Chaleureuse et innovante, la série des « Lost winds » produit par Frontier fait d’ores et déjà partie des pépites issues de l’industrie des jeux à télécharger. Entretien avec David Braben, patron de Frontier et orfèvre du jeu d’exploration.
Développeur PC à qui l’on doit notamment la série des jeux de gestion Thrillville, Frontier a prouvé, grâce sa jeune licence, Lost winds, la validité créative et commerciale de produire des jeux originaux et ambitieux à destination du Wiiware. En l’espace de deux épisodes, le studio anglais a su réconcilier les adeptes d’un level design soigneux rappelant les grandes heures du jeu d’exploration à énigme d’obédience japonaise, les amateurs d’une esthétique chaleureuse, éthérée et ceux qui attendent de la Wiimote la beauté stimulante d’un geste nouveau. A l’occasion de la présentation du line up Wiiware à Londres et du deuxième épisode Lost winds: Winter of the melodias, nous sommes allés à la rencontre du patron de Frontier, David Braben. Un météorologue de la création ludique en DLC dont les productions nous annoncent de beaux lendemains.
Chronic’art : Dans quelle démarche s’inscrit le développement d’un jeu comme Lost winds ?
David Barben : Chez Frontier developement à Cambridge, nous sommes une trentaine de personnes. Tous des joueurs. Et chaque joueur aime critiquer les idées des autres comme dans n’importe quel domaine culturel. Nous avons une réunion hebdomadaire, « le jeu de la semaine », durant laquelle chacun pitch son idée de jeu et les autres en débattent, essayent de l’améliorer. Et c’est un moment privilégié où l’on touche du doigt le problème principal du game design. Voyez-vous, on arrive rapidement à un ensemble de concept très riche. Mais ce qui nous freine, c’est d’arriver à rendre cet ensemble commercialisable. C’est un fait, la majeure partie du public a un problème avec les idées novatrices.
Pensez-vous justement que la scène indépendante et les « jeux créatifs » (pour reprendre l’expression de Tim Schafer) sont aidés par l’émergence des plateformes de téléchargement sur console comme le Wiiware, le PSN et le XBLA ?
Complètement ! Ca signifie que des développeurs comme Frontier peuvent suivre tout le parcours qui va de la conception jusqu’à l’édition sans avoir à persuader quiconque d’extérieur que le jeu en vaut la chandelle. A partir du moment où nous avons foi dans le projet, on le lance. Lost Winds vient de ce désir-là. Faire le jeu exactement tel que nous l’entendions.
Vous devez y être habitué tant on a souvent du vous parler de l’influence japonaise manifeste, tant en terme de game design qu’au niveau esthétique, qui émane de Lost winds…
Pour le premier Lost winds, nous nous sommes inspirés des civilisations maya, inca, thibétaine pour lesquelles l’élément du vent revêtait une importance particulière. Nous avons emprunté des éléments de leur architecture et de leur style vestimentaire. Beaucoup de gens ont suggéré que ces idées provenaient des jeux japonais. Ce n’est évidemment pas le cas. Par ailleurs, j’admets volontiers que d’autres jeux avant Winter of the melodias utilisaient le mécanisme de changement de saison. D’un côté, vous avez des gens qui vont vous dire « ce n’est pas très original ». Mais d’un autre, la façon dont tous les éléments du jeu s’imbriquent, la manière dont vous avez à résoudre les diverses énigmes et le chemin à parcourir pour débloquer les différentes zones du jeu s’avèrent assez unique. Là où je veux en venir c’est que des développeurs japonais pourraient très bien dire à leur tour « Oh, comment assimiler ces éléments de Lost winds ? » et essayer d’adopter une approche similaire à la nôtre. Si vous prenez le temps de considérer le travail, magnifique, du studio Ghibli, les mondes qu’ils produisent existent par eux-mêmes, affranchis de toute influence extérieure. Et c’est aussi ce que nous visons.
Avec son enfant assoupi au pied d’un arbre dont le joueur pouvait faire jouer le vent dans les branches, Lost Winds avait un très bel écran de démarrage. Quelle importance revêt ce genre de détail dans la vision globale du jeu ?
Pour être honnête, la vision globale du jeu est précisément constituée d’une multitude de détails comme celui que vous évoquez. Un ensemble de petites choses qui font sens individuellement et que certaines personnes, hélas, ne remarqueront pas. Par exemple, de petits monstres se baladent dans l’arrière plan. Ceux sont en fait des Melodias (l’ethnie au centre du deuxième épisode – ndlr) au sujet desquels d’autres joueurs se diront : « Qu’est ce que c’est ? Comment puis-je interagir avec eux ?». Beaucoup passeront à côté mais ceux qui y prêteront attention s’émerveilleront de comprendre soudain ce qui se passe. C’est un sentiment aussi valorisant pour le joueur curieux que pour le game designer qui les a placé là. C’est comme dans un film quand vous comprenez soudain le rôle d’un personnage très secondaire. Ca vous donne le sentiment de comprendre l’oeuvre de façon plus profonde et intime.
La patronne du studio CING (Another code, Hotel Dusk) déclarait qu’elle aimait introduire de la narration partout dans les décors et les objets pour étoffer l’univers de ses jeux… au risque de les rendre, il faut bien avouer, trop bavards et ennuyeux. Et c’est d’ailleurs une promesse de Winter of melodias, abreuver en information le joueur à l’aide d’un background plus développé…
Absolument mais rassurez-vous…Nous ne racontons pas tant de chose que ça au joueur. Dans le second épisode, nous révélons beaucoup d’élément en rapport avec le premier épisode. C’est un processus intéressant. Dans les scénarios de films, chaque personnages a un passé très détaillé pour aider à la préparation du film, pour transmettre aux acteurs des indications, des pistes… mais très peu de ce passé arrive finalement à l’écran. Imaginer une histoire pour donner de la chair au monde et les personnages du jeu, quelque soit la part que vous décidez d’en révélez, demeure une partie fondamentale du processus créatif. Pourquoi ce personnage-là a-t-il cette allure ? Que fait-il là où il se trouve ? Apprécie-t-il cet autre personnage ou le déteste-t-il ? Tous ces éléments scénaristiques font partie du contexte. Mais ce n’est pas parce que nous avons pensé à toutes les réponses que le joueur peut se poser à propos du monde dans lequel il évolue, qu’il faut nécessairement le forcer à en prendre connaissance. C’est un équilibre narratif à trouver. Mais en ce qui nous concerne, nous avons encore beaucoup d’histoire à raconter au sujet du monde Lost winds. Nous n’en sommes, pour ainsi dire, qu’à son première chapitre.
Propos recueillis par
Lost winds et Lost winds : Winter of the melodia – Wiiware
(Frontier Developement / Nintendo)