Dario Argento revient à ses premières amours ; le giallo, ce polar à l’italienne qu’il a porté à la perfection dans les années 70. Sorte de bilan du genre, Le Sang des innocents en convoque tous les codes : assassin maniaque, armes blanches, crimes particulièrement sanglants… Près de trente après son chef-d’oeuvre en la matière, « Les Frissons de l’angoisse », il clame haut et fort « Non, le giallo n’est pas mort ! ». Rencontre expresse avec un cinéaste pur et dur lors du dernier Festival de Gérardmer.
Chronic’art : Avec Le Sang des innocents vous renouez avec le giallo, votre genre de prédilection.
Dario Argento : Ca faisait longtemps que je n’avais pas tourné de giallo, j’ai pensé qu’il était temps d’en refaire un. Et, j’ai été ravi de retrouver cette atmosphère qui m’est si familière.
Ce retour aux sources est aussi l’occasion de retravailler avec les compositeurs des B.O. les plus emblématiques de votre cinéma (Suspiria, Les Frissons de l’angoisse) : Les Goblin.
Je les ai rencontrés, tous les quatre, durant l’écriture du film. Pour tout dire, ça n’a pas été facile de les convaincre, j’ai dû un peu les supplier, car ils sont aujourd’hui séparés. Malgré tout, ils ont accepté, pour moi, de reformer leur groupe. Ensuite on a parlé ensemble du scénario, ils sont venus sur le tournage, c’était bien.
Concrètement, la musique est-elle composée avant ou après le tournage ?
Plutôt avant. Les Goblin ont commencé à travailler en se basant sur mes story-board qui donnent une idée assez précise des scènes que je vais tourner.
Même ville, Turin, même lieu, le Teatro Carignano… en voyant votre film, on ne peut s’empêcher de penser aux Frissons de l’angoisse…
Oui, c’est parce que je vis dans mon cinéma . Pour moi le thème de la mémoire est primordial car elle est le propre de l’homme. Sans mémoire on est des bêtes. Il y a environ trois ans, je me suis rendu à Turin pour un festival. Finalement, je suis resté une semaine de plus pour me balader. Ca faisait des années que je n’étais pas venu et j’ai été frappé à quel point la ville avait changé. Les magnifiques demeures art déco où les riches organisaient de somptueuses fêtes sont maintenant à l’abandon. Leurs jardins ne sont plus du tout entretenus, elles tombent en ruines et sont squattés, pour la plupart, par des réfugiés clandestins. Les gens sont beaucoup plus stressés qu’avant, il y existe aussi un nombre impressionnant de sectes. Autrefois, on parlait de Turin comme d’un endroit magique, mais aujourd’hui ce n’est plus vraiment le cas. Ce changement drastique m’a alors donné envie de raconter à nouveau une histoire dans cette ville que j’ai eu du mal à reconnaître.
Vous représentez, en quelque sorte, la pureté du genre, alors qu’aujourd’hui le cinéma d’horreur se caractérise avant tout par une certaine ironie, une distanciation. On pourrait parler de syndrome « Scream ».
Le film que vous évoquez est déjà une antiquité, c’est un cinéma qui a très mal vieilli. Quand on revoit Scream, on trouve ça horrible ! C’étaient des films avant tout destinés aux enfants, aux teenagers, moi je fais du cinéma pour les adultes, c’est très différent. Les Américains jouent plus qu’autre chose alors qu’il ne faut pas avoir honte de ce que l’on fait, de montrer certaines choses. J’ai travaillé aux Etats-Unis mais jamais pour les studios car j’ai toujours refusé de faire ce type de cinéma anodin, celui qui perturbe le moins de monde possible, avant tout fait pour passer à la télévision.
Et pourtant, les premiers films de Wes Craven (le réalisateur de Scream), étaient extrêmement perturbants. On pense notamment à La Dernière maison sur la gauche…
C’est vrai, mais il est ensuite rentré dans le système. Et ça ne date pas d’hier, ça fait déjà 15 ou 20 ans. Quand j’ai senti qu’il m’arrivait la même chose aux Etats-Unis, j’ai préféré rentrer en Italie et faire des films comme bon me semblait.
Comment s’est passée votre rencontre avec Max von Sydow ?
C’était magnifique, c’est un maître tout simplement. Entre deux prises, il m’a beaucoup parlé du grand cinéaste Ingmar Bergman, de son travail avec lui.
Le rôle était-il écrit pour lui ?
Pas spécialement, mon personnage était avant tout imaginaire. Et un jour, durant le Festival de Cannes, alors que j’attendais l’avion à l’aéroport de Nice, je l’ai rencontré par hasard. Je me suis présenté, on a discuté et je lui ai parlé du scénario que j’étais en train d’écrire. Par la suite, je le lui ai envoyé et il a accepté de jouer dans mon film.
Certaines scènes ont-elles été difficiles à tourner ?
Oui, en particulier les vingt premières minutes du film, soit toute la scène qui se déroule dans le train. Car je voulais que ce soit extrêmement réaliste pour que le spectateur s’identifie totalement à cette femme poursuivie par le tueur. J’ai donc tourné dans un vrai train tout le temps en marche. Cette scène a nécessité à elle seule une semaine de tournage de nuit. Vue les conditions, on a rencontré pas mal de problèmes techniques, notamment au niveau de l’éclairage. Mais je crois que si la séquence est aussi efficace au final, c’est parce qu’elle a été faite dans des conditions absolument réelles, sans l’aide d’aucun truquage.
Vos films donnent lieu à un important travail sur la couleur, excepté le rouge évidemment. Quelles sont les dominantes chromatiques de celui-ci ?
Le bleu a une grande importance au début, mais ce que je voulais avant tout c’est que les couleurs sombres, effacés, prédominent. Il ne fallait surtout pas utiliser de tons trop vifs car je voulais montrer ce Turin rendu gris par les fumées, le smog
Propos recueillis par
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