Gomez, le groupe a priori le moins cool du moment, rafle tous les prix et vend ses disques par milliers de mètres-cube. Néo-hippies traîne-savates, opportunistes de la gueule de bois post brit pop ou génies ayant su assimiler Beck, Tom Waits, Beefheart et le blues du delta au climat pluvieux de Liverpool, les zouaves de Gomez sont-ils la révélation « pre-millenium » ? A voir… Sorti de son garage en 98, ce collectif d’atypiques anglais acceptant plus facilement le bûcher de Jeanne que l’héritage des Beatles, déclenche volontiers les polémiques : meilleure fusion des artistes susnommés ou complexe national débouchant sur du sous-dEUS en chute libre hippiesque ? Réponse avec Olly Peacock et Tom Gray, respectivement batteur et guitariste-chanteur du groupe le plus respecté d’Albion, à tel point, prétendent les cyniques, que c’en est louche : Liquid skin, suite logique de Bring it on, donne déjà des convulsions aux critiques qui trempent leurs dessous de l’autre côté de la Manche.
Chronic’art : Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’ambiance générale de Liquid skin n’est pas très éloignée de celle de Bring it on. Vous avez refusé de jouer le jeu trendy en sortant une suite imprévisible, ou avez-vous décidé de ne pas changer une formule gagnante ?
Olly Peacock : Effectivement, l’esprit global est assez similaire. Quant à savoir quelles sont nos motivations, je suppose plus ou moins que faire deux albums assez proches démontre avant tout, ceci dit modestement, que Gomez a un style. Nous n’allions pas nous mettre à faire un concerto drum’n’bass. La seule différence, en fait, est que nous avons pu passer plus de temps en studio alors que Bring it on était presque une collection de démos enregistrées dans un garage.
Tom Gray : Evidemment, le premier n’avait pas coûté un kopeck, ce qui nous a d’ailleurs demandé un temps d’acclimatation pour Liquid skin, sachant que pour la première fois, il fallait bien que nous sachions à quel moment nous arrêter. Quasiment toutes les chansons du premier album ont été bouclées avant même que nous soyons signés.
A ce propos, Gomez s’est formé fin 96, et dès 98, le groupe se retrouve sur toutes les couvertures anglaises, dont celle de Mojo… Vous avez pu passer au travers des portes ?
Olly : C’était incroyable… Lorsque nous avons commencé, l’Angleterre vivait les dernières heures de l’explosion brit pop, et vibrait au pouls de The Verve…
Il fallait un sacré courage pour s’obstiner à faire votre musique alors que The Verve et Oasis triomphaient…
Olly : Je suppose que nous nous sommes nourris de notre dégoût. La scène brit pop était tellement lamentable, tellement bidon, qu’elle nous a poussés à réagir. Rétrospectivement, il est évident que notre succès est la conséquence d’une énorme lassitude : Gomez est apparu alors qu’en Angleterre la plupart des gens ne pouvaient plus se contenter des pertes blanches d’une brit pop à l’agonie. Notre musique devait être rafraîchissante… Il est certain que si nous étions apparus quelques années plus tôt, à l’âge d’or de la brit pop, en pleine guerre Oasis/Blur, nous n’aurions eu aucune chance. D’ailleurs, nous n’avons jamais pensé vendre plus que quelques milliers d’albums…
Tom : Se retrouver en couverture de Mojo a été un événement incomparable : lorsqu’on regarde les précédents numéros, on voit à la « Une » Rod Stewart, les Beatles, Led Zeppelin, les Beatles, Bob Dylan, les Beatles, et Beck ou Massive Attack. Nous avons été les premiers à être en couverture à l’occasion d’un premier album. Tout cela a été très agréable.
Mais tout de même, cet accueil extatique de la presse, et le soutien du public, si l’on considère à quel point votre musique est peu commerciale, si peu calibrée pour les radios…
Tom : Heureusement, nous avons eu quelques critiques très négatives…
Il est évident que vous êtes fatigués d’entendre les gens vous dire que vous êtes le plus américain des groupes anglais. Malgré tout, admettez-vous qu’on entend plus facilement des influences américaines -Beefheart, les Doors entre autres- dans vos disques, que celles de l’école anglo-anglaise, soit la sainte trinité Beatles/Kinks/Small Faces ?
Olly : Absolument.
Pourtant, vous avez déclaré à la presse avoir bercé vos adolescences de comptines métal entre Slayer et Metallica. Doit-on en déduire l’envie d’un bon mot ou serait-ce la tragique vérité ?
Olly : C’est tout à fait juste. Le métal était juste un style plus énergique et rafraîchissant que ce qui se passait à l’époque, surtout pour de jeunes Anglais.
De Judas Priest à Tom Waits, il y a tout de même un long chemin, parcouru en peu d’années, non ?
Olly : Certes, certes. Mais c’est comme ceux qui écoutaient du punk à la fin des années soixante-dix…
Que voulez-vous dire par là ?
Olly : Ces gens-là écoutent certainement Fleetwood Mac aujourd’hui.
Allons, allons. Vous plaisantez.
Olly (rires) : Peut-être. Mais il est sûr que chacun suit son chemin, d’un disque à l’autre. Dans notre cas, nous sommes passés du métal à Hendrix et aux Doors, avant de poursuivre avec Nirvana et Pearl Jam.
Non !
Olly : Si, si ! J’ai découvert Tom Waits via Primus (dont le bassiste joue sur tous les enregistrements de l’artiste clownesque depuis quelques années, ndlr). Et Tom Waits m’a conduit au jazz.
Peut-on dire que, de façon globale, vous vous intéressez plus à la musique sinon expérimentale, du moins aventureuse ?
Olly : Certainement.
Tom : Mais les Beatles, par exemple, étaient très expérimentaux, et utilisaient le studio comme un instrument à part entière. En conséquence de quoi leur musique très pop nous touche énormément.
Olly : Il n’y a pas de formule pour écrire une bonne chanson ; chacun fait à sa façon parce que les individus sont par essence tous différents les uns des autres.
Mince, c’est une révélation…
Tom (rires) : Je sais que c’est un cliché, mais c’est la vérité… Bien. Maintenant, c’est sûr qu’une bonne chanson doit avoir une mélodie décente. Il y a donc des règles auxquelles chacun doit se plier.
Dans le fond, pensez-vous que la condition sine qua non pour faire de la bonne musique est d’avoir une culture très vaste et des goûts variés ?
Olly : Ça dépend. Si tous les membres du groupe sont obsédés par la même chose, ça peut donner quelque chose d’intéressant. Mais paradoxalement, quelqu’un comme Beck, qui brasse ses influences blues, hip hop, country et folk, et qui est notre idole absolue (tout en étant le personnage principal de Whippin’ Piccadilly, titre phare du premier album, ndlr) débouche forcément sur une œuvre plus fraîche.
Dans son cas, il est probable que Beck possède une discothèque plus fournie que celle de Noel Gallagher…
Olly (rires nordiques et révélateurs) : C’est sûr ! Mais ça n’est pas exceptionnel : la plupart des gens ont un esprit très étroit ; tout le monde le sait.
Mais votre musique… elle est un peu hippie, non ?
Tom : Qu’est-ce que ça veut dire ?
Olly : Elle est psychédélique, mais ce terme n’a plus le même sens aujourd’hui qu’à l’époque où il est apparu dans les dictionnaires.
Votre façon d’utiliser plusieurs voix, souvent simultanément, évoque par exemple les premiers albums du Jefferson Airplane, ou dans une moindre mesure, du Grateful Dead…
Olly : Je suis d’accord. Particulièrement pour le Dead.
Tom : Peut-être sonnons-nous « hippie » parce que nous sommes avant tout passionnés par les textures et les paysages sonores… Et puis, pour les voix, il y a juste trois chanteurs qui ont tous envie de chanter ; il faut bien se débrouiller avec cette situation (sourire)…
Musicalement parlant, ne vous sentez-vous pas seuls en Angleterre ?
Olly : Aujourd’hui encore, nous nous sentons en dehors de tout. Probablement parce qu’en Angleterre, l’attitude est primordiale, et que nous n’en avons pas. Tout simplement.
Tom : On aime bien les Super Furry Animals…
Olly : Ou les productions Mo’Wax, même s’il s’agit de gens qui sortent des disques incessamment au risque d’exposer de très mauvais morceaux. Mais Gomez est le seul groupe anglais qui soit un réel collectif.
Et le Beta Band, alors ?
Olly : Les E.Ps étaient excellents, l’album est très décevant.
Quel est le pire groupe anglais aujourd’hui ?
Tom : Les Manic Street Preachers.
Ca n’est pas nouveau…
Olly : On n’aime pas dire du mal des collègues.
Peut-être ont-ils les pires fans…
Tim : On peut dire ça.
Propos recueillis par
Lire &numero=42&num_rubrique=5″>la critique de Liquid Skin de Gomez