Meilleur générique de début, meilleur personnage féminin, meilleur scénario d’épisodes, meilleur réalisateur, classée première à l’Anime Grand Prix 1996… Sortie de l’imagination prolifique de Hidéaki Anno, « Evangelion », la série de tous les superlatifs, débarque en salles.
2015 A.D. Quinze ans sont passés déjà depuis le jour où deux milliards d’êtres humains et la plupart des espèces vivantes sur la planète ont péri à cause du second impact, lorsqu’une météorite s’est écrasé au pôle nord, provoquant la submersion de la quasi-totalité des terres du globe suite à la fonte des glaces. Comme toujours, l’action se concentre au Japon, à Tokyo-3, une ville-forteresse construite aux pieds du Mont-Fuji. Shinji, 14 ans, débarque dans la ville en état d’alerte, au moment où les tanks des Nations Unies s’apprêtent à affronter une créature gigantesque, un « Ange ». L’affrontement tourne court. L’ONU à la ramasse et le reste du monde ne semblant pas vraiment se soucier de ce qui se trame chez nos petits amis bridés, le gouvernement japonais fait appel à la Nerv, une organisation scientifique ultra secrète dirigée par le propre père de Shinji, qui a mis au point une nouvelle génération de robots humanoïdes développés à partir d’une technologie voisine de celle des Anges. Il ne reste plus qu’à trouver un pilote pour sauver l’humanité.
Des robots et des filles
Un jeune garçon mal dans sa peau affronte des monstres d’origine inconnue aux commandes d’un robot géant de combat. Encore un autre Robot-show à la japonaise ? A première vue, Evangelion ne se démarque pas tellement des nombreuses séries mécha lancées à la fin des années 80. En apparence seulement, car Evangelion ne ressemble en rien à Macross, Gundam ou Patlabor. « Je me suis entièrement investi dans Neon genesis Evangelion , moi qui était resté improductif durant plus de quatre années. Quatre années de fuite pendant lesquelles je me suis juste contenté de ne pas mourir : c’est en me disant « je ne dois plus fuir » que j’ai commencé cette série », se souvient Hidéaki Anno pour justifier l’atmosphère d’apocalypse de la série. Né en 1961, il appartient à cette génération pour qui la science-fiction a toujours été une évidence. Membre hyper actif du Fandom (de l’anglais « fan kingdom »), il a pris l’habitude d’aller tous les ans à Daicon, la convention de SF d’Osaka, pour y projeter ses courts métrages réalisés entre amis. C’est là qu’un certain Hayao Miyasaki le remarque et l’engage sur son film Nausicaa de la vallée du vent, pour lui confier l’animation des séquences finales du Dieu de la guerre, qui préfigure déjà curieusement le futur look mi-robot, mi-démon des EVA. La même année, il participe également au film tiré de la très populaire série Macross. Le studio Gainax naît dans la foulée pour réaliser un long métrage produit par la firme de jouets Bandaï qui a investi 800 millions de yens (le double de Ghost in the shell) dans le projet. Dirigé par Hiroyuki Yamaga, Hidéaki Anno s’occupant de l’animation et Yoshiyuki Sadamoto du design des personnages, Wings of honneamise se paye même le luxe d’une B.O. signée Ryûchi Sakamoto (Furyo), ce qui n’empêche pourtant pas ce premier film, et premier chef-d’œuvre estampillé Gainax, d’être un flop retentissant au box office. Les Ailes d’Honneamise suscite peut être l’admiration de la profession, mais manque de peu de sonner le glas des prétentions artistiques du jeune studio, qui, dès lors, bat prudemment en retraite sur le marché vidéo. Le succès arrive enfin avec une mini série de 6 OAV intitulée Gunbuster (1988). Très réaliste, le scénario de ce space opera pas comme les autres étonne toujours autant par son pessimisme ambiant et ses partis pris esthétiques (le dernier épisode en noir et blanc), surtout si l’on s’en tient au pitch de départ : des jolies filles sexy et des robots. Hideaki Anno s’en souviendra plus tard sur Evangelion. Grâce à Gunbuster et au succès considérable remporté par leur première série TV, Nadia et le secret de l’eau bleue, Gainax acquiert une solide réputation et multiplie les projets, mais sans le concours de son réalisateur vedette qui vient tout juste de sombrer dans une période de dépression profonde. Plusieurs tentatives de suicide plus tard, Hidéaki Anno revient à l’animation avec l’idée d’une nouvelle série où « la moitié de l’humanité a disparu violemment. Un monde où, par le miracle d’une reprise de l’économie, de la consommation, de la circulation et de la production, les étalages des commerces sont à nouveau approvisionnés. Un monde où, habitués à ce spectacle, les gens préfèrent la fin aux moyens. Un monde où la natalité s’effondre (…). Voici un survol du monde de Neon genesis Evangelion, une vision emprunte de pessimisme. Il est tout à fait évident que j’ai commencé ce récit en ôtant toute parcelle d’optimisme que je pouvais y trouver ».
L’enfant dans la machine
Toute la série repose sur le sentiment de solitude, le mensonge, l’abandon et la trahison. Loin des standards en vigueur, la conception des personnages signée Yoshiyuki Sadamoto (également auteur de l’adaptation manga, onze volumes parus aux éditions Glénat) insiste sur la fragilité des personnages principaux. Coincé au fond de sa coquille, Shinji vit dans un monde fermé. Orphelin par sa mère, s’estimant abandonné par son père, le jeune garçon n’aspire qu’à retourner dans le ventre chaud de sa maman robot de substitution. Les nombreux personnages féminins qui l’entourent sonnent tout aussi juste, à tel point que Misato, Asuka et surtout l’énigmatique Rei (la poupée qui dit non) sont à leur tour devenues des stéréotypes très en vogue dans l’animation japonaise. Coté SF, la synchronicité du pilote et de l’EVA est une des plus belles trouvailles de la série.
Avec son souci maniaque du détail techno, son vocabulaire de nerds (AT-field, Entry plug, Dummy system…), l’immersion est totale dès le premier épisode. En vrai otaku qui se respecte, Hideaki Anno connaît par cœur toutes les séries TV de référence, de Ultraman à Thunderbirds ; il maîtrise parfaitement tous les codes, il a tout vu, tout digéré, reprenant même à son compte le principe de la fausse conclusion en forme de vrai pied de nez au téléspectateur, piqué dans le feuilleton Le Prisonnier (Patrick McGoohan, R.I.P.), pour boucler sa propre série dans le bruit et la fureur des anime-fans découvrant, indignés, que le dernier épisode n’apporte aucune des réponses attendues. Que cache la Nerv ? Quelle est la nature des Anges ? En quoi consiste le mystérieux Plan de Complémentarité de l’Homme ? On a beaucoup glosé du coup sur le pseudo message religieux caché dans Evangelion. Les recherches dans l’ésotérisme judéo-chrétien effectuées par Gainax sont, il est vrai, déconcertantes. Evangelion pousse très loin le syncrétisme hallucinant qui mêle sans gêne robots géants de combat et Kabbale, Lilith et Lune noire, Adam Kadmon originel, Lance de Longin, Arbre des Séphiroth et tout le toutim mystico-juif revu et corrigé à la sauce manga. Le nom même des créatures « Ange » frôle la provocation. Pourquoi les hommes combattent-ils les messagers de Dieu ? Un peu dépassé par les événements, Anno et son équipe ont largement eu l’occasion de revenir sur la genèse de la série qui ne contient en réalité aucun message religieux particulier. Quitte à décevoir, il avoue maintenant sans honte que le choix du décorum judéo-chrétien avait surtout pour objectif de se distinguer des autres séries mecha.
Rebuild Of Evangelion
Certes, la série (disponible en coffret chez Dybex) a un peu vieilli, à cause d’une animation qui paraît aujourd’hui un brin sommaire. Faute d’un budget conséquent, le nombre de celluloïds diminue à mesure que la série avance, pour finalement s’achever par un épisode complètement dénuée d’animation, réalisé seulement à partir de simples crayonnés et en voix off ; en guise de conclusion, c’est peu dire que les fans l’ont eu mauvaise… Evangelion devient alors un tel condensé de malentendus, que Gainax décide en 1997 de sortir deux films ciné en guise de nouvelle fin plus conventionnelle. Le premier, Death and rebirth n’est qu’un résumé des 26 épisodes de la série en avance rapide, ou comment faire tenir 10 heures d’action, d’humour et de soap en un tout cohérent de 70 minutes. Mission impossible ; le résultat speedé à mort ne présente guère d’intérêt. On ne saurait recommander pire entrée en matière. The End of Evangelion remet les couverts avec pour objectif cette fois d’apporter enfin une conclusion acceptable par tout le monde. Le film n’est qu’à moitié satisfaisant, la surenchère fatigue à la longue et la parabole christique pèse un peu lourd sur les épaules du frêle Shinji. La messe est dite. Alors quatorze ans après, que reste-il ? Tandis qu’on murmure la possibilité d’un remake live américain, Evangelion revient à nouveau sous la forme d’un ambitieux projet (« Rebuild of Evangelion ») supervisé par Hideaki Anno lui-même, prévoyant, non pas un, ni deux, mais trois nouveaux films ; preuve que le réalisateur n’avait pas tout dit. Ni tout à fait remake, ni véritable suite, la série s’offre une nouvelle jeunesse pour s’imposer sur grand écran à l’aune de l’échec des précédents films et des attentes toujours aussi nombreuses du public. Premier du lot, Evangelion : 1.0 – You are (not) alone suit le fil des six premiers épisodes, certaines scènes remontées à l’identique, au plan prés, sans apporter aucun changement notable. L’impression de redite est inévitable, mais le scénario gagne en lisibilité, l’intrigue se concentre sur l’essentiel, débarrassée des nombreuses fausses pistes et des storylines superflues. Certains personnages secondaires, dont Toji et Kensuké, les petits camarades de classe de Shinji, en font un peu les frais, mais heureusement Pen Pen, le gentil pingouin d’eau douce qui vit dans le frigo de Misato, est toujours là. De nouveaux personnages absents de l’histoire originelle devraient d’ailleurs faire leur apparition dans le deuxième film (on annonce même un EVA supplémentaire) et le récit s’éloignera de plus en plus de la série TV pour aboutir à une nouvelle conclusion inédite dans le troisième. Si rien de tout cela n’apparaît encore, Evangelion : 1.0 témoigne en revanche d’une qualité graphique inégalée. Visuellement, tout est mieux que dans l’original. Les visages sont plus fluides et plus expressifs, moins monotones, ils gagnent en émotion. Le style aisément reconnaissable de Yoshiyuki Sadamoto (personnages pâles et longilignes) est peut être un peu moins flagrant qu’à l’accoutumée, mais pour dire les chose simplement, Shinji se la joue autre chose que malheureux Calimero surpris la main dans le slip, et c’est tant mieux. Coté dessin, la reconstruction graphique profite également aux décors. La profondeur de champs s’accommode pleinement de l’écran panoramique. Tokyo-3 s’en trouve considérablement enrichis de détails inédits, les transformations militaro-industrielles de la ville gigogne constituent même un des grands moments de cette nouvelle version qui bénéficie en outre d’un lifting aux images de synthèse. Très à l’aise dans l’action, la réalisation conserve néanmoins intacts tous les tics de mise en scène qui faisaient le rythme particulier de la série : pauses, plans fixes, vues de paysages, silences et bruits de fond (le crissement des cigales)… Pour le reste, mecha design (Ikuto Yamashita), musique (Shiro Sagisu), doublage, le film renoue avec le staff d’origine. La qualité Gainax est au rendez-vous. Le spectacle culmine dans la dernière partie qui voit deux EVA luttant côte à côte contre Ramiël, l’Ange géométrique, dans une reprise quasi intégrale de l’épisode 6, qui représente à lui seul prés d’un tiers du film, quand d’autres épisodes sont évacués en quelques minutes. Syndrome Yamato oblige, cette séquence qui fait vibrer la fibre patriote au coeur d’Anno, conclue le film en beauté. A suivre.
Evangelion : 1.0 – You are (not) alone, de Hidéaki Anno
En salles le 04.03.09