Digne-les-Bains, 17 000 habitants, trois rencontres cinématographiques annuelles (du 18 au 22 juillet 2000), et toute la profession qui est passée un jour ou l’autre, depuis 28 ans, soutenir une organisation minuscule qui se bat pour le cinéma de création.
Soyons clairs : il s’agit de montrer d’autres films que ceux programmés dans les multiplexes, de prouver que le cinéma se fait aussi ailleurs qu’à Hollywood. Cet été, la programmation de L’Humanité est une première pour la ville et une grande partie de la région, preuve que même les films primés à Cannes n’ont pas forcément de visibilité partout en France. Il s’agit bien du débat sur la distribution, mais dans une vallée reculée des Alpes de Haute-Provence c’est une autre réalité, qui relève du combat contre un diktat.
Jean-Pierre Castagnat, organisateur des rencontres cinématographiques de Digne, est au cœur de la problématique. Professeur de cinéma pour les terminales Cinéma, il a été désigné en 1983 par Jack Lang pour faire partie des 13 lycées pilotes qui démarraient l’enseignement du cinéma à l’école. Il anime depuis 1972 les rencontres de printemps : Marguerite Duras, Raoul Ruiz fuyant Pinochet avec ses pellicules sous le bras, l’histoire du cinéma à Digne commençait déjà sous le signe de l’engagement. « Dans les années 70, lorsque ça a démarré, il existait un cinéma qui était contre, issu de 68, qui s’est longtemps appelé cinéma différent dans les catalogues. C’était un cinéma de résistance, aujourd’hui je préfère parler de dissidence. » La lutte n’est plus politique mais commerciale : « Le problème c’est que les gamins du pays ne voient que les films américains, et surtout qu’ils ne soupçonnent pas l’existence du cinéma européen » explique-t-il.
Les invités et leur programmation
Michel Ocelot proposait Kirikou et Princes et Princesses, ses deux grands films d’animation, ainsi qu’une série de courts métrages incluant Le Cameraman avec Buster Keaton, un long d’Abbas Kiarostami Où est la maison de mon ami ? et une programmation destinée au jeune public. Il explique son travail en solitaire et sa dimension artisanale (Kirikou lui a pris 5 ans). L’occasion de rencontrer un cinéaste discret, même s’il est le président de l’Association internationale du Film d’Animation, proche des enfants et persuadé qu’on peut leur proposer un langage cinématographique intelligible, le contraire de la mièvrerie communément admise. Théorie qui lui valut d’ailleurs des difficultés dans les pays anglo-saxons avec certaines ligues de moralité, qui reprochaient à Kirikou de montrer les femmes africaines avec les seins nus (sic). Il y a du travail… et Michel Ocelot faisait sa dernière allocution publique à Digne pour s’y remettre, avec un projet de conte d’animation autour des Mille et une nuits.
Claude Miller montrait une rétrospective de son cinéma, et trois films qu’il avait choisi de programmer : L’Humanité de Brunot Dumont, La Puce d’Emmanuelle Bercot, et La Prisonnière du désert de John Ford. Son engagement pour le cinéma français, malgré sa démission de la présidence de l’ARP (suite au désaccord né de la polémique autour de la critique cet hiver), s’exprimait toujours aussi vivement. La projection de La Chambre des magiciennes, son dernier film tourné en DV pour « Les petites caméras » d’Arte, le dernier soir sur le parvis de la cathédrale St-Jérôme, clôturait les manifestations. La qualité de l’image sur grand écran a fait définitivement oublier les larges pixels apparents du temps de Festen. Gros succès, suivi d’une dernière rencontre au café, avec Claude Miller, son fils Nathan, deuxième caméra des Magiciennes, sa femme Annie leur productrice, et Anne Brochet, l’actrice principale du film. Leur optimisme manifeste concernant le tournage, enfin libéré de la lourdeur technique du cinéma en 35 mm, relançait le débat sur l’avenir du cinéma et de l’audiovisuel.
Enfin Christian Gasc, costumier du cinéma français (40 films et trois césars), pour une exposition autour de son travail sur La Veuve de St Pierre de Patrice Leconte, et Sade de Benoît Jacquot (sur nos écrans le 23 août 2000).
La dimension informelle
Chaque jour les réalisateurs introduisaient les films et rencontraient le public. Par ailleurs, une bande de gamins, encadrés par une journaliste locale, couvrait l’événement comme une agence de presse, organisant des conférences et des débats. Objectif : la création d’un journal à paraître dans les semaines suivantes. Un autre atelier permettait la réalisation d’un petit film d’animation avec l’aide de Michel Ocelot. C’est à peu près tout ce qui relevait de l’organisation formelle. Pour le reste, ça se passait à la grande table, ouverte à tous, où déjeunaient organisateurs et invités. Un lieu de rencontres plus propice au dialogue entre les réalisateurs et les spectateurs que les réunions collectives. Les abonnés de la première heure (les « petites-mains » du festival), pouvaient ainsi côtoyer les enfants, la famille Miller, Michel Ocelot ou Christian Gasc… Le lien entre les générations s’est finalement construit. Preuve que les programmations alternatives attirent encore les spectateurs. Le combat continue.
Lire notre entretien avec Claude Miller