Malgré la ressemblance entre son sobriquet et celui de Bill Callahan, Fog n’a jamais entendu parler de Smog. Sa musique, entre hip-hop bricolé et folk crépusculaire, y ressemble d’ailleurs assez peu. Si ce n’est un sens du spleen que cet américain de 22 ans exploite à merveille sur un premier album éponyme qui fera date.
Fog : J’ai choisi le nom Fog pour plusieurs raisons. Je parle notamment dans plusieurs chansons de souvenirs qui reviennent de manière erratique et imprécise, un peu comme un rêve dont on arrive à palper l’ambiance sans se rappeler l’histoire. Mais ce nom est également lié à la manière dont je compose la musique elle-même : je ne sais jamais à quoi va ressembler un morceau avant de l’avoir terminé. Ce morceau reste donc flou et comme « dans le brouillard » jusqu’à la fin. Il y a quelque chose de mon inconscient qui émerge dans le résultat final et je ne le contrôle pas vraiment, comme si le morceau était là, quelque part dans mon esprit, et que je n’arrivais pas à l’attraper avant d’avoir tout mis sur bande.
Chronic’art : Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours ?
J’ai grandi dans la banlieue de Minneapolis, où je vis toujours. C’est une petite ville sympathique, où il ne se passe pas énormément de choses, ce qui explique pourquoi tant d’artistes finissent par en partir. Ma musique a probablement quelque chose de ça, de cette envie perpétuelle de s’imaginer plus heureux ailleurs. La musique en général a toujours été mon échappatoire. Ca a également toujours été mon principal moyen d’expression et de communication. Faire de la musique dans un endroit où tu es plus isolé te permet d’évoluer loin des modes, avec plus de perspectives, plus de liberté et d’indépendance. Minneapolis a ses coins à la mode, et a toujours été un vivier de groupes intéressants, mais ce n’est pas… Paris par exemple. Au final ce n’est qu’une ville du Midwest américain… Je ne me sens pas cool, parce que je ne connais pas vraiment de gens cools. La preuve, c’est que ma première grande influence musical a été les Twisted Sisters… (rires). Heureusement qu’il y a eu le hip-hop, grâce à lui je peux faire semblant d’être à la page.
Quand avez-vous commencé à travailler sur ce qui allait devenir la musique de Fog ?
Aux alentours de 1998, j’ai décidé de faire un album de scratch-Dj, parce que j’écoutais beaucoup Kid Koala ou Q-Bert. Mais l’idée ne me tenait pas tant à coeur que ça… Au fur et à mesure que j’avançais, je me disais que cette musique ne me correspondait pas vraiment. Alors j’ai transformé les petits bouts que j’avais en me disant que j’allais en faire des chansons. J’ai écrit des paroles, j’ai ressorti ma guitare, et c’est devenu beaucoup plus personnel.
On a l’impression que vous avez trouvé un vrai principe de composition, presque une formule : mélanger folk et hip-hop. Vous en êtes conscient ?
Bien sûr que non : c’est venu tout seul, de mes diverses inclinations musicales. J’ai tout fait -ce qui ne veut pas dire bien fait, d’ailleurs-, j’ai joué dans des groupes de métal, d’indie, de hip-hop… Mais je n’ai pas décidé un jour de mélanger plusieurs genres. Ce n’est pas une façon honnête de faire de la musique, et ça ne donne pas des disques qui restent. Ce qui m’amuse en ce moment, c’est de voir les journalistes disséquer une musique qui est presque sortie toute seule de moi. Et le plus étrange, c’est que très souvent, je suis d’accord avec eux.
On a l’impression que vous aimez tuer dans l’oeuf le potentiel de vos chansons en les déconstruisant presque systématiquement. Est-ce un geste volontaire ?
Oui et non. Ca vient essentiellement du fait que la musique est jouée et non pas programmée. Il y a un côté très lâche dans les rythmes et les calages… Mais si je n’ai pas de sampler, c’est que je n’en veux pas. J’aime ma musique comme elle est, manuelle et casse-gueule. Les parties rythmiques sont jouées en temps réel du début à la fin. La musique programmée pour l’essentiel, surtout le hip-hop, est devenue tellement métronomique, il n’y a plus de tensions, de dynamiques. Les disques de Public Enemy étaient tellement fluides et dynamiques, en mouvement constant. Aujourd’hui, plus rien ne bouge : le rythme est le même du début à la fin, et tout le monde s’en fout.
Comment considérez-vous la tristesse dans votre musique ? Vous passez souvent d’un premier degré très sérieux à une distance presque ironique.
Bien sûr, il y a de l’humour dans des titres comme We’re a mess ou Ghoul expert. Sinon, ce serait juste… pathétique. Ou impossible à écouter. Les gens les plus mélancoliques sont souvent des gens très drôles. La musique s’inspire de tes diverses expériences, et pour chaque chose que tu vis, il y a plusieurs interprétations, plusieurs façons de les regarder et de les considérer. Des fois, ça te fait rire et pleurer en même temps.
Il y a ce sample dans le disque, notamment, d’un homme qui s’excuse d’être heureux…
C’est exactement ça. On peut faire de la musique triste et s’en rendre compte, et avoir un regard un peu ironique sur toute cette tristesse. C’est un peu ce que je fais, histoire de devancer les critiques qui vont me tomber dessus (rires).
Vous pensez que votre musique est triste ?
Oui. Définitivement. Le plus important pour moi est d’être sincère à 100 %. Et si un artiste est complètement triste, alors il ne devrait pas avoir honte de faire de la musique complètement triste. Mon album est un vrai cahier pour moi, et les morceaux sont presque rangés par ordre chronologique. D’ailleurs, les morceaux les plus récents, ceux qui composent la fin du disque, sont aussi les plus sombres. Je ne voulais pas forcer ce trait pour rentrer dans une certaine exigence esthétique, c’est venu naturellement. Mais si je veux faire un morceau festif demain matin, j’espère en être capable… Je n’ai pas encore essayé, pour l’instant.
Propos recueillis par
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