Helene Hegemann, figure de la nuit berlinoise et jeune romancière allemande, a écrit « Axolotl roadkill » à l’âge de 17 ans. Un énorme succès éditorial qui s’est rapidement transformé en polémique littéraire à propos du jeune âge de l’auteur, les accusations de plagiats pour avoir utilisé des informations venant de blogs et son amoralisme au sein d’une Allemagne bien pensante. Le personnage de Mifti est celui d’une enfant surdouée vouée à l’autodestruction, aux nuits sans fin de la gigantesque boîte de nuit de Berlin, le Berghain, à la drogue, au sexe, et la catastrophe annoncée. Avec tout de même une lueur d’espoir, le désir d’un grand soir. « Axolotl roadkill est-il un roman révolutionnaire sur un Berlin en devenir ? Entre confessions et spleen, Chronic’art à rencontré Helene Hegemann à Berlin.
Chronic’art : Hélène, tu étais assez présente dans la presse allemande en 2010. Ton image n’est pas souvent très positive et la réaction du public est assez péjorative, malgré le succès énorme de ton livre, dorénavant traduit en vingt langues. Comment gères-tu cette situation ?
Helene Hegemann : J’ai la pire image qu’on puisse s’imaginer, mais je m’y suis habituée parce il n’y a rien de pire que des gens opportunistes. J’ai fait exprès de ne pas donner des interviews pour les médias hype. Ça me fait gerber. J’ai refusé de me montrer comme une personne cool, et finalement on me prend pour quelqu’un d’assez nul et d’arrogant. Il y un moment ou je n’ai plus de contrôle sur ce que les journaux écrivent sur moi ou sur la manière de comprendre mon propos. Franchement, si je lisais les articles qu’on écrit sur moi, je ne me trouverais pas super sympathique non plus ! De toute façon, pour certains journalistes, l’important est d’écrire une histoire sur ce que représente la personne et pas l’oeuvre en elle-même. Genre : le roman n’a pas d’importance parce que c’est une fille de 18 ans qui l’a écrit, et en plus elle est arrogante. Le livre est jugé par rapport à la personne et non pas, indépendamment de ce critère-là, en tant que littérature.
Mais ce n’est pas comme si c’était ta première oeuvre. Avant que ce buzz médiatique commence, tu avais déjà écrit une pièce de théâtre à 14 ans, un scénario a 15 ans que tu as réalisé à 16 ans et qui a remporté le Prix Max Ophüls…
Effectivement, et c’est pour cela qu’on raconte toujours que j’ai grandi dans un certain contexte parce que mon père est metteur en scène de la Volksbühne. Ils devraient plutôt s’intéresser au fait que j’ai n’ai pas du tout été élevé dans ce contexte, justement. Par ailleurs, mon père n’est pas si connu que ça, juste dans un certain milieu. Je n’ai même jamais habité avec lui. Bref, ces considérations sont épuisantes, il faut que je m’en libère. J’ai effectivement côtoyé des gens qui m‘ont facilité l’accès à certaines références culturelles, ce qui n’est pas donné à tout le monde, je le reconnais. Jusqu’à l’âge de 14 ans, je vivais dans une sorte de HLM à Bochum et je n’y avais aucune connexion. Après la mort de ma mère, je suis arrivée à Berlin et j’ai rencontré des gens qui m’on convaincu qu’il était possible de gagner sa vie en travaillant dans un contexte artistique. Evidemment, c’est un avantage qui m’a marquée.
Tu détestes qu’on fasse tout le temps la comparaison entre toi et tes personnages principaux, mais vos vies montrent quand même une certaine ressemblance, n’est-ce pas ?
Certes, mais tout est toujours ramené à cette simpliste que je suis automatiquement héroïnomane puisque le personnage principal l’est !
Ce n’est pas normal que l’on se pose la question du degré de vérité de ton l’histoire ? Toute cette expérience relatée sort bien de quelque part, et puis tu as tout de même fait le tour de la nuit berlinoise dès l’age de 16 ans…
Bien sûr que je traînais la nuit et que j’avais des amis qui prenaient de la drogue. Ceci m’a permis de voir comment cela se passe sans pour autant devoir prendre de l’héroïne moi-même. C’était la base du roman parce que je m’y suis intéressée. Il y a une grande part de hasard dans tout cela !
L’écriture est une manière de pouvoir vivre quelque chose que tu ne ferais jamais en vrai ?
Sûrement. Je pense que par l’écriture, il existe une possibilité de vivre par exemple une addiction à l’héroïne sans devoir en supporter les conséquences. Comme un comédien qui peut tuer 40 personnes en jouant un tueur en série. A lui, évidemment, on ne lui pose pas la question de savoir comment il a appris à tuer. En tout cas, je n’écris pas avec un but thérapeutique. Ce qui m’intéresse, c’est juste une manière différente de poser et essayer de répondre à des questions.
Quel genre de réponses ?
En réalité, si je pouvais donner une réponse à toutes les questions, je n’aurais pas écrit le livre. Le roman parle d’une fille qui fait tout le contraire de ce que la société attend d’elle. Elle est assez intelligente pour pouvoir faire des études de médecine, mais elle décide en toute conscience de choisir une voie négative. Elle n’est pas une victime, genre Christiane F. Son but est de se laisser aller à l’abandon. Elle utilise sa chute et ses déchéances pour les analyser et parfois même en rire.
Comme une sorte d’expérimentation pour savoir jusqu’où il est possible d’aller ?
Exactement. Qu’est ce que je ferais dans ces situations ? Son parcours à elle est objectivement négatif ; elle finit par prendre de l’héro et c’est vraiment la fin, mais en même temps, c’est une forme d’aboutissement parce qu’elle a réussi à ‘aller aux limites de son désir d’autodestruction.
Tu as un nouveau projet de livre en ce moment ?
Non, en ce moment je réalise un film avec René Pollesch… Nous travaillons ensemble, ce qui me fait évidemment… Qu’est-ce que tu veux encore faire, quelles sont tes perspectives ?
J’ai appris à ne jamais me projeter dans le futur. Je peux tout à fait, à l’avenir, me lancer dans des études de droit et devenir avocate un jour, ce qui paraît totalement impossible aujourd’hui. Si j’avais réalisé mon rêve d’il y a dix ans, je serais certainement devenue membre d’un groupe de pop de filles. Insupportable idée quand j’y pense, mais c’était vraiment mon rêve à l’époque. Je priais chaque soir pour qu’il se réalise… Avec mon amie, nous avons d’ailleurs envoyé des vidéos à Starsearch dans l’espoir d’être repérées. J’évite maintenant de travailler avec un objectif précis en tête.
Pour l’instant, tu vis à Berlin. Beaucoup de gens ont le rêve berlinois. La culture, la nuit… Ton roman s’appuie aussi sur l’idée d’un Berlin sauvage ou tout est possible… C’est le cas ?
J’adore Berlin, mais au bout de deux ans, la fascination se calme. C’est le syndrome de Berlin. Tout paraît extrêmement cool, stylé, dirty, mais il n’y a pas grand-chose derrière la façade. Ni dans le milieu de l’art ni dans la nuit. C’est le grand problème à Berlin où tout doit paraître cool. Ça m’énerve. Quand je suis arrivée ici, je me disais que tous ces gens rencontrés étaient géniaux, mais très vite on réalise que c’est du vent, de la frime et, aussi, beaucoup de coke. Et il y en a beaucoup des gens comme ça, ici. A Berlin, le superficiel calculé est omniprésent ; moi- même, je n’en suis pas totalement libérée.
Tu ne sors plus ?
Non, je me suis un peu lassée de la vie nocturne. A part quelques endroits comme le HBC, c’est le grand vide. Même au fameux Berghain, c’est juste des gens qui sont chargé à l’ecstasy et qui tressaillent sur de la musique électro. En fin de compte, c’est juste une grosse boîte techno ou les kids dansent comme des autistes. Heureusement que là-bas, il reste les homos qui baisent vraiment. J’ai l’impression qu’avant, les gens arrivaient à s’amuser sans toujours se défoncer à mort. Moi, j’adorerais voir un concours de danse charleston au Berghain !
Propos recueillis (en allemand) par
Axolotl roadkill, de Helene Hegemann
(Le Serpent à plumes)