Le cinéma d’animation japonais est souvent victime d’un a priori persistant : pour une majorité du public, il correspond uniquement à « Goldorak », plusieurs générations d’enfants ayant été élevées avec cette série télé ou ses successeurs. Le public n’a gardé de cette série que les aspects négatifs (pauvreté des thèmes et de l’animation). Heureusement cette situation semble en pleine évolution et la France commence à découvrir la richesse d’une animation qui soutient aisément la comparaison avec les meilleures productions de Walt Disney. Pour comprendre ces phénomènes, remontons un peu dans le temps…
La naissance du cinéma d’animation japonais remonte au début du siècle. Le tout premier dessin animé réalisé avec une caméra est américain et date de 1906 (Humorous phases of funny faces de Stuart Blackton), et la France suit le mouvement avec Emile Cohl en 1908. Des animations américaines et européennes sont diffusées à partir de 1909 au Japon, influençant plusieurs créateurs. Ainsi, 1917 voit les premières productions de films d’animation nippons (comme Le Portier d’Imokanamu d’Oten Shimokawa). Mais jusqu’en 1933, seuls les films étrangers remportent un certain succès, à de très rares exceptions près (dont Entotsuya Pero, film de silhouettes animées). A partir de cette date, la montée du militarisme génère une production très engagée, basée sur des idéaux nationalistes, aussi bien dans les mangas (la bande dessinée japonaise) que dans l’animation. Le point d’orgue étant la réalisation du premier long métrage d’animation japonais en 1943 : Momotaro no Umiwashi (« Momotaro et les aigles ») de Mitsuyo Seo, film de propagande financé par le Gouvernement militaire impérial. Paradoxalement, cette même année un dénommé Masaoka réalise un dessin animé musical qui « tranchait sur la production contemporaine par son inspiration poétique et fantastique » (Sayoko Kinoshita). Cet auteur en réalisera d’autres après la guerre, époque qui voit les importations américaines envahir les écrans japonais.
C’est avec la création en 1955 de la Toei Doga que commence un chapitre important de l’histoire de l’animation japonaise. De nombreux réalisateurs, qui connaîtront une grande destinée, débutent au sein de ce studio (citons Osamu Tezuka, Hayao Miyazaki et Isao Takahata). La Toei Doga produit alors des longs métrages, généralement d’inspiration disneyenne et de qualités inégales. C’est de ce studio que sort le premier long métrage d’animation japonais en couleurs, sous la direction de Taiji Yabushita. Quelques années après, Osamu Tezuka quitte la Toei Doga et fonde sa propre firme, Mushi Production. Il est à l’origine de la première série télévisée Astro boy, inspirée de sa bande dessinée qui remporte alors un succès énorme. L’adaptation en dessin animé d’Astro boy rencontre un très large public et marque le début d’une nouvelle ère : l’industrialisation du dessin animé. En effet, pour des raisons économiques, les techniques d’animation destinées à la télévision sont beaucoup plus succinctes que celles destinées au cinéma. Tezuka importe le procédé d’animation appliqué par des studios américains comme Hanna-Barbera et le développe pour obtenir la plus grande rentabilité possible. Au lieu des 12 à 15 images / seconde habituelles, il se limite à 5, de nombreux décors sont statiques (seuls les personnages sont animés) et des bouts de scènes sont régulièrement réutilisés…
Tous les studios vont adopter ces principes et la compétition à la plus grande productivité (au détriment de la qualité) devient la norme. Ainsi, de la fin des années 70 au milieu des années 80 (voire plus dans certains pays), le dessin animé télévisé va « conquérir » le Japon puis le monde (la France découvre Goldorak en 1978). Chaque semaine, une quarantaine d’épisodes sont produits par les studios et les séries comportant des clones de Goldorak deviennent légion… Il est donc primordial de bien opérer la distinction entre l’animation destinée à la télévision et celle destinée au cinéma. D’autant plus qu’avec la création du studio Ghibli (par Hayao Miyazaki et Isao Takahata), le Japon assiste à un extraordinaire renouveau du cinéma d’animation. Plusieurs grands films ou chefs-d’oeuvre en sont déjà issus (Porco Rosso, Le Tombeau des lucioles, Mon voisin Totoro, Princesse Mononoké, etc.) et prennent les premières places du box-office national, devançant même les films de Walt Disney…
Ce n’est qu’à l’aube des années 90 que la France découvre les mangas et le cinéma d’animation japonais. A l’époque, ils ne sont connus que de quelques spécialistes, à travers des traductions américaines ou des importations. En publiant la bande dessinée Akira entre 1990 et 1995, les éditions Glénat participent à ce qui fut d’abord une mode et est maintenant devenu partie intégrante du panorama de la bande dessinée en France, au même titre que les comics américains. Le mouvement s’amplifie avec les années pour connaître son apogée au milieu des années 90. Parallèlement, les longs métrages d’animation font leur apparition dans les salles obscures. L’un des tout premiers est Akira, film tiré de la série de Katsuhiro Otomo, mais qui connaîtra une petite diffusion sur nos écrans en 1991. Dans les années qui suivent, l’unique solution pour découvrir des longs métrages d’animation consiste à fréquenter les conventions spécialisées (qui n’apparaissent que petit à petit avec l’essor du manga) ou à assister à certains festivals (Annecy, Corbeil-Essonne). Ces prémices durent jusqu’en 1995, année paroxistique du phénomène manga, qui marque le début d’une diffusion plus régulière de films d’animation japonais dans notre pays. Deux films sortent cette année-là (Porco Rosso et Dragon ball Z), et un festival a lieu à l’UGC Cité Ciné (Cinémanga).
Depuis, la sortie de films d’animation continue très doucement mais sûrement -citons Le Tombeau des lucioles en 1996 et Ghost in the shell en 1997. L’année 1999 a vu deux bonnes réalisations pour adultes (Perfect Blue et Jin-Roh) et une excellente histoire à destination des enfants (mais qui comblera tous les âges), Mon voisin Totoro. L’année 2000 commence magistralement avec le chef-d’oeuvre de Miyazaki, Princesse Mononoké. Espérons que les distributeurs français poursuivront les efforts entrepris au fil des ans. Histoire de découvrir d’autres réussites du studio Ghibli et les chefs-d’oeuvre de l’animation japonaise.