Depuis deux ans, Fred Bigot (ElectroniCat, une référence Noise MuseuM) et l’artiste multimédia, Cécile Babiole, se sont associés pour faire entrer sons et images en une bien étrange symbiose. Rencontre et explications, avec un tandem au parcours bien rempli.
Chronic’art : ElectroniCat est un projet strictement musical ou plutôt un concept artistique, incluant la musique de Fred Bigot et les visuels de Cécile Babiole ?
Fred Bigot : C’est mon projet, essentiellement musical. Très souvent, je travaille avec Cécile, mais ElectroniCat n’est pas à considérer comme un projet d’art conceptuel. De son côté, elle développe un univers visuel. Mais même si on se concerte, son travail reste parallèle au mien.
Quand et comment avez-vous débuté vos activités artistiques ?
Cécile Babiole : Avant l’image, j’ai commencé par faire de la musique. Je jouais dans un groupe d’indus des années 80, qui s’appelait Nox. C’était de l’indus tribal, avec beaucoup de percussions et de boîtes à rythmes. Vers 85, j’ai découvert le travail de l’image et je m’y suis totalement investie, au point de laisser tomber la musique. C’était le début du numérique et d’énormes possibilités s’ouvraient alors…
Fred : On a commencé à travailler ensemble, il y a à peu près deux ans. Cécile a commencé par créer des images pour mes live. En ce qui me concerne, j’ai débuté aux beaux-arts, à Angers. J’ai pas mal donné dans la pop psychédélique, puis je me suis intéressé à la musique contemporaine. J’ai, entre autres, collaboré avec Kasper Túplitz, un compositeur qui se situe entre l’institutionnel et la scène noise. J’ai joué dans son groupe, Sleaze Art, un orchestre de basses et de guitares électriques.
A la base, tu joues donc d’un instrument.
Fred : Essentiellement de la guitare, et, par extension, tout ce que tu peux mettre entre la guitare et l’ampli : disto, delay, phasing, filtres, etc. J’ai aussi, à cette époque, beaucoup travaillé avec des danseurs, j’ai composé des musiques, en live, pour des spectacles de danse contemporaine. C’était un champ d’expérimentation très large. Plusieurs autres projets n’ont pas abouti à des sorties de disques… Notamment, un groupe qui s’appelait Boot Power, mêlant chant, guitares et des parties rythmiques assurées par des frappes de pieds. C’était très répétitif… Ce projet est resté en suspens, et, avec ElectroniCat, je reviens de plus en plus vers des choses de ce style. Je suis à mi-chemin entre une recherche sur le son et sur la rythmique.
Tes influences ?
Fred : Je suis assez inspiré par des trucs de techno minimale, comme Plastic Man, ce que l’on trouve sur Compak, voire Pansonic. En dehors de la musique répétitive, je suis très attiré par le rock décadent : Suicide, les Stooges, Alan Vega ou encore Speed Ranch & Janski Noise. Je reviens de plus en plus vers ce côté dans mes nouveaux enregistrements, pour le prochain album. J’utilise des guitares, de la wah-wah. Mais le tout reste encore très électronique.
Il y avait beaucoup de différences entre ton concert de l’an passé aux Instants Chavirés -qui était très proche du premier album- et celui de la semaine dernière au Batofar.
Fred : Ca a pas mal évolué. Puis, j’étais accompagné par Enis, un DJ de Sarajevo. On avait deux boîtes à rythmes, les rythmiques étaient donc très fournies. Mais ce concert était bien moins réussi que celui de Nantes, deux jours auparavant, qui fera peut-être l’objet d’un album live.
Trouves-tu des similitudes entre ton premier album et le travail de Celluloïd Mata ?
Fred : On a souvent été mis en parallèle. Il y a effectivement quelque chose qui se rapprochent. Ca m’a bien amusé de faire son remix : c’est d’ailleurs davantage un morceau d’ElectroniCat -fait à partir de ses sons- qu’un remix à proprement parler. Je ne peux pas parler pour lui, mais, pour ma part, je suis baigné dans plusieurs influences et je pense que nos travaux vont de plus en plus s’écarter à l’avenir.
Comment considérez-vous votre statut d’indépendant ?
Cécile : On a toujours plus d’emprise lorsque l’on travaille avec des petits moyens. Plus de libertés. Avec de gros moyens, tu dois rendre des comptes et ton projet s’en trouve forcément dénaturé. Si tu arrives à bosser en autarcie totale, même avec peu de matériel, tu n’as aucune concession à faire.
Dès lors que tu rentres dans des structures de production, avec de l’argent qui n’est pas à toi, tu es obligé de plaire. Tu dois faire des compromis pour que ton projet soit rentable, puisse plaire au producteur et rapporter un minimum d’argent. Le processus de production est en ce sens totalement lié au processus de création.
Ton travail est entièrement produit avec ton propre matériel ?
Cécile : Dans les années 80, je montais beaucoup mes films en « sous-marin », comme beaucoup d’indépendants : en venant travailler la nuit dans de grosses boîtes de prod’ ou en effectuant des stages bidon, uniquement pour profiter du matériel. Aujourd’hui, avec les techniques actuelles, je peux tout réaliser avec un équipement à bas prix. Et j’ai toujours aimé créer avec ce qui était à portée de main. Avec Nox, dans les années 80, on pouvait faire de la musique industrielle parce qu’il nous était possible de trouver des machines à laver et de les utiliser comme percussions… Depuis quelque temps, je retourne à la musique, dans des travaux mêlant à la fois des visuels et du son. Comme celui que tu as pu voir au Batofar, la semaine dernière, c’était une sorte de brouillon d’un nouveau projet que je veux développer.
Peux-tu nous en parler ?
Cécile : C’est un travail de manipulation sur des boucles. L’idée est de travailler en même temps sur l’image et le son, de piloter en live le déroulement de ce que je projette sur les écrans. Le fait de fonctionner en très basse résolution m’intéresse de plus en plus, pour une question de manipulation live. Mes pistes audio et vidéo sont donc complètement synchronisées, je les joue en effectuant un montage en temps réel, en les débitant à toutes les vitesses possibles et en recréant des boucles en direct. Maintenant que ce procédé est au point, je travaille sur un projet plus cohérent, plus composé.
Un projet basé sur les mêmes principes, donc…
Cécile : En fait, la performance live du Batofar était un dérivé du travail que j’ai récemment effectué avec les gens de Vinyl Vidéo. Ce sont des Autrichiens qui ont mis au point un système permettant de coucher un signal image sur un microsillon, sur un disque vinyle… C’est un projet né à l’initiative d’un artiste multimédia, qui réfléchit beaucoup aux utilisations possibles des images et du son. Il s’est adjoint plusieurs collaborateurs, des techniciens et des informaticiens, qui ont résolu le problème de stockage du signal image sur un support aussi faible.
Comment mettent-ils de l’image sur un support qui n’est pas destiné à en recevoir ?
Cécile : Le vinyle est, à la base, en stéréo. Les leurs sont en mono. Ainsi, ils récupèrent une des deux pistes pour y coucher de l’image à très basse résolution, en noir et blanc -les pixels sont énormes. Elle est ensuite transformée en son : par le codage de chaque pixel (affiché avec une échelle de 255 niveaux de gris) qui, selon une fréquence porteuse, est attribué à un niveau. L’ensemble des niveaux de la porteuse forme donc un son. Celui-ci est ensuite gravé sur le disque, à un format de compression appelé Trashpeg, décompressable grâce à une interface que l’on connecte (r.c.a./péritel) à un écran.
Ils ont sorti beaucoup de disques ?
Cécile : Pas énormément. Vinyl Vidéo se comporte comme un petit label indé. Ils ont proposé à plusieurs personnes un peu cinglées du multimédia de faire des disques pour eux. J’en ai donc fait un, qui comporte cent boucles d’images.
Des sillons fermés ?
Cécile : Non, malheureusement, ç’a été impossible pour des problèmes techniques. Les boucles ont été gravées sur de longues durées, tout simplement. Ces images seront bientôt disponibles sur mon site, les internautes pourront activer un tirage aléatoire de boucles sonores et visuelles. Plusieurs fenêtres contiendront ces images qui changeront à chaque connexion. Les boucles sont synchronisées et faites pour être jouées en même temps. Ce sont de petites images cradingues, en noir et blanc, c’est assez rigolo.
Propos recueillis par
Voir sur le Web :
Le site officiel de Cecile Babiole
Cécile Babiole au Mediaport
Le site de VinylVideo