La 24e édition du festival des Musiques métisses d’Angoulême s’ouvre ce jeudi 20 mai sur un spectacle de danse présenté par la compagnie Black Blanc Beur : un nom qui sonne comme un symbole par rapport aux valeurs fondatrices de ce rendez-vous des musiques du monde en France.

Le hip hop est une expression urbaine qui ne surprend pas par sa présence sur la programmation de ce festival en Charente. Sans doute que Christian Mousset, le lead manager de ce rendez-vous obligé des musiques en devenir, saura de plus en plus lui ouvrir ses portes dans les années qui viennent. Surtout que l’Afrique, « continent mère de toutes les musiques » (comme il aime à le dire), s’est longuement fourvoyée ces dernières années avec cette musique issue au départ des ghettos américains. On connaît le succès grandissant des Possees sénégalais (avec des groupes phares tels que Positive Black Soul, Daara-J ou Djoloff). A l’affût de toutes les formes d’expressions musicales nées du conflit des hommes et de l’urbain, Mousset cultive également une autre donnée fondamentale de ce festival, en laissant la compagnie Black Blanc Beur ouvrir les hostilités ce jeudi 20 mai 1999. Car ce nom qui sonne comme une trilogie du désir inassouvi dans un débat sur le racisme en France évoque une rencontre artistique située largement au-dessus des barrières culturelles. Autrement dit, les valeurs du métissage ne sont pas loin…

Métisser, selon Hughes Liborel-Pochon, psychologue-clinicien, membre de l’IEPA (Institut ethno-psy Afrique-Antilles), consiste à mélanger « deux choses de même nature pour donner naissance à une troisième chose de la même nature, bien que fondamentalement différente des deux premières. C’est ça qui fonde le métissage ». Il est à la fois rupture et continuité. Autrement dit, deux couleurs (le gris et le noir) vont se confronter pour engendrer une autre couleur (le gris), qui va revendiquer sa différence de façon manifeste, tout en restant proche des deux couleurs matrices. Quelle culture ou encore quelle société n’a pas connu ce type de changements ? Hughes Liborel-Pochot affirme que « nous somme tous dans le métissage. C’est une fatalité ». Une nécessité imposée par la marche du monde. Reste à savoir quels moyens nous nous offrons pour mieux l’appréhender, et surtout pour éviter l’utilisation d’une idéologie du métissage par une quelconque culture dominante. « Il peut en effet y avoir une espèce d’abus de langage » qui consiste en effet à déclarer certains plus métis que d’autres. D’où l’ambiguïté manifeste du concept vendeur des « musiques métisses ».

A Angoulême, un festival de jazz qui a su se transformer en prenant de l’âge, cette appellation n’a trouvé aucune difficulté à s’épanouir. Normal ! Dans la mesure où Christian n’aime pas les ambiguïtés. Sa devise s’inscrit dans les rencontres possibles ou vécues entre les traditions passées et l’urbanité rampante, entre le patrimoine et la création, entre l’héritage ancestral et la volonté de puissance exprimée par une nouvelle génération de créateurs. De là naissent des dialogues authentiques, à géométrie variable, entre le terroir et le monde alentour sur une ligne à la fois horizontale et verticale qui entend dépasser les barrières continentales. En musique, ce type de discours peut facilement éviter les poncifs apparents de la culture dominante et donner à voir ou à entendre simplement la richesse des cultures en devenir (des cultures en métissages, pourrait-on dire aussi). Vous prenez le répertoire traditionnel au Zimbabwe, vous y injectez une expérience musicale américaine dans laquelle les influences baignent entre la pop et le rap, vous y rajoutez une voix qui surgit du fond des tripes avec une sincérité inégalable et vous avez une des plus belles promesses actuelles de l’Afrique musicale : Chiwoniso, élue « Découvertes 98 » par Radio France Internationale.

« Deux choses de même nature pour donner naissance à une troisième chose de la même nature, bien que fondamentalement différente des deux premières… » disait Liborel-Pochon. Idem avec l’Afrique du Sud. Vous saisissez l’essence même de la culture zul, art vocal d’un autre temps que l’apartheid n’a jamais su faire disparaître, vous y insufflez une dose de pratique musicale sacrée ou religieuse, vous y ajoutez du jazz et des rencontres avec des orchestres venus d’autres contrées (la Gambie, le monde lusophone), vous revenez dans le Kwazulu natal pour convoler en justes noces avec le Maskanda (un genre traditionnel pratiqué par les hommes sur des instruments occidentaux) et vous dosez le tout d’une violence urbaine à la fois maîtrisée et prenante : vous aurez au final la magie de Busi Mhlongo, une chanteuse au charisme qui dévale les charts internationaux. Voilà le type de métissage qui inspire le travail de Mousset à Angoulême. Un métier de tisserand en réalité, puisqu’il contribue au fond à renforcer les liens entre les peuples. Les exemples dans sa programmation foisonnent. Mahmoud Ahmed vient du pays de Mengistu, l’Orchestre National de Barbès trace sa trajectoire depuis l’Hexagone, Chris Combette ramène sa Guyane aux Antilles sur une guitare acoustique qui se promène dans l’ensemble du répertoire caribéen, Susana Baca creuse dans la mémoire des esclaves noirs au Pérou pour causer au monde, Boubacar Traoré trace sur sa guitare un lancinant poème supposé rappeler l’origine du blues sur les terres du Mandé… Autant de surprises et de rencontres qui confortent cette nouvelle édition du métissage des musiques en Charente.

Pour avoir le programme en entier, visitez le site : www.musiques-metisses.com