Frédéric Videau est le Fils de Jean-Claude Videau, figure centrale d’un documentaire passionnant qui, non content de brasser quelques questions cruciales sur le cinéma -le rapport fiction/réel, la création d’un personnage ou le filmage en DV-, parvient à conjuguer, dans un beau mouvement, l’intime et l’universel. Explications.
Chronic’art : Quand on tourne un film comme le vôtre, sur un sujet aussi intime, est-ce que l’on se pose la question du rapport au public ?
Frédéric Videau : Très honnêtement, je ne me suis pas posé beaucoup de questions à ce propos. Le film s’est tourné dans l’urgence, sur un coup de tête de ma part, interprété comme un vrai désir par mon producteur. Quand je suis allé chez mes parents pour le tournage, 24 heures avant l’équipe pour me réacclimater à mon père que je n’avais pas vu depuis un an, et pour que lui aussi se réacclimate à moi, j’avais très peur de ce que j’allais trouver, peur des questions -bonnes ou mauvaises- que l’on se pose fatalement dans ces moments-là, du genre : « Est-ce que j’ai le droit de faire ça ? Est-ce que j’ai le droit de le déranger ? Est-ce que j’ai le droit de remuer des vieux trucs ? Remuer quoi ? » Or, ces questions, quand elles arrivent, elles vous assomment, elles vous prennent toute votre énergie, ce qui fait que, pendant le tournage, je ne me suis pas demandé à un seul instant si le film pouvait intéresser d’autres gens, ou ce que ça pourrait éventuellement évoquer chez eux. Ce n’est que lors des premières projections, après que l’on eut décidé de montrer le film à certaines personnes, que j’ai vu qu’il se passait quelque chose : les gens s’exprimaient tout de suite, ils n’avaient pas forcément tous quelque chose à dire, mais ils avaient quelque chose à penser. Ils en parlaient comme un film, le pensaient comme un film.
Quand vous dites « qu’ils en parlaient comme un film », vous sous-entendez qu’ils étaient sortis de la dimension intime ?
Oui, ils faisaient sans arrêt un va-et-vient entre l’objet film et ce que ça raconte, et la manière dont il était tourné. Pour moi, c’était très productif, c’était un signe de la réussite du film. De la même manière que moi je faisais sans arrêt un va-et-vient entre le documentaire et la fiction : mon père était mon père, moi j’étais moi, mais, en même temps, nous étions aussi d’autres personnes…
Ce mélange entre le fond documentaire et le traitement fictionnel est d’ailleurs l’un des enjeux du film. On a le sentiment que, par le montage et le traitement musical, vous avez cherché à créer une espèce de suspense.
Je voulais dire que, d’accord, ça prend la forme d’un documentaire, d’accord, le sujet est grave, mais c’est aussi un film d’aventures. Pour moi, c’était ça ! La preuve, c’est que je ne savais pas ce qui allait arriver ; or, la meilleure définition de l’aventure, c’est qu’on ne sait pas où l’on va ni ce qu’on va faire, si ce n’est qu’on va réaliser un truc un peu risqué.
Avant le tournage, aviez-vous un canevas très précis en tête ?
Je savais très peu de choses sur le film avant d’arriver, et je ne cherchais pas à en savoir plus. Je me doutais qu’il y aurait plus d’un entretien avec mon père. Je savais qui j’irai voir, qui j’irai ne pas voir. Je pressentais aussi qu’on allait sortir la caravane de la maison de campagne. Je savais que si le film progressait, lors du dernier entretien, mon père et moi serions tous deux dans le plan. Je savais enfin que j’allais présenter le film devant la maison de mes parents.
Vous n’aviez pas préparé les entretiens avec les différents protagonistes ?
Non, je connaissais simplement, à chaque fois, la première question. Je l’avais préparée en me disant que j’allais écouter très attentivement la première réponse, et de là viendrait la deuxième question et ainsi de suite. Après, bien évidemment, je savais que j’allais aborder deux ou trois choses avec les uns ou les autres, mais sous quelle forme…
Pendant le tournage, avez-vous cherché à faire oublier la caméra ou était-elle, au contraire, en évidence, ostentatoire ?
Non, je n’ai jamais essayé de la faire oublier car je voulais me faire comprendre, et faire sentir à mon père que je n’étais pas venu là simplement pour parler et résoudre les choses. Je suis venu avec une caméra parce que je voulais faire un film ; je n’ai donc pas du tout essayé de la cacher. Comme en plus je tournais en DV, j’avais très peur que mon père associe mon film à un film de vacances. C’est pour cela que je n’ai pas tourné seul, que je suis venu avec une équipe : je voulais que l’aspect « professionnel » de ma démarche soit très clair pour tout le monde.
La manière dont vous utilisez la DV tranche d’ailleurs avec les usages habituels.
Ce n’est pas parce qu’on a une DV qu’on va tourner tout et n’importe quoi. Je faisais exactement comme si j’avais une caméra 35, et je ne voulais que des plans avec pied ! J’ai tendance à penser que plus on travaille de manière frontale, plus on fait des plans longs, plus la DV est indiquée. Si on tente des panoramiques ou des travellings, il se produit des effets stroboscopiques car la caméra n’encaisse pas. En fait, loin d’être l’objet d’un cinéma à la va-vite, la caméra DV est l’instrument idéal pour un tournage lent.
Une remarque revient souvent pendant le film : « Tu as été adulte trop tôt. » Que voulaient dire vos parents, à votre avis ?
Cette remarque m’a d’abord fait rire, puis m’a mis en colère. Car je crois que je n’ai pas été trop mûr trop tôt, au contraire, je suis resté bloqué très tard dans l’enfance ! C’est-à-dire que j’étais éternellement un petit garçon face à mon père, et c’est justement l’une des choses qui m’a fait souffrir et dont je voulais sortir. Eux voulaient sans doute dire par là qu’il y avait une différence entre ma maturité affective et ma maturité intellectuelle. D’ailleurs, beaucoup de personnes ayant vu le film étaient incapables de me donner un âge. C’est comme si le film imprimait le fait que j’étais un vieux petit garçon, sans âge !
Pourquoi avoir choisi de conclure le film avec la discussion autour des questionnements sur l’identité sexuelle ?
Parce que c’était bien de ça qu’il s’agissait : l’identité se fonde d’abord selon moi par une identité sexuelle. Dans mon cas, j’étais garçon et tant que mon père ne me reconnaissait pas comme homme, je ne l’étais pas vraiment. De plus, ça me faisait rire de parler de ça avec mon père. Parce qu’on allait discuter pendant 20 minutes de quelque chose qui n’avait pas existé, et qui n’avait pas lieu d’exister, et pourtant on allait palabrer à perte de vue. On n’allait pas découvrir un secret de famille, mais plutôt découvrir qu’il n’y en avait aucun ! Je trouvais ça drôle. Et assez juste, au fond.
Propos recueillis par
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