Partisans de la théorie des boucles et du merchandising American Apparel, les bristoliens de Fuck Buttons s’échauffaient le 21 octobre 2009 au Grrrnd Zero, dans la banlieue lyonnaise, avant leur passage au Nouveau Casino à Paris deux jours plus tard (ou, plus sobrement, « De l’importance d’une bonne salle si les musiciens sont un peu short »). Gonzo-report #3.
Assis à l’avant en compagnie de J., quelque part sur l’A47, dans la Clio blanche de sa soeur (un modèle très classique, très sobre), dans la nuit récente et les rafales de crachin, je regarde, pensif, abandonné dans une sorte de contemplation romantique, les cheminées brûlantes de l’usine pétrochimique de Feyzin, dans la banlieue lyonnaise. Je suis parti considérablement éméché, et les vapeurs d’essences aromatiques, de pétrole brut, d’uranium enrichi et d’ailerons de poulet raffinés dans le silo contigu du KFC, se mêlent dans la tempête et prolongent cette hébétude que l’on peut ressentir, par exemple, en mangeant des Wings à la Hague (j’étais bien, j’étais vraiment bien). Ce soir, Fuck Buttons fait escale à Vaize, au Grrrnd Zero de la rue Gorge de Loup ; et à l’arrière, M., altière, majestueuse, imbibée de sans plomb et de patchouli, râle par intermittence, ne comprenant pas pourquoi dans les bourrasques, l’orage et les pluies acides, on écoute Brassens. « Ouaiiis, et on écoute encore Brassens comme des petits vieux, si c’est comme ça y a André Rieu à l’opéra Nouvel, vous aurez des fauteuils, ils vous distribueront des pastilles Valda à chaque entracte, vous pourrez suçoter comme des papis pendant que moi j’irai danser, de toute façon on me comprend jamais suffisamment, j’ai l’impression d’être jouasse pour trois, etc. » (Ah, M., imbibée de patchouli, une vraie princesse).
On arrive à Vaise un petit peu par hasard, en longeant des concessionnaires Peugeot, des mobile-home de la DDE laissés sur le bas côté pour les quelques graffeurs qui résident non loin, dans les pavillons discrets de l’avenue Apollinaire. C’est un quartier un peu désert, ces trottoirs ne sont pas pour la vieille paire de bottes Balenciaga, le vent froid qui s’engouffre réintroduit la veste en daim avec capuche en mouton, le pull en laine tressée, à la rigueur les collants Damart (mais pas davantage) – on est loin du défilé de pétasses du Transbordeur et c’est pas plus mal ; avec un peu de chance, je pourrai troquer une cervoise contre deux pommes de terre et un vieux fil de fer que j’ai trouvé tout à l’heure en garant la charrette.
Je m’aperçois, une fois sur place, que le Grrrnd Zero s’appelle le Rail. C’est une salle associative, on peut fumer à l’intérieur, ce qui, globalement, assure de passer une bonne soirée (j’ai toujours été contre la loi Evin, je n’aime pas les amendes, je préfère le cancer). A l’entrée, les types de Fuck Buttons vendent eux-mêmes leurs tshirts tandis que Part Chimp, le premier groupe de la soirée, se fend d’un rock furieux, efficace mais sans grande inventivité. Benjamin Powers (le bûcheron) fait une moue un peu résignée en m’annonçant qu’il n’a plus de Medium et comme il a l’air vraiment embêté, je ne suis pas chien : grand prince, je lui prends un Large, lui tape sur l’épaule en esquissant un sourire – ce n’est pas grave, Andrew, ce n’est pas grave (quel grand beta). A ses côtés, Andrew Hung (le chinois) joue à Tap Tap Revenge ; j’hésite à lui proposer un duel en wifi lorsque la bassiste de Part Chimp s’énerve sur ses cordes et clôt le set dans un final bruitiste, le public a un air de balançoire rouillée de la CAMIF, le chanteur s’époumone, les zombies sont contents, les types de Fuck Buttons m’ont sucré douze euros, je peux bien tracer vers le bar avec le coeur en paix avant qu’HTRK ne prenne la relève.
Difficile d’apprécier les Australiens, justement. Il n’est pas certain que la chanteuse ait, comment dire, conscience d’être là, elle est même de toute évidence ailleurs, au pays de Candy, avec le petit prince des collines et une pipe à opium. Les guitares polluées au reverb couvrent sa voix tant bien que mal et ce qui la sauve, c’est la salle, son ambiance un peu crade et ses volutes de weed relevée au vin blanc de pays qui peu à peu irrigue le parterre en béton. Le Grrrnd Zero est une salle qui respire, qui transpire et quand l’australienne de HTRK se remet une bonne couche de rouge à lèvres en plein milieu du set, réajuste son haut de costard Armand Thierry porté à même la peau et frappe un grand coup sur la caisse claire qui n’a rien demandé, on se dit qu’on n’amènera pas les enfants, qu’ils sont bien là, chez Monique, à faire une partie d’Animal crossing en mangeant des Knackis – qu’on devrait, peut-être, les y laisser plus souvent.
Le duo bristolien de Fuck Buttons arrive une demi-heure plus tard, s’affaire autour d’une grosse valise remplie de matos, souriant (ils ont dû refourguer un sacré paquet de t-shirts). Je me souviens avoir trouvé Tarot sport sans intérêt mais qu’importe, ce sera peut-être mieux en live. Première impression : ils jouent fort, très fort, évidemment sans aucun cut et même si le son est bon, très bon, l’envie me manque d’avoir les tympans éclatés pour la seconde fois cette année, après My Bloody cet été à St-Malo. Surf solar, lead-track du second album, lance plutôt bien un set sur lequel il est à peu près impossible de danser, même si déjà, la salle s’est vidée et qu’a dû être fumée la totalité de la production marocaine pour le mois d’octobre (je regarde J., essaie vaguement de me calquer sur son déhanché, mais J. a le rythme dans la peau, il a dû faire une école de samba, il arriverait à danser sur Jean-Louis Murat). Le plus impressionnant, c’est encore la symbiose entre Hung et Weatherall, face à face, l’un avec une GameBoy classique dans les mains, l’autre avec un micro Playskool dans la bouche, séparés par un enchevêtrement de câbles en vrac sur une table façon Simian Mobile Disco, le Frankenstein peroxydé en moins. Une cinquantaine de minutes plus tard, l’unplug est violent, au point de bousiller un retour et de sacrifier le rappel – pas un drame, le premier album est sous-représenté et Tarot sport se prête moins à la dilution du temps (oh non, pas un drame, dis-je à M. avec une pose blasée, pas un drame). Il est temps de rentrer.
Minuit tapante, de retour dans la Clio, quelque part sur l’A47, allongé sur la banquette arrière, la tête reposée contre la vitre embuée (l’estomac retourné sous les étoiles par la cuvée du pays) :
– Alors, vous avez trouvé ça comment ?
– Vraiment pas mal, répond J., enthousiaste.
– Ouais, pareil, ajoute M, vraiment pas mal.
(Silence, circonspection)…
– Ah, moi j’ai pas trouvé ça terrible. La salle était sympa. Le vin était dégueulasse (quelle analyse, hein, de vrais mélomanes).
(Nouveau silence, j’ai les oreilles qui bourdonnent. Une légère brume s’empare de l’autoroute)…
– On peut mettre Air ?
– Ouais.
– Ouais.
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