons historiques, le cinéma égyptien a depuis toujours dominé l’ensemble du cinéma arabe, l’Egypte étant l’un des premiers pays à avoir accédé à l’indépendance. Si le volume des productions s’est nettement réduit depuis le milieu des années 1990, il reste toutefois le seul territoire à disposer d’une industrie cinématographique digne de ce nom. La dernière édition du festival de l’Institut du Monde arabe, confirme cet état de fait avec une sélection de longs métrages principalement issus du pays des pyramides (5 des 13 films en compétition plus une rétrospective de cinq autres films sur « les nouveaux comiques égyptiens » et des hommages aux actrices Taheya Carioca et Oum Kalthoum).
Les autres pays, quant à eux, doivent surtout compter sur leur diaspora et les coproductions européennes, du moins quand il existe un cinéma national. Ce qui n’est pas le cas, par exemple, de la plupart des pays du Golfe. Selon Abdel Sattar Naji, sélectionneur des programmes audiovisuels présentés dans le cadre d’un « gros plan sur la production des pays du Golfe », les films de fiction de cette région du monde « se comptent effectivement sur les doigts d’une seule main ». L’iconoclastie liée aux dogmes de la religion musulmane n’en est pourtant pas la cause directe (rappelons qu’il n’y a aucune salle de cinéma en Arabie Saoudite) puisqu’il existe une production télévisuelle florissante depuis quelques années, notamment dans la réalisation de dramatiques. Par ailleurs, dans le domaine du court métrage et du cinéma documentaire, on assiste de la même façon à une raréfaction des films en provenance des pays arabes. Beaucoup se font à l’instigation de réalisateurs formés en Occident.
Ce malaise traduit bien les difficultés qu’ont les cinéastes arabes à s’exprimer à travers un art financièrement lourd et politiquement sensible. Surtout, bien entendu, pour ceux qui œuvrent dans un cinéma d’auteur, exigeant de la part du public un effort qu’il n’est pas forcément prêt à lui consacrer. Car si quantitativement les cinémas arabes souffrent d’un manque évident de visibilité, ils osent cependant affronter les sujets les plus délicats.
Politique et société
Il en va ainsi, du problème des intellectuels tués en Algérie, abordé par Karim Traïdia dans Les Diseurs de vérité. Le film relate les derniers jours d’un journaliste dont la vie est en danger mais qui préfère rester dans son pays. Interprété par Sid Ahmed Agoumi, le film s’impose surtout comme un témoignage sur l’Algérie contemporaine autrement plus convaincant que le balourd Là-bas… mon pays d’Alexandre Arcady. Le film ayant été tourné au Portugal, on regrette toutefois qu’il n’aille pas jusqu’au bout de sa démarche, à savoir, inscrire le drame dans son espace-temps légitime, l’Algérie. Ce réalisme par défaut est beaucoup trop sensible pour apprécier pleinement le courage du long métrage Cette contradiction ontologique se retrouve aussi dans Le Harem de Madame Osmane à propos duquel le cinéaste Nadir Moknèche concède avoir cédé aux impératifs de production en écrivant l’intégralité des dialogues en français.
Autre sujet de prédilection du festival : la condition féminine. Avec La Saison des hommes (présenté à Cannes dans la catégorie Un Certain regard), la Tunisienne Moufida Tlatli prolonge le thème qui animait déjà son premier opus, le fragile Les Silences du palais. A Djerba, une femme, mère de deux filles, souhaite vivre avec son mari à Tunis où celui-ci réside la plus grande partie de l’année. Il accepte à la condition qu’elle enfante un garçon. Toujours versé dans un certain décorum orientaliste, la cinéaste s’englue ici dans un esthétisme exotique bon chic bon genre assez ennuyeux où l’emprise du temps semble inexistante au sein d’un récit qui est pourtant censé mêler passé et présent.
Tresses de Farida Belyazid se veut certes plus modeste dans sa forme mais plus ambitieux dans le propos en évoquant un viol commis par le fils d’un homme politique marocain important. Sans effet dramatisant, le récit s’ingénie à démontrer que le silence s’inscrit comme la cause de tous les traumatismes. Passons sur Ruses de femmes, molle illustration grand public d’un conte classique, pour nous intéresser à deux comédies sentimentales. Les Années-lycée de Mohamed Abou Seif (fils de l’Egyptien Salah Abou Seif) et Le Souffle de l’âme du Syrien Abdellatif Abdel Hamid ont la caractéristique de posséder le charme des films tardifs d’un Leo Mc Carey : cette forme de nonchalance et de mélancolie entremêlée dans des histoires d’amour impossible.
Le problème de la drogue, enfin, est au cœur de La Terre de la peur et du Paradis des anges déchus. Si le premier (de l’Egyptien Daoud Abdel-Sayed) est un film d’un réalisme politique étonnant, oscillant stylistiquement parlant entre le Scarface de De Palma et le cinéma de Scorsese, le second réalisé par Oussama Fawzi est une balade nocturne désenchantée dans laquelle quelques voyous trimballent le cadavre de leur ami. Adapté d’une nouvelle de Jorge Amado, le film privilégie les scènes d’exposition à la simple progression dramatique. La question de l’identité arabe se mesure alors à travers des personnages meurtris par une incapacité à assumer leur condition existentielle. Et la situation du cinéma arabe en général s’en trouve être, à travers ce film et l’ensemble du festival, le triste reflet équivoque…
Palmarès du festival
Grand Prix IMA :
La Saison des hommes de Moufida Tlatli (Tunisie/France)
Sortie en salles prévue le 13 décembre 2000
Prix spécial du jury ex-aequo :
Les Diseurs de vérité de Karim Traïdia (Algérie/Pays-Bas)
Le Paradis des anges déchus d’Oussama Fawzi (Egypte)
Sortie en salles le 23 août 2000
Prix IMA de la première oeuvre de fiction :
Le Harem de Madame Osmane de Nadir Moknèche (France/Algérie)
Sortie en salles depuis le 12 juillet 2000
Prix IMA du court métrage :
Premier Noël de Kamel Chérif (Tunisie/France)
Prix pour les documentaires :
– Grand Prix : Mout Tania : Mourir deux fois d’Ivan Boccora (Maroc/Belgique)
– Prix spécial du jury : Une femme-taxi à Sidi Bel Abbès de Belkacem Hadjadj (Algérie/Belgique)
– Prix IMA du court métrage documentaire : Décembre 1999, Ramadan 1420, une faim de siècle de Samir Abdallah (Egypte/France)
– Prix spécial du court métrage documentaire : Le Poids mort des querelles suspendues de Walid Raad (Liban/Etats-Unis)
Le jury était composé de Khaled el-Seddik (réalisateur koweïtien), Humbert Balsan (producteur français), Enzo Porcelli (producteur italien), Olivier Séguret (journaliste français), Mouna Wassef (actrice syrienne) et de Yousra (actrice égyptienne).