Connu depuis peu par le public français, notamment grâce à la sortie nationale de « Porco Rosso » il y a quelques années, Hayao Miyazaki est considéré dans son pays comme l’un des plus grands maîtres du cinéma d’animation. L’arrivée en salles de son dernier long métrage, une pure merveille dont la sortie fut indéfiniment repoussée depuis maintenant presque deux ans, nous donne l’occasion de nous pencher sur ce metteur en scène hors pair.
Les premiers travaux de Hayao Miyazaki datent du début des années 60. A cette époque, le réalisateur travaille sur de nombreux de projets télévisuels relativement peu connus en France. Parmi ceux-ci, certains se rappelleront peut-être deux séries diffusées sur nos chaînes durant les années 80 : Lupin III (dont le titre fut changé en Edgar roi de la cambriole ou Edgar gentleman cambrioleur) et Heidi, l’enfant des Alpes. C’est seulement à la fin des années 70 qu’il passe à la réalisation de longs métrages, TV et cinématographiques, avec Conan, le fils du futur (1978) et Lupin III : le château de Cagliostro (1979). Il faut attendre 1984 -date qui marque un tournant décisif dans la carrière de Miyazaki- et la sortie au Japon de Nausicaa de la vallée du vent pour que le cinéaste remporte son premier véritable succès public. Cette réussite colossale permet au Japonais de lancer son propre studio, créé avec son collaborateur et ami Isao Takahata : le studio Ghibli.
Tout s’enchaîne ensuite très vite. Grâce à cette indépendance totale, il peut réaliser en 1988 Mon voisin Totoro, un projet vieux de plusieurs années, impossible à produire plus tôt faute de soutiens financiers. Le triomphe est tel que Miyazaki est dès lors reconnu comme l’un des plus grands auteurs dans son domaine… Depuis, les deux cinéastes à la tête de Ghibli possèdent bien plus de libertés artistiques qu’auparavant, on le ressent d’ailleurs assez bien dans les dernières productions. Princesse Mononoké est une grande fresque historique sur le Japon du XVe siècle, Mes voisins les Yamadas -dernier film de Takahata- est une satire sociale de la famille japonaise. Des films qui, par les sujets abordés, se distinguent littéralement du reste de la japanimation… Cette démarcation est relativement compréhensible, lorsqu’on sait que Hayao Miyazaki est un des rares réalisateurs d’animation nippons à ne pas être passé par la traditionnelle école du manga. Il débuté sa carrière en 1963 à la légendaire Toei Animation, au sein d’un groupe de recherche sur la littérature enfantine. Il continue d’ailleurs aujourd’hui à écrire des livres pour enfant.
Cette vocation permet aussi de comprendre le goût prononcé du réalisateur pour l’onirisme, thème fortement présent dans ses films. On retiendra, entre autres, plusieurs scènes de Mon voisin Totoro, durant lesquelles le spectateur peut difficilement faire la distinction entre rêves et réalité des protagonistes… Miyazaki reconnaît avoir volontairement laissé une grande part d’ambiguïté dans ce film afin de laisser le public libre de toute interprétation… On retrouve aussi cette part de rêve dans certains passages de Princesse Mononoké, grâce à de fréquentes intrusions du surnaturel, notamment avec l’apparition des petits Komadas. Ces personnages fantomatiques, des esprits de la forêt, sont animés de manière très inhabituelle -hochements de tête frénétiques-, et leurs apparitions, souvent inattendues, provoquent une sorte de décalage de la réalité au sein du long métrage. Avec de simples détails comme celui-ci, tout comme avec de grandes envolées lyriques (les longues scènes aériennes de Porco Rosso ou Mon voisin Totoro frôlent souvent le surréalisme), le cinéaste japonais réussit à créer de très fortes atmosphères. Mais bien plus qu’un simple « poseur d »ambiances » ne cherchant qu’à envoûter les spectateurs par des artifices visuels qui ne menent pas bien loin, Miyazaki parvient à injecter dans ses plans une très grande portée significative. Au Japon, Mon voisin Totoro fut pour beaucoup une révélation. Notamment grâce à son message écologiste qui accompagne chacune des scènes, du coup très percutantes. Le réalisateur est d’ailleurs, dans son pays, un militant qui n’a de cesse de mobiliser son public en faveur de la cause écologiste… Après Totoro, saisissante ode aux paysages ruraux, Miyazaki nous offre aujourd’hui, avec Princesse Mononoké, une profonde réflexion sur les rapports entre l’homme et la nature. Selon ses propos, l’objectif n’était pas ici d’incriminer l’homme pour les irréparables fautes qu’il a commises durant ces derniers siècles, mais plutôt d’amener le spectateur à une certaine prise de conscience.
Princesse Mononoké est le premier long métrage d’animation japonais à bénéficier d’une distribution aussi large (Europe, Etats-Unis…). Au regard de l’énorme succès du film au Japon -il a dépassé là-bas tous les records d’entrées en salles-, reste à savoir si la prise de conscience, elle aussi, franchira aussi bien les frontières.
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