Pour la sortie de son premier album sous le nom d’Expérience, rencontre avec Michel Cloup, ex-Diabologum, pour une interview sous véranda dans un hôtel du 10e arrondissement de Paris.
Chronic’art : L’avant-dernier titre de ton album évoque les « kilomètres de phrases » de la critique. Comment vis-tu le fait de faire de la promo aujourd’hui ?
Michel Cloup : Je ne le vis pas mal, c’est intéressant, ça permet parfois de remettre les pendules à l’heure. Il y a déjà eu des interprétations un peu bizarres de l’album, à propos desquelles j’ai pu me prononcer grâce aux interviews. Notamment hier, une personne trouvait le disque très sombre et très désespéré, elle disait que la chanson Entre voisins était une chanson misanthrope. Ca m’a fait halluciner, mais j’ai pu m’expliquer. Clairement, les interviews, ça fait partie de ce métier, ça ne me dérange pas.
A propos du morceau Entre voisins, on pense plutôt à Mendelson. Quelle est la part autobiographique d’un morceau comme ça ?
Pour Mendelson, c’est possible oui. Sinon, à part pour Deux ou Aujourd’hui, maintenant, les textes relèvent le plus souvent de la fiction. Entre voisins est inventé, à partir de deux ou trois rencontres intéressantes. Aujourd’hui, maintenant s’adresse à des gens en particulier, mais aussi à tout le monde. L’idée, c’est de faire partager une expérience, un point de vue, faire un constat. Ne pas composer des chansons uniquement pour moi, pour raconter mes problèmes, mais essayer de communiquer. J’écris des textes pour les gens. Cette chanson-là en particulier s’adresse aux gens qui avaient des idéaux lorsqu’ils étaient jeunes. Je dis qu’ils ne doivent pas les abandonner, qu’ils doivent analyser la situation avec espoir et lucidité, qu’il faut continuer à vivre, à avancer comme on peut. C’est toujours difficile de tenir ce genre de discours, parce qu’on a fait aujourd’hui un peu le tour des idéaux justement. Et dire que la vie continue nécessite beaucoup de précautions. Cette chanson est aussi personnelle, comme une manière de dire « voilà où j’en suis dans ma réflexion, aujourd’hui, maintenant, et aussi demain ».
On a l’impression que la chanson Entre voisins parle aussi de l’espèce de surveillance des uns et des autres dès lors qu’ils vivent en société, du réseau de conformisme qui touche chaque individu. L’ »autre » y est très contraignant…
Dans cette chanson, c’est flagrant. Mais elle évoque aussi la beauté et la chaleur que tu peux ressentir au contact de l’autre. Il y a d’un côté l’aspect humain très important, et de l’autre la peur de se retrouver au milieu des autres, le côté envahissant des gens.
Mais ce qui m’intéressait ici, c’était précisément de me mettre à la place d’une personne âgée. Ca m’amusait d’imaginer une personne âgée, vivant seule, qui irait voir ses voisins pour les inviter à manger, pour qu’ils se sentent moins seuls. En leur disant : « La vie, c’est pas si terrible. » J’ai déjà rencontré des gens comme ça qui te remontent le moral mais qui au fond sont bien plus déprimés que toi. Et je suis assez admiratif devant ça. Moi, je suis au milieu de tout ça, entre le besoin de contact et la suffocation au milieu des gens. Mais avec ce disque, j’ai l’impression que je suis plus passé du côté de l’humain, j’ai essayé de m’ouvrir, même si l’album n’est pas complètement ouvert ou lumineux. J’ai changé, j’ai évolué dans ce sens. Avant, j’étais plus dur avec les gens, plus renfermé, et, en vieillissant, je change et je me sens beaucoup mieux.
Ce qui est frappant aussi avec cet album, c’est qu’on a l’impression que tu t’adresses vraiment à l’auditeur. Tu lui parles à la deuxième personne. Tu cherches à avoir un réel impact sur les gens qui t’écoutent ?
Oui, j’entends vraiment casser l’image distante et froide de Diabologum et de l’album #3. Là, je cherche plus de proximité, plus de chaleur. Moins de dissertation, plus de communication. Avec Diabologum, j’avais l’impression de m’adresser à un public spécifique, un peu intello, élitiste, et finalement ça m’ennuyait. Il a fallu que je me remette en question pour savoir à qui j’avais envie de parler. J’ai voulu élargir mon discours, devenir plus accessible. Je pense qu’il y a suffisamment de choses dans le disque pour que plusieurs personnes puissent se retrouver sur des aspects différents, mais je n’imagine aucunement l’auditeur idéal. J’espère que certaines chansons fonctionneront comme des portes d’entrée, vers le disque dans son intégralité. Sans proposer une soupe prémâchée pour plaire au plus grand nombre, mais sans non plus écarter trop de monde. Je suis cependant toujours attaché à l’idée de bousculer l’auditeur, c’est important, ça fait partie de l’excitation propre à l’art en général et à la rock-music en particulier.
Musicalement, c’est assez violent. Les guitares saturées, les batteries… Tu avais envie de revenir à un format plus rock ?
J’avais un peu perdu foi dans le rock après Diabologum. J’étais parti sur un album à base de samples. Et puis très vite, je me suis rendu compte que je tournais en rond et que ça n’était pas vraiment ce que j’avais envie de faire. J’ai pris beaucoup de plaisir à écrire une chanson comme Essayer, très basique, couplet-refrain, guitare-basse-batterie.
Un plaisir presque vicieux, d’autant plus lorsqu’on entend partout aujourd’hui que le rock est mort et que seule la musique électronique a de l’avenir. Je n’ai quand même pas l’impression depuis Kraftwerk -mis à part Aphex Twin- que l’électronique commerciale soit très inventive ou novatrice. On recycle simplement des vieux clichés. J’ai eu beaucoup de plaisir également à jouer à nouveau avec un groupe, un plaisir presque adolescent. C’était vraiment jouissif de rejouer de la guitare, de faire des larsens, d’avoir les oreilles qui sifflent…
Que penses-tu de Programme, l’autre projet issu de Diabologum ?
Je n’ai pas écouté. Parce que je travaillais à ce moment-là sur mon album et que je tenais à ne pas avoir de réaction par rapport à leur disque, ce qui aurait biaisé les choses à mon avis. Mais je pense, sans l’avoir écouté, connaissant Arnaud, que c’est un très bon disque. Je sais aussi ce qui se dit à travers le disque, et je n’ai pas du tout envie d’entendre ça en ce moment. Je pense donc que je ne vais pas encore l’écouter tout de suite.
Expérience, le nom du groupe, ça t’est venu comment ?
J’avais déjà fait des chansons sous le nom de Peter Parker Experience. J’aime bien ce mot, surtout en anglais, la nuance entre experiment et experience, qui correspond davantage à l’idée d’apprentissage, même si ça peut paraître un peu prétentieux. Le nom du groupe ne correspond pas vraiment à l’idée d’une expérience qui serait vécue par l’auditeur, je ne voulais absolument pas de cette interprétation. Et puis, à mesure que le projet a évolué, le nom a pris d’autres connotations. J’imaginais un projet ouvert à d’autres collaborations, avec des musiciens ou des artistes. Ce qui explique l’existence d’une piste CD-Rom sur le disque ou encore les performances que je fais avec Béatrice Utrilla. On a enregistré un titre avec Mendelson aussi. Il y aura également une tournée, avec des images projetées sur scène.
Propos recueillis par
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