Avec Kid A, Radiohead revient, apprend-on… Perdu ! Avec « Kid A », Radiohead s’en va !
Cette affaire !… Lu dans la presse anglaise : « OK computer, meilleur disque du siècle, Kid A, album le plus attendu de celui d’après », etc. (et pourquoi pas Thom Yorke homme le plus sexy de l’an 2000, pendant qu’on y est ?). Décidément, ces bouilleurs de viande perdent leur sang froid. Un gouvernement travailliste et leur mémoire flanche… Radiohead revient effectivement, et c’est ce que tout le monde semble penser, alors qu’en réalité, le groupe s’en va.
Radiohead a été le groupe a priori le plus détestable qui soit. Pire que U2. Un nom stupide, des titres de chansons et de disques plus crétins les uns que les autres, des pochettes de disques toutes sans exception d’une considérable laideur. Et trois guitares… comme Lynyrd Skynyrd ! Des goûts ignobles (les derniers albums de REM, Pink Floyd, ou Genesis à qui Jonny Greenwood vient d’admettre avoir piqué des « plans »), et un chanteur pleurnichard exhibant un orgelet permanent, remuant la tête comme Oui Oui au pays des jouets, très irritant dans le registre écorché vif/maniaco dépressif pour étudiants acnéïques dévorant Artaud en soupirant d’extase. Bien… Depuis la démise des Cure en 83 et le virage disco de U2, il fallait au public un nouveau groupe emblématique. Le mot est lâché : de la « big music » pour stade. Comment tolérer un groupe concentrant autant d’erreurs ? Comment respecter un péquenot anglais qui a fait chavirer aux Etats-Unis le niais public de Nirvana et Metallica en chantant « je suis un monstre, je suis un zarbi, mais que fais-je donc là ? » (et nous ?, soupirs…) ?
En commençant par The Bends, bien après sa sortie. Et aujourd’hui encore… Pablo honey, mignon disque de pop punky, en devient sympathique à rebours. The Bends, on y revient toujours. Ephémère et parfait moment d’équilibre entre les diverses tendances du groupe. Colère sourde et suffocante (The Bends), et abandon total vers une sorte d’illumination aveugle, l’abdication d’un chanteur habité par la grâce devant la complexité de la vie (Fake plastic trees), une sorte de conversion en temps réel. Sur cet album, tout en guitares frippiennes, explorant des dynamismes rarement entendus depuis le Scary monsters (and super creeps) de Bowie, et compositions parfaites de facture encore classique, Radiohead est le meilleur groupe du monde. Et Thom Yorke, toujours à deux millimètres du ridicule, à deux secondes de Bono, est effectivement le plus grand chanteur au monde. Ecrasant McCulloch, Scott Walker et tous les autres. Que ses textes soient ineptes, tout le monde s’en moque. Ce type peut bien chanter le menu de la pizzeria du coin si ça lui dit. Avec, derrière lui, un groupe comme celui de The Bends, et des chansons de ce calibre, même sa façon de bouger devient tolérable.
Hélas, cette perfection ne tarde pas à s’effilocher. Radiohead grandit, s’apprête à sortir, selon l’ineffable formule consacrée l’ »album de la maturité ». Arrive donc ce pachydermique OK computer et ses titres débiles (Subterranean homesick alien, Paranoid android, ce genre de choses). Digressions très complaisantes, dérives vers le prog-rock, boursouflures et tempos somnolents. Deux ou trois ballades sauvent les meubles, et emballé c’est pesé ! Ce groupe est déjà mort. D’ailleurs, parmi les millions qui se le sont procuré, nombreux sont ceux qui comptent bien ne pas remettre le couvert. Suivi par une vidéo à l’insondable prétention (Meeting people is easy, presque plus pénible que l’insurpassable The Year punk broke de Sonic Youth), OK computer propulsait le groupe dans le pire des hyper espaces : celui, très vide en effet, des « artistes ».
Résultat des courses, Thom Yorke, brave gars un peu simplet, se retrouve déboussolé par ce nouveau statut de génie, met sa tête dans les mains et souffre tout en écoutant… le catalogue Warp ! Le désormais incontournable « Kraut Rock » (dictionnaire Larousse 1980 : « rock planant teuton pour hippies lobotomisés ») ! Il entend tout ça et les bras lui en tombent ! « C’est si beau, si intelligent ! ». Comment donc, « à l’aube du vingt-et-unième, etc. », faire encore de la musique avec des chansons, des refrains et des couplets, des solos de guitare ? Des solos de guitare ! C’est interdit par la karma police, c’est vraiment out… Alors, comme chaque musicien égaré, Thom Yorke réalise, semi-dictatorialement, un album expérimental. Au bout de bien des déconvenues, d’ailleurs. Errant de studio en studio, enregistrant des semaines de bande pour vider les lieux sans un seul morceau en boîte, les musiciens de son groupe se demandant vaguement s’ils sont là pour la décoration… Toutes choses qui s’entendent sur ce très triste Kid A, qui semble actuellement fonctionner assez parfaitement : ceux qui n’y entendent rien se sentent bien obligés de le trouver fort passionnant… Et la presse, évidemment, ne va pas lâcher le « plus grand groupe de l’histoire du rock ». Pourtant, alors que Radiohead en personne reconnaît enfin les nombreuses erreurs de OK computer, l’écoute attentive et répétée de Kid A débouche fatalement -à condition de ne pas verser dans le fanatisme- vers une conclusion toute simple… Cette fausse musique électronique, ces morceaux en forme d’interludes qui n’auraient jamais dû dépasser le stade de démos, ces imitations riquiqui d’ambient, de Charlie Mingus ou Faust ne sauraient masquer le réel problème : un manque d’inspiration sans précédent dans la carrière du groupe, qui laisse songer que toute cette quincaillerie électronique était le seul moyen de survivre pour Thom Yorke, paralysé et effrayé par un writer’s block signant son arrêt de mort.