Peu d’artistes auront attiré autant de superlatifs, aussi bien de leur vivant qu’après leur mort. Vedette populaire, vénéré par les amateurs de jazz de l’époque, Django a toujours vu son génie reconnu, déclenchant l’ahurissement chez tous les témoins, depuis l’âge de 10 ans jusqu’au St-Germain-des-Prés des années 50.
Django Reinhardt, manouche né en 1910 dans un pré de Belgique et qui se targuait de ne pas jouer pour gagner sa vie mais pour le plaisir, c’est d’abord et avant tout une énigme, le siège de dons sans commune mesure et d’innombrables contradictions. Doté d’une facilité d’extra-terrestre à la guitare, capable de jouer à une vitesse stupéfiante, ses contemporains l’ont dit, il ne pouvait jouer faux ou médiocrement, ni se tromper. Cet homme était capable de changer une corde tout en continuant à jouer ou d’enrichir son solo avec une corde ou deux en moins, capable d’une vélocité surnaturelle (on se prend à rêver en pensant à ces « Tiger rag » qu’il pouvait, paraît-il, jouer avec une telle rapidité, s’il avait hâte que le concert finisse, que le médiator de Joseph, son frère et guitariste rythmique, fondait !). Cette virtuosité, troublante car incommensurable, ne rend que plus délectables ses accords grinçants ou presque dissonants (comme dans les intros du coolissime Stormy weather de 49 ou de l’impérial Rose room) et cette scène burlesque d’un Django, à trois heures du matin dans les salons d’un hôtel borgne de Pigalle, s’évertuant à épater une jolie fille qui trouvait que non, décidément, il ne jouait pas aussi bien que Tino Rossi. Le mystère Django, c’est avant tout ce paradoxe de base : celui qui est considéré comme le plus grand des guitaristes avait une main estropiée. On a beaucoup glosé sur l’importance de ce handicap dans son génie et tout est vrai : même si on ne saura jamais comment il aurait joué avec ses cinq doigts gauches (ses enregistrements pré-accident étant de simples accompagnements au banjo, où il ne pouvait se distinguer réellement), il est effectivement probable qu’étant donné son orgueil légendaire, devoir surmonter un tel obstacle l’a poussé à se surpasser. C’est donc avec essentiellement deux doigts qu’il a réussi à éclipser tout le monde depuis 70 ans… Mais on aurait pu aussi ne rien entendre du tout s’il n’avait pu s’extraire de sa roulotte en feu à la Toussaint 1928. Et une fois qu’on a dit ça, on a dit le principal.
Son énigme, c’est aussi l’accumulation effarante d’une multitude de paradoxes, aussi bien en tant qu’homme qu’en tant que musicien : musicalement, il alliait une délicatesse d’ange (un exemple parmi d’autres : son adorable solo sur You took advantage of me) et une puissance phénoménale (Stéphane Grappelli le comparait à un orchestre à lui tout seul) ; ce sont ses mains, d’une puissance extrême, qui font de lui à la fois le soliste surdoué qu’on connaît mais aussi, on le sait moins, le meilleur accompagnateur au monde, capable sur I’m coming Virginia ou Avalon d’alterner un solo éblouissant de grâce et un accompagnement trépidant et sans failles auprès, successivement, du très élégant sax alto, trompettiste et arrangeur Benny Carter et de Coleman Hawkins, premier grand saxophone ténor de l’Histoire. Prodige de l’accompagnement, il l’est incontestablement et plus que jamais sur le frénétique Tiger rag de 37 en duo guitare-sax. Là, il accomplit le paradoxe d’être omniprésent sans prendre aucun solo, constant et changeant, en retrait et se renouvelant sans cesse, deux minutes 30 où il fait office de bassiste, batteur et guitariste (ces exquis roulements miniatures « à la Django ») en même temps. Une leçon magistrale vieille de 66 ans sur l’alliance d’un métronome et d’une pile électrique.
L’émotion exacerbée
Cependant, et c’est là la pierre angulaire de son génie, cette capacité technique sans bornes était intrinsèquement associée à une expressivité à fleur de peau, une capacité à faire sortir de ses cordes les notes les plus émouvantes, en partie en raison de l’écho et de la profondeur qu’il savait leur donner. Pprimitif, sans éducation (analphabète, c’est grâce à Grappelli qu’il saura, à 35 ans passé s’exprimer par écrit en lettres majuscules avec des fautes d’orthographe d’enfant), pétri de superstitions, c’était le musicien le plus raffiné : son solo d’In the still of the night offre les notes les plus tristes jouées depuis Chopin et son Solitude de Duke Ellington est plus poignant que n’importe quelle autre version.
Un des plus beaux et spontanés hommages possibles a peut-être eu lieu durant une demie-seconde à la Cinémathèque de Chaillot, en mai 2003, lors de la projection du rarissime court-métrage promotionnel mettant en scène le Quintet du Hot Club de France en 1938 avant sa tournée en Angleterre : Django transcende la bluette J’attendrai avec ses deux doigts et son air d’enfant sage réfléchissant à ce qu’il fait faire à sa divine main gauche ; 2mn30 plus tard, la dernière image s’éteint et une salle pleine à craquer pousse un « oh ! » étouffé d’extase et d’étonnement, avant un tonnerre d’applaudissements. Ce « oh ! »-là est le plus beau résumé de toute la littérature produite à son sujet. Sorte de démiurge conciliant la capacité technique la plus grande et l’émotion la plus aiguë, interprète sans égal, mais aussi grand compositeur et même re-compositeur de tout ce qu’il touchait (son extraordinaire variation sur Lady be good, méconnaissable, en 37), Django est certainement le seul musicien au sujet duquel on puisse dire à cinquante occasions différentes : « S’il n’avait enregistré que ce morceau dans sa vie, ce serait quand même le plus grand guitariste au monde ».
Une oeuvre d’une richesse inouïe, que ce soit des morceaux complètement écartés de sa légende (Vous qui passez sans me voir, un modèle de joliesse, de pureté et de sentimentalisme serein et le seul morceau de jazz à avoir une intro de dessin animé, ou Oui avec son solo étonnamment inquiétant, sensuel et fort) ou les plus connus et reconnus, tel Nuages. Un mystérieux processus fait que pour nombre d’artistes, leur morceau le plus célèbre est le moins intéressant, tel Elvis et le terriblement faiblard Love me tender ou Françoise Hardy et Tous les garçons… (le pompon revenant aux Beatles qui, parmi une armada de perles, auraient certainement comme Top 3 aux yeux du grand public Love me do, Yesterday et Yellow submarine, un comble). Pour Django, c’est l’inverse : sa composition la plus célèbre, Nuages, est aussi sa plus belle, la grâce incarnée, la musique la moins racoleuse possible, qui fait appel à la sensibilité de chaque auditeur. Il réussit, qui plus est, le tour de force de se renouveler à chaque version (une petite quinzaine, enregistrements live compris) dont plusieurs sublimes. Celle de 46, lors de ses retrouvailles avec Grappelli après cinq ans et demi de séparation, guerre oblige, étant tout simplement céleste. Militons pour la réhabilitation de la toute première, celle d’octobre 40 (oubliée au profit de la deuxième, deux mois plus tard, Django souhaitant non plus une clarinette mais deux), la seule avec un tempo vif, extraordinairement solaire et intense, en totale opposition avec les formules ultérieures, mélancoliques et lunaires. Sa capacité à se surpasser lui-même est d’ailleurs une constante impressionnante (parmi d’autres, Tea for two, Louise, l’ultra romantique Crépuscule, le classique Sweet Georgia Brown). A l’inverse, certains morceaux enregistrés une seule fois sont de vraies météorites, HCQ strut et sa jubilation inquiète, l’extrême modernité du quasi atonal Appel direct, enregistré dès juin 38. Ou Blues clair et I’ll see you in my dreams, véritables laboratoires d’idées jaillissant les unes après les autres, dont l’existence rend incompréhensible toute ombre de début de comparaison avec Charlie Christian.
Un doux hurluberlu
L’autre facteur qui fait perdurer la fascination pour Django, c’est certainement sa personnalité, incroyablement fantasque et libre. Ce tempérament imprévisible trouve son écho directement dans son oeuvre, tant il est impossible, lorsqu’il commence à jouer, de deviner ce qu’il va faire dans la seconde qui suit. Ses quelques biographies (la plus complète, la plus drôle, mais aussi la moins facile à trouver, restant celle de Charles Delaunay, témoin privilégié puisque président du Hot Club de France, l’association qui a donné son nom au Quintet et qui s’est mise en quatre pour populariser le groupe-maison) devraient être des manuels de liberté. Elles le décrivent comme un grand enfant, amateur de tenues criardes et dénué de toute notion très claire de la valeur de l’argent, demandant inconsidérément des cachets démesurément élevés mais les perdant dès le lendemain au jeu, sans s’en émouvoir, et vivant dans la simplicité la plus totale. Le jeu est d’ailleurs, avec la musique, l’autre fil rouge de sa vie. Il semble qu’il ait passé sa vie à jouer : au billard, poker, cartes, boules, fléchettes… cette passion étant le fruit commun d’une habileté extrême, d’un tempérament ludique et d’une recherche de sensations fortes, laissant systématiquement de l’avance à ses concurrents pour intensifier le risque. Lui qui voulait si naïvement être une vedette de film américain, ou du moins y ressembler, il reste mieux que cela : un vrai personnage. Sa vie est un tel défilé d’anecdotes rocambolesques et de comportements insensés qu’on cherche en vain un cas similaire. Une énumération prendrait des pages, mais difficile de ne pas évoquer quelques morceaux choisis : Django qui aligne ses prétentions financières sur Gary Cooper ou Benny Goodman, tout en envoyant régulièrement son frère ou un « cousin » jouer à sa place afin de rester au lit ; Django qui perd aux cartes son cachet de la semaine à venir, contre Fréhel dans le Paris-Bordeaux ; le Quintet qui s’attarde au billard place Blanche et devant crever la toile de fond au Moulin Rouge une seconde avant le lever de rideau ; Django qui joue un Saint-Louis blues de trois quarts d’heure aux Folies Belleville devant une salle scandalisée se vidant peu à peu et un directeur en furie ; Django qui roule une vie entière sans permis ni assurance, tel un sphinx que rien ne peut toucher, au volant de voitures plus m’as-tu-vu les unes que les autres… Cette incroyable liberté qui était la sienne, et qui l’amenait régulièrement à partir en vadrouille sur les routes est probablement aussi ce qui nous touche aujourd’hui. C’est, étonnamment, ce qu’on perçoit avant même d’avoir lu une ligne sur lui. Qui d’autre que lui a érigé le retard et les absences quasiment comme une règle de vie, baromètre de son indépendance, ne se présentant pas lors de concerts ou d’enregistrements s’il n’avait pas envie de jouer, disparaissant pendant des jours ou des semaines, et revenant tout sourire ?
Django est d’ailleurs probablement le seul être au monde qui se soit permis, en toute décontraction qui plus est, de rejoindre l’impressionnante machine qu’était l’orchestre de Duke Ellington en traversant l’Atlantique sans guitare ni valise et en n’arrivant qu’un quart d’heure avant la première représentation, donc sans avoir répété. Véritable OVNI, ce dialogue :
Duke Ellington : « Dans quel ton allez-vous jouer ? »
Django : « Il n’y a pas de ton ! »
Duke Ellington (légèrement interloqué, on présume) : « Mais il faut bien qu’il y ait un ton ! »
Django : « Commencez, ne vous occupez pas de moi, je suivrai. »
Dans la mesure où aucun des deux ne parlait la langue de l’autre, et quand on pense à l’extrême classicisme des méthodes de travail du Duke, en totale opposition avec le caractère autodidacte et doucement anarchique du guitariste, cette entrée en matière était l’antichambre de leur non-rencontre artistique.
Django libre, c’est aussi Django l’enfant, parfaite incarnation de l’artiste selon Baudelaire. Lui qui, adulte, se faisait repasser son pantalon par sa mère les froids matins d’hiver avant de se lever, ou qui montait sur le dos de son épouse pour ne pas salir ses souliers. Il véhiculait les plus étonnants clichés, tels les espions qui hantent les avions et bateaux, effrayé par les médecins au point de préférer souffrir plutôt que de se faire soigner (sa mort prématurée étant la plus désastreuse conséquence de cette angoisse archaïque). Qu’il ait eu une frayeur primaire de tout ce qu’il ne pouvait expliquer ou contrôler est d’ailleurs assez déroutant de la part d’un homme justement doté de dons inexplicables et incontrôlables.
Django l’enfant, c’est l’orgueilleux candide et conscient de sa suprématie. Adulé par sa communauté dès son plus jeune âge, il n’a jamais douté de ce qu’il valait. Pierre Fouad, son batteur durant la guerre, racontait que Django sur scène ne suivait pas forcément la liste des morceaux et que ses musiciens devaient deviner quel titre il fallait jouer simplement à la façon dont il tapait du pied. Pétri d’orgueil mais entrant à reculons, terrorisé, sur la scène de la salle Pleyel pour diriger un orchestre, se faisant un point d’honneur de ne jamais porter sa guitare lui-même, quittant la salle si un spectateur n’était pas assez silencieux, sa naïve vanité est magnifiquement illustrée par l’achat chez Selmer d’un support de guitare pour jouer debout comme l’autre soliste du Quintet, support qui sera définitivement remisé au bout de deux soirs.
Une inextinguible jeunesse
Ce qui distingue aussi Django, c’est la modernité saisissante de son jeu et de son inspiration, comme s’il avait joué il y a cinq minutes, à l’instar de Bix Beiderbecke, divin cornettiste ayant enregistré essentiellement en 27 et 28, et dont les solos semblent dater d’il y a une heure. L’oeuvre de Django est un Dorian Gray, étonnamment jeune et fraîche, inaltérée par le passage des décennies, qui contraste avec les images en noir et blanc que l’on connaît de lui. Cette modernité, difficilement explicable, provient peut-être en partie d’un mélange détonant de totale spontanéité, lui permettant cette créativité sans barrière et ce corps à corps avec sa guitare, et de cérébralité qui le plongeait dans des abîmes de concentration lorsqu’il jouait. On le sait, les silences chez les grands musiciens sont encore de la musique, et ce que Django n’a pas enregistré fait partie de sa mythologie : ses duos impromptus avec Louis Armstrong ou Duke Ellington sur de micro-scènes rue Notre Dame de Lorette, sa Montagne Sainte Geneviève, magnifique valse musette qu’il a composée mais jamais enregistrée, ou bien cette jam-session mythique, où, à l’aube, Coleman Hawkins, Bill Coleman (trompettiste de Fats Waller), Benny Carter et Django improvisèrent pendant des heures en changeant sans cesse de tonalités pour finalement déboucher sur la victoire de Django, indépassable. Si Django est une telle figure dans l’histoire du jazz, c’est aussi parce que ses interprétations de standards américains sont souvent les meilleures: Rose room , mille fois plus intense que la superbe version de Benny Goodman ; Georgia on my mind, plus émouvante encore que chantée par son compositeur, Hoagy Carmichael, six ans plus tôt ; Night and day, mille fois plus atmosphérique que celui immortalisé par Ella Fitzgerald ; ou le Ain’t misbehavin’ de Fats Waller. Le pinacle de cette aptitude étant peut-être Saint-Louis blues, où Django fait s’incarner la quintessence du blues américain et en même temps plus vraiment américain, simplement » djangoesque » (anecdote stupéfiante : ce qui est un de ses plus riches solos aurait été improvisé en fin de séance d’enregistrement, petit cadeau aux patrons du Hot Club de France, pour leur « faire plaisir »…). Apparemment, il prenait un plaisir fou à jouer, et ce plaisir-là est indéniablement communicatif.
Quiconque écoute, par exemple, la séance londonienne des retrouvailles avec Grappelli début 46 (Coquette, Embraceable you, la Marseillaise swing,…) ne peut que se sentir galvanisé par une énergie fécondante et irradiante. Une énergie qui explique que Django est l’homme le plus vivant qui soit. Django et sa guitare, c’est une alchimie unique, une jouissance qui émanait d’eux et se transmet à tous les auditeurs depuis lors ; personne n’a su faire parler un instrument comme lui, personne n’a su parler autant à travers un instrument.
Django tel qu’en lui-même
Au sommet de Montmartre, sur le toit du monde, dans un doux cocon, îlot intemporel empreint de souvenirs liés en particulier au Paris artistique de l’avant-guerre, une délicieuse dame nous offre un incroyable clash spatio-temporel : Jacotte Perrier a régulièrement écouté Django, alors qu’il n’avait que 27 ans, dans le salon de ses parents, a enregistré avec lui en studio en tant que chanteuse et est aujourd’hui rédactrice de mode sur Internet. Elle fait partie de ces heureux humains qui ont écouté Django jouer dans un cadre intime. Assis sous un escalier dessiné par La Corbusier, entouré d’aquarelles de Sonia Delaunay, « il improvisait des soirées entières, un verre de whisky à portée de main, avec mon père et Stéphane aux pianos, sur tout ce qui leur passait par la tête, des chansons de mon père ou du Quintet, des standards, c’était très exaltant. Stéphane, ami intime de mes parents, avait un jour amené Django. Dès lors, il venait régulièrement, toujours avec sa guitare, et jouait de façon imperturbable, sans bouger. Sa virtuosité était d’une perfection extraordinaire et sa sonorité unique. Mais ce n’était pas seulement de la virtuosité, il avait une incroyable capacité à émouvoir grâce à sa façon de pincer les cordes, en leur donnant une vibration. Je n’ai jamais retrouvée cela ailleurs, d’une note, tout à coup, il en faisait trois…. Il savait faire passer cette vibration aux autres. » (…) « A première vue, c’était le véritable gitan, dans sa présentation, son physique, ses vêtements, dans sa manière d’être, et il avait une gouaille tout à fait particulière, mais c’était aussi un prince : très courtois, il avait une noblesse, une espèce d’aristocratie en lui qui était tout à fait étonnante par rapport à ce qu’on imaginait de lui en le voyant. On ne pouvait pas lui marcher sur les pieds, il avait une idée de lui-même, et une fierté naturelle. C’était un intuitif, il avait ce côté primitif qui lui faisait ressentir les choses. Soit il était très bien avec les gens, soit il voulait s’en aller tout de suite. Vous ne pouviez lui imposer aucune norme sociale, il vivait à sa guise, selon son inspiration, et faisait ce qu’il voulait faire comme il voulait le faire. On ne pouvait s’attendre à quoi que ce soit de normal et d’établi de sa part. Stéphane et lui se comprenaient avec les yeux, c’était fabuleux de les voir. Uune osmose totale sur le plan de la musique, une manière vraiment intuitive de correspondre. Et ils adoraient rire, ils étaient comme des gosses. Ils prenaient même des fous rires tous les deux. Très différents l’un de l’autre, ils se complétaient aussi sur le plan humain : Stéphane savait comment prendre Django, et ce n’était pas facile, il avait des états d’âme et était totalement indiscipliné. Il ne souciait jamais de l’heure. Le jour de notre enregistrement, pour s’assurer de sa présence, mon père et Stéphane sont allés le chercher dans sa roulotte, où, chapeau sur la tête, il se faisait servir son petit-déjeuner. Il planait, ce n’était pas un homme d’affaires, les questions d’argent étaient toujours accessoires pour lui. En fait de conversation, le souvenir que j’ai de lui, c’est : sa musique, sa guitare, sa musique, sa guitare… ».
Tout Django se retrouve dans cette stupéfiante et irrésistible réplique au peintre Emile Savitry, lequel, arguant qu’il ne pouvait accepter de s’installer chez les Reinhardt à Pigalle en raison de la grossesse de sa femme (Savitry ne vivait pas plus loin que Montparnasse) s’entendit répondre : « Tout le monde ici est enceinte », l’épouse de Django l’étant aussi. Parfaite métaphore de ce qu’il fut, enceint d’une oeuvre jamais finie. Etre d’exception, Django est un homme-monde, un univers à lui tout seul, inventeur involontaire d’un pan de la musique : le jeu à la Django, mélange de jazz américain, d’influences européennes variées et d’un pouvoir créateur hors norme. Et surtout porteur d’une symbiose unique : sa musique, sa guitare, sa musique, sa guitare…
Lire notre chronique du coffret La Légende de Django Reinhardt
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