Alors que le cinéma fantastique semble connaître un sursaut de vitalité mondiale, le festival de Gérardmer, seule manifestation française d’importance qui lui est consacré, s’essouffle d’année en année… Compte-rendu de l’édition 2005.
Jour 1
Pour un peu on aurait confondu le festival du cinéma fantastique avec celui de la comédie de l’Alpe d’Huez. Deux ans après un discours aussi inquiétant que poilant d’un Gérard Longuet ivre mort resté dans les annales du festival, le maire de l’accueillante municipalité s’est un peu perdu dans son discours d’ouverture, pour lancer une inattendue invitation à « une promenade péripatéticienne autour du lac ». Rires encore, mais un peu plus gênés, quelques minutes plus tard lorsque le délégué général, et patron de la société organisatrice du festival, vilipende la presse dans son allocution parce qu’elle « a honte de citer les sponsors sans qui ce festival n’existerait pas » avant de faire les louanges d’un nouveau partenaire, qui vient de livrer 5 tonnes de bretzels en sachets à distribuer tout au long de la manifestation. Le racoleur de la soirée n’est donc pas celui que l’on croyait. On apprendra plus tard que le budget du festival aurait été écorné de près de 30%, la faute dit-on à une subvention européenne non décernée. A cette pleurnicherie mal venue on préfère un autre type de cinéma, celui de Kerry Conran et son étonnant Captain Sky et le monde de demain, association entre les serials d’hier et la technologie d’aujourd’hui – le long métrage est intégralement filmé en décors virtuels. Le plaisir est très concret devant ce film ravivant en vrac Métropolis, King Kong, La Planète interdite, James Bond, les mythes de Shangri-là ou des Robots géants… pour une jubilation ludique pas éprouvée depuis Les Aventuriers de l’arche perdue.
Jour 2
Annoncée sous domination asiatique, la 12e édition de Gérardmer a surtout pointé du doigt ses limites : représentant coréen, Bushinsaba est symptomatique du recyclage actuel des histoires de fantômes japonais post-Ring. Ahn Byung-Ki ne voyant qu’une seule échappatoire pour s’en affranchir : singer Carrie en fin de film… Pas vraiment mieux, coté Anglais : Trauma, chichiteux film paranoïaque de Marc Evans qui confirme son savoir-faire de clipeur pour raconter cette histoire de névroses en surlignant chaque scène de symboles qu’un Charles Villeneuve himself n’oserait pas utiliser pour « donner du sens » à ses émissions. Mais le salut est vienu de La Peau blanche, représentant québécois. L’originalité de quelques idées soumises par le scénario de Joël Champetier surplombant l’irrépressible envie de rire à l’écoute du fameux accent. A défaut d’être rigoureuse, cette histoire de goules élabore des thèses (comme celle selon laquelle les blancs ne seraient qu’une version bâtarde des noirs) suffisamment audacieuses pour qu’on promette de les laisser se marrer allègrement le jour où l’on fera un film de science-fiction marseillais avé l’asseng.
Jour 3
A quoi reconnaît-on depuis une dizaine d’années un film fantastique espagnol ? A sa belle photo verdâtre aux tonalités métalliques, à des décors somptueux très « Art nouveau », et à sa volonté de compliquer pour rien une intrigue psychanalytique avant une résolution décevante. Pas de doutes possibles, Hypnos est un film espagnol récent pur jus. Après Lô po blinch’, comme on dit là-bas, pas de doute, le Canada est décidément inspiré, même côté anglophone : dans la sélection d’inédits vidéos se cachaient deux films, ultra-fauchés mais compensant par de belles idées. Dans Shallow ground, le sang de toutes les victimes d’un tueur en série recompose un seul corps venu réclamer vengeance. Tandis que Soeurs de glace relooke le teenage-movie en croisant American pie et The Faculty via des aliens déguisées en bombes sexuelles pour repeupler leur planète. Des scénarios malins qui estompent des acteurs au rabais et des réalisations anorexiques. Surveillez vos vidéo-clubs, les DVD des films de Matt Hastings et Sheldon Wilson y débarquent le mois prochain… Par contre il faudra attendre cet été pour voir, en salles, le très beau Bubba ho-tep, improbable aventure d’un Elvis Presley grabataire et d’un JFK black traquant une momie suçant les âmes de leurs maison de retraite. Don Coscarelli, revient aux ultra-low-budgets de ses débuts (Phantasm) pour une réflexion mélancolique sur la nécessité américaine d’avoir des héros. Touchant et ironique jusque dans la géniale prestation de Bruce Campbell en Elvis philosophe, qui trouve là son meilleur rôle, tout en étant méconnaissable sous les ray-ban et la banane grisonnante du King. On jurerait voir dans ce portrait d’une Amérique vue par ses couloirs vermoulus la trace des Frères Coen première période, avant qu’ils ne deviennent de sacrées feignasses. Reste qu’on se demande pourquoi le festival avait refusé l’année dernière cette merveille et pourquoi il ne lui a offert cette année qu’une séance hors compétition (à minuit). Quand on rentre à l’hôtel, même les montagnes de paquets de bretzels laissés à disposition dans le hall ont un air résigné… Comme l’édition fraîchement livrée de L’Est républicain, quotidien local d’habitude inféodé, se laissant aller à estimer que cette édition commence à sentir la peau de chagrin, tant côtés invités que films…
Jour 4
« Dites monsieur, elle est là ?
– Qui ?
– Ben, Flavie Flament ! »
Cet échange entre accrédités et une poignée de fans frigorifiés attendant devant l’hôtel une hypothétique apparition de Mme Benjamin Castaldi fait d’autant plus mal au coeur que non, Flavie n’est pas venue. Même pas pour profiter, comme la plupart des invités-people de ce festival, d’un forfait de ski gratuit… Quelques heures plus tard, des mômes d’une sincérité confondante prennent Edouard Montoute pour Stomy Bugsy. Pendant que Roger Corman passe inaperçu. Au moins autant que The Eye 2 et Ab-normal beauty, les deux films des frères Pang, qui confirment que leur cinéma n’est qu’affaire de persistance de vision. Le premier voit double puisque remake poussif du film qui les a révélés en Occident.
Lui-même picorant pas mal chez Shyamalan, Amenábar et… Roland Emmerich ! Ab-normal beauty recycle lui leur vision des jeunes adultes thaïlandais déjà explorée dans Bangkok dangerous et One take only. On accordera toutefois à ces faiseurs se reposant lourdement sur leurs acquis un savoir-faire pour filmer le spleen des post-ados asiatique, notamment dans une étonnante scène sur une balustrade, plus vertigineuse que des citations du travail de Joel Peter Witkin. Un autre petit malin, américain celui-ci, a fait plus de bruit. Déjà lauréat du prix du plus gros buzz depuis six mois, Saw, le film de James Wan, est fidèle à la réputation de shocker qui l’avait précédé. Mais aussi au contre-buzz annonçant un sous-sous-Fincher palliant au manque de moyens par des effets visuels ou sonores purement gratuits, cache-pots d’un film manquant au final de substance. L’affaire n’est pas si simple tant Saw sait sadiquement manipuler la part voyeuriste de tout spectateur. Ce qui n’excuse pas un scénario trop vagabond, d’improbables comédiens ou un recours systématique aux coups de théâtre. Il faudra attendre les prochains films de cet intrigant cinéaste pour savoir si Saw ne prend pas les gens pour des sots. Fabrice du Welz a l’honnêteté d’être beaucoup plus clair dans ses intentions. Calvaire est le film d’un fan d’un cinéma déviant des années 70, riche en chefs-d’oeuvre du malsain, de Delivrance à Massacre à la tronçonneuse. Mais aussi d’un surréalisme belge sans concessions. Ce survival trashissime ouvre des brèches béantes sur un onirisme renversant, comme cette déjà culte scène de danse. Calvaire a marqué cette édition comme un des rares films alliant non seulement un sens inné de la mise en scène, mais surtout un univers cohérent et personnel, là où tous les autres long métrages de la compétition ont simplement tourné autour d’une seule idée. Pour mal l’exploiter.
Jour 5
Panne d’oreiller pour la séance des courts-métrages mais heureusement réveillé par un coup de fil d’un collègue y ayant assisté. « bwoooh c’était naze, quasiment que des films en 35mm bourrés de fric, qui ne racontent rien du tout« . Ce qui ne m’empêche de pester d’avoir raté Message from outer space, visiblement sous influence Howard the duck… Côté longs-métrages, le choc belge de la veille ne s’est pas renouvelé. Harry Cleven et Trouble, une histoire de jumeaux qui se retrouvent à l’âge adulte, sont trop obnubilés par le Brian de Palma des années Pulsions et Soeurs de sang, pour n’en reprendre que les trames et les suturer à un scénario mangé aux mites par les incohérences. Notamment dans un final dont même l’évidente sincérité d’un Benoît Magimel dédoublé ne peut masquer l’improbabilité. Certes, le postulat de Save the green planet est tout aussi édifiant, mais Jang Jun-Hwan à le mérité de ne pas faire un cinéma par procuration avec cette délirante comédie coréenne sur fond de présumée invasion extraterrestre, capable de bousculer le loufoque le plus absolu par une réelle empathie pour les personnages qui fait cruellement défaut à Trouble. Mais jamais à One missed call, habile rip-off de Ring, où la VHS tueuse est remplacée par un téléphone portable. Takashi Miike y démontre une nouvelle fois qu’il n’est pas qu’un amateur d’excès en tous genres. Sobre -à l’exception d’un dénouement fumeux-, One missed call restera l’un des rares films à avoir rempli l’objectif du festival : foutre les jetons. Pour mémoire, rappelions que l’année dernière les programmateurs estimaient ce film -tourné en 2003- comme indigne d’être sélectionné…
Le vrai moment de stupeur de cette édition est venu du jury qui a couronné, à l’effarement quasi-général, le film d’Harry Cleven de son Grand Prix. Histoire de jeter un dernier trouble sur l’édition bancale d’un festival visiblement agonisant. Allez, un dernier bretzel pour la route ?