Compte rendu de la Garden Nef Party 2009 (17 et 18 juillet) qui s’est déroulée à la Ferme des Valettes d’Angoulême (forcément, c’est Romain Brethes, notre responsable BD, qui s‘y est rendu). Au programme, pour cette quatrième édition : Franz Ferdinand, Vitalic, TV On the Radio, Pheonix, Blood Red Shoes, Ghinzu et bien d’autres.

D’abord un site. La Garden Nef Party, tout jeune festival estival (c’était sa troisième édition), doit une grande partie de sa renommée, si l’on excepte sa programmation impec, à son site proprement sublime, en contrebas d’Angoulême, qui permet au festivalier de contempler la vieille cité depuis une sorte de théâtre naturel d’herbe et de verdure. Un peu comme si Epidaure s’était miraculeusement transporté en Charente, pour permettre cette communion à la fois civique et païenne avec de nouveaux dieux. Mais la Garden Nef préfigure aussi, d’une certaine manière, les nouveaux rassemblements à venir du XXIe siècle. Les amateurs des Eurockéennes ou des Trans pourront ainsi s’étonner de ne pas croiser une faune bigarrée et interlope, entre teufeurs et punks à chien. Sur le site de la Ferme des Valettes, tout n’est que luxe et volupté, à défaut de calme (quoique…).

Les Arcade Fire ne s’y étaient pas trompés lors de la soirée inaugurale de la première édition en 2007 : « Enfin un Festival où on ne vous vomit pas dessus dès que vous débarquez sur scène. » Et si Angoulême, comme on peut le constater à chaque Festival de bande dessinée, souffre chroniquement d’infrastructures hôtelières en nombre suffisant et haut de gamme (pas d’hôtel 4 étoiles par exemple dans un rayon assez conséquent), cela n’a pas rebuté les têtes d’affiche successives (Muse en 2007, Iggy Pop en 2008, Franz Ferdinand cette année) qui ont bénéficié d’un bouche à oreille manifestement très favorable auprès des artistes déjà intervenus les années précédentes. Il est vrai que l’humeur du public (encore près de 18 000 spectateurs sur les deux jours, un peu moins qu’escomptés toutefois, la faute à une météo capricieuse) semble miraculeusement s’accorder à l’harmonie du lieu. Pas de baston, peu de comas éthyliques, une ambiance bon enfant… Luz, qui fut Dj invité lors de la première édition, aurait même pu se gausser, dans ses remarquables comptes rendus dessinés, du label développement durable affiché par les organisateurs : gobelet recyclable, « brigade verte » (!) à l’affût du moindre papier jeté, toilettes sèches, où les besoins sont voués au compost avec force sciure et copeaux de bois (pas d’eau bêtement gaspillée), jusqu’au pinard (fort acceptable), labellisé également bio. Pas trop de sexe (les festivaliers(-ères) étaient particulièrement sages), pas trop de drogues (bio elle aussi ?), quid du rock ? Cette année, comme un peu partout en France et en Europe, on aura noté jusqu’à plus soif (ad nauseam ?) l’omniprésence du combo-duo male / femelle / guitare / batterie (à prendre dans l’ordre de votre choix). Des english de Blood Red Shoes, Joe Gideon And The Shark et inévitables Tin Tings (au programme d’un nombre invraisemblable de festivals cet été), en passant par les locaux de l’étape installés depuis à London, John et Jehn, l’époque est au primitif, au retour à l’originel, à la fusion orgasmique, même si certains s’en tirent mieux que d’autres.

Ainsi, Joe Gideon And The Shark, sur la scène des Valettes (un peu plus petite, même si ses dimensions ont été réajustées, que la scène principale) a séduit par son côté sombre et âpre, ce qui n’a pas échappé à Nick Cave dont ils ont assuré récemment la première partie. Joe ressemble à un autre Joe, celui de Country Joe And The Fish (ah, cette moustache, c’est les 40 ans de Woodstock, non ?), chante notamment sa solitude douloureuse à l’école, alors que Shark, petite soeur du dit Joe, matraque sa batterie avec la fausse maladresse touchante d’une Moe Tucker, l’énergie en plus.

Un passage par la scène principale pour les coqueluches de Phoenix. Affichant un côté rétro résolu (« Tout était mieux dans le passé », comme ils disent dans leur interview à Chro.tv), avec des titres dans l’esprit (comme l’imparable Lisztomania), ils jouent sur du velours, s’appuyant sur l’efficacité de Thomas Hedlund à la batterie. Si la voix de Thomas Mars nous semble avoir un peu de mal à passer le cap scénique, le public, en grande partie féminin, est conquis (du point de vue look attitude, ces Phoenix-là pourraient incontestablement en remontrer aux Strokes). Phoenix, désormais prophète en son pays ?

Après une pause pour retrouver l’équipe de La Charente Libre et Armel, le rédac chef le plus hype de la PQR (« Ah, le concert de Christophe aux Franco, c’est le firmament ! »), retour à la scène des Valettes pour une véritable révélation, les Sleepy Sun de San Francisco. S’ils échappent de peu à la caricature du combo psyché californien (on croirait Stillwater, le groupe imaginaire du subtil Almost Famous de Cameron Crowe), par la grâce de leur stupéfiante chanteuse, Rachael Williams, leur set a laissé pantois le (trop) sage public. Il y du Brian Jonestown Massacre là-dedans, mais aussi du Quicksilver Messenger Service. Le côté liturgique, presque cérémonial, s’inscrit idéalement dans le cadre de la Garden Nef. Après un premier passage discret par le Nouveau Casino début juillet, on espère qu’ils auront une deuxième chance sur Paris à la rentrée.

Sur la grande scène, les Belges de Ghinzu ont leur inébranlable fan-club depuis la sortie de Blow en 2004 (sans rien de bien nouveau depuis), avant l’arrivée des Franz Ferdinand, dont le dernier album semble avoir déconcerté plus que de raison. Alors oui, les Kinks ne sont peut-être pas très loin, mais ils sont tout de même bien inaccessibles (Ray Davies, c’est quand même Ray Davies), et je reste encore assez sceptique sur l’inévitable et immarcescible Take Me Out, dont je me suis amusé à traduire les paroles à l’aide d’un traducteur sur le Net, selon le principe assez amusant inauguré par Eric Loret dans les livraisons estivales inoffensives de Libération :
« Donc, si vous êtes seul / Tu sais que je suis ici pour vous / Je suis juste un réticule /Je suis juste un coup loin de vous / Et si vous le laissez ici / Vous me laissez cassé, brisé, je gis/Je suis juste un réticule / Je suis juste un coup, on peut mourir / Je sais que je ne veux pas être ici avec vous laissant / Je dis ne sais-tu pas / Vous dites que vous n’allez pas / Je dis… prends moi ! / Je le dis vous ne vous présentez pas / Ne bougez pas, le temps est lent ! Je dis… prends moi ! ». Cela vaut peut-être bien le « Filles, vous m’avez vraiment eu » du grand Ray, mais je ne peux m’empêcher de songer à l’absence désormais récurrente de caractère épique dans la zique anglo-saxonne. « L’histoire, bon dieu, l’histoire », comme le répète inlassablement Bergman, le personnage d’un autre combo fameux, mais graphique celui-là, Milo Manara et Hugo Pratt. Pour ma part, j’estime qu’il n’y a guère d’héritiers au Cortez The Killer de ce bon vieux Neil, et ce n’est pas JC Menu avec ses bluffants Lock groove comics qui dira le contraire, lui qui a réussi le tour de force de faire danser Patrick Eudeline sur I’m the ocean.

J’avoue, je me suis carrément assoupi, mais je tenais à voir Boss Hog, avec le duo d’amoureux Jon Spencer / Cristina Martinez, actif épisodiquement depuis… 1989, et qui a notamment à son compte un épatant single avec Itchy 1nd Scratchy. C’est raté, personne ne m’a réveillé à 2h du mat. Faut dire que tous mes comparses s’étaient déjà perdus dans la nuit angoumoisine. Malade comme un chien le lendemain, je n’ai pu voir à l’oeuvre Zone libre vs. Casey, le nouveau concept-projet de Serge Teyssot-Gay, dont j’avais particulièrement apprécié On croit qu’on en est sorti, mise en musique de l’écrivain charentais injustement oublié Georges Hyvernaud, les géniaux TV On The Radio, pas plus que la « Divine » Beth Ditto et ses comparses actuellement incontournables. Mais la gonzo journaliste (si, si !) de La Charente Libre, lectrice de Judith Butler, semble avoir apprécié. La Garden Nef Party se pose clairement en outsider sérieux au titre de Festival le plus cohérent et le plus pointu de la saison estivale, même si le débriefing avec les collectivités locales s’annonçait serré. Victime de son succès, le Festival connaît (déjà) sa première crise de croissance. On en connaît beaucoup qui auraient aimé la connaître aussi précocement.

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