Depuis une dizaine d’années, François Taillandier expérimente des mises en formes très audacieuses. Il s’explique sur sa volonté d’être un écrivain dont l’œuvre parle de son temps.
Tête de l’art : Des hommes qui s’éloignent est-il un livre provocateur ?
François Taillandier : Mon livre peut paraître provocant de différents points de vue. D’abord parce que les idées de Xeni, le personnage central, semblent inquiétantes. Mais ce n’est pas mon problème en tant que romancier. Je l’ai entendu, je l’ai retranscrit ; je n’ai pas à m’en excuser. L’autre audace tient à la perception de la réalité dont je fais état. Elle est lacunaire, éclatée et mystérieuse. Les deux parties de mon livre ne s’articulent pas de manière évidente, j’ai volontairement laissé des lignes de points. Je n’ai pas le sentiment qu’il y ait là une provocation.
S’agit-il d’un pamphlet ou un roman ?
On ferait une erreur en prenant Des hommes qui s’éloignent pour un livre d’idées. Cela reviendrait à m’attribuer plus ou moins les idées de Xeni, or la question n’est pas là. Je n’ai pas de complexe de ce côté là, mais ce n’était pas mon but. Mon objectif était de comprendre quelle problématique posait Xeni. A cet égard, Des hommes qui s’éloignent est un roman.
Le roman de la fin de l’Histoire ?
J’aimerais raconter des histoires avec des personnages qui agissent sur le monde. Mais contrairement aux périodes où les individus sont entraînés par l’Histoire, nous vivons une période où le monde bouge sans nous. En dehors des malheurs ou des bonheurs intimes, le seul événement qui puisse se produire dans la vie d’un citoyen occidental, c’est d’être jeté au chômage. Ce qui fait la spécificité du romancier, c’est qu’il part de l’expérience intime. Le résultat auquel j’aboutis n’est donc pas recherché. Je suis malgré moi le témoin d’un monde où le sujet n’a guère de perspectives d’action. Le paradoxe est qu’il s’y passe pourtant quelque chose. En romancier, j’essaye de savoir quoi.
Les romanciers contemporains manquent-ils d’audace ?
Tout une part de la production romanesque contemporaine est rassurante. Ce sont des romans qui miment le roman. Il trahissent une grande nostalgie pour le passé. Ou alors ils donnent dans la fausse provocation. Il me semble pourtant que la littérature garde sa fonction critique. Pour reprendre la distinction d’Umberto Eco, il y la littérature consolatrice et la littérature problématique. Ou comme disait Léon Bloy, la littérature des belluaires et celle des porchers. A ma modeste mesure, j’essaye d’être du côté du problématique.
Êtes-vous un homme qui s’éloigne ?
Je ne suis pas hanté par cette idée d’éloignement. Il est pourtant évident que le romancier se met toujours un peu en marge pour regarder les choses. Jean Dutourd expliquait qu’un écrivain était forcément un émigré. Il occupe une position hors du cercle. Aragon pensait fort justement qu’instaurer une distance obligeait à la réflexion. Xeni est le personnage de cette distance.
Propos recueillis par Sébastien Lapaque