Au centre de l’œuvre du dessinateur David B. se trouve la maladie, celle d’un frère dont il a su recréer l’univers mental dans L’Ascension du Haut Mal. Retour, avec son auteur, sur une série hors norme qui fera date.
Chronic’art : Comment définiriez-vous l’Ascension du Haut Mal ?
David B : Comme un truc qui me fait du bien. On peut même parler de thérapie. Ce que j’écris dans le Haut Mal a mis vingt ans à sortir et j’ai souhaité articuler le récit autour de trois grands axes : ma relation avec mon frère, celle avec mes parents et la construction de mon propre imaginaire.
Précisément, comment s’est constitué votre univers ? A vous lire, on pense souvent à Nerval par exemple…
J’ai beaucoup lu, c’est vrai. Et puis nos parents nous amenaient voir de nombreuses expos, peintures ou dessins, parfois même des choses pas forcément compréhensibles pour les enfants, je pense à de la peinture conceptuelle. J’ai un très bon souvenir de mes rapports à ces découvertes artistiques. Je me souviens même que lorsque j’avais 14 ou 15 ans, mon père avait menti sur notre âge pour que nous puissions voir les Mille et une nuits de Pasolini. Un spectacle assez féerique, avec pas mal de filles nues, ce qui débride inévitablement l’imagination ! Quant à Nerval, il est vrai que son œuvre, son expérience m’intéressent. Sa maladie mentale, cet aspect non construit de l’œuvre, ce mélange entre récits de voyage, poésie un peu ésotérique, quête d’un livre, il y a quelque chose de « non mené à bien » dont je me sens proche, oui. Cette part de mythologie personnelle, foisonnante, tout cela m’intéresse. Mais je considère Les Incidents de la Nuit, mon œuvre la plus proche de Nerval dans l’esprit, comme une détente davantage que comme un véritable travail. Une détente par rapport au travail thérapeutique parfois dangereux que constitue le Haut mal.
Dangereux ?
Sûrement puisque depuis le troisième album, mes parents ne me parlent plus. Je n’éprouve pas de ressentiments à leur égard, mais j’ai voulu restituer les choses telles qu’elles m’apparaissaient lors de mon enfance et de mon adolescence. En même temps, l’Ascension m’a profondément changé, et pas seulement dans mon rapport avec les autres. Je suis apaisé. Physiquement je ressens moins de crispation lorsque je travaille. Avant les choses étaient dures à sortir, à la fois mentalement et techniquement. A présent je travaille beaucoup plus vite, un déclic s’est produit.
Quels sont vos sources d’inspiration en matière de graphisme ? On remarque en effet une sorte de syncrétisme ébouriffant entre l’art primitif, le surréalisme, un symbolisme omniprésent, certains traits qui font penser à Dürer, dont vous reprenez par exemple le cavalier de l’apocalypse…
En fait, ce qui m’intéresse dans les représentations artistiques, c’est une certaine simplification : de l’art primitif au réalisme soviétique, on est toujours dans l’art populaire. Pour le graphiste, il s’agit toujours d’esthétiser une forme, de transmettre des signes immédiatement compréhensibles. Représenter le mal sous la forme d’un monstre, l’homme l’a fait depuis la nuit des temps. Je m’inscris dans cette tradition là.
Et la cabalistique ?…
Non…Ce qui m’intéresse, c’est d’accumuler des symboles sans rapport entre eux. Il s’agit aussi de mettre le doigt sur le vide que véhiculent certaines conceptions. J’ai pris des symboles et je les assemble, cela se limite à ça.
A l’image de leurs couvertures, vos albums se font de plus en plus sombres. La série touche-t-elle à sa fin ?
En fait, il reste encore deux albums. Et puis le noir n’a pas complètement envahi mes livres, du moins pas encore…Je n’ai pas encore reconstitué tous les sentiments qui m’animaient à cette époque. C’est cela la quête du Haut Mal, restituer le changement plus global qui s’est opéré en moi, dont mon changement de prénom n’est qu’une manifestation. J’ai découvert plusieurs réalités qui ont détruit le monde idéal qui m’entourait. Ma famille et moi, on n’était peut-être pas des monstres, mais on était vraiment à part. Il s’agit d’analyser ça avec l’acquis que j’ai maintenant. Par exemple tout ce rapport à la guerre est encore lié à la maladie. Pour moi, mon frère s’était fait avoir par la maladie. Moi j’avais gagné. Le Haut Mal montre cette révélation progressive de la nature de la violence, à travers la figure de mon grand-père paternel qui était un militant d’extrême droite avant la Deuxième Guerre mondiale. La Libération personnifie pour moi le moment où la violence s’incarne réellement.
En tant que membre fondateur de l’Association (en compagnie de Jean-Christophe Menu, Lewis Trondheim, Stanislas, Mattt Konture et Killoffer), quels sont les auteurs dont vous vous sentez proche ?
Comme beaucoup de mes confrères, je lis beaucoup et je retiens peu. En fait, ma lecture se situe à deux niveaux. J’aime beaucoup certains auteurs issus de Bandes Dessinées parallèles, comme Max Andersson. Mais j’ai aussi aimé le dernier Bluberry par exemple. Je trouve que Giraud s’en tire très bien sans Charlier. J’aime aussi des gens comme Tardi ou Munoz.
Et dans la Bande Dessinée d’inspiration autobiographique ?
C’est simplement une démarche différente au sein de la Bande Dessinée. L’Association privilégie parfois l’expression du moi, mais sous des formes très différentes. Je ne crois pas, pour reprendre l’expression de Boucq, que l’Assoc se contente de publier les histoires « de types qui se brossent les dents » (référence à la première planche de L’Ascension du Haut-Mal). Simplement, la Bande Dessinée est un moyen d’expression, au même titre que l’écriture ou la peinture, pour parler de soi, avec tous les risques que cela comporte. Le Journal de Fabrice Neaud, par exemple, est un véritable exercice casse-gueule, avec un rythme qui fluctue, alors que je privilégie les scènes les plus significatives.
Quelle doit être la place de la Bande Dessinée aujourd’hui ?
Elle est un moyen d’élargir un champ de possibilités. L’Oubapo (Ouvroir de Bandes Dessinée Potentiel) en est un exemple, même si je n’y suis pas adhérent. Actuellement, je travaille sur un scénario pour Joan Sfar, et cette contrainte se suffit à elle-même. Je n’ai plus envie de me demander si c’est un art reconnu à sa juste valeur. Les auteurs qui se posent la question pensent sans doute davantage à eux-mêmes qu’à leur mode d’expression. La Bande Dessinée n’a pas besoin d’un star-system…
Propos recueillis par et
Lire &numero=47&num_rubrique=4″>la critique du Tome 4 de L’Ascension du Haut Mal