On attendait le troisième tome du « Théâtre des opérations » de Maurice G. Dantec en janvier : lâché par Gallimard, le livre ne paraîtra pas de si tôt. Invité par le webzine « Ring » dans un amphi décoré comme une chapelle kitsch, l’écrivain s’explique sur sa mise au ban, sur sa conception de la littérature, sur les dernières étapes de son parcours intellectuel. Reportage.
Mardi 18 janvier 2005, 20h15. Une bonne centaine de pré-trentenaires se réchauffent dans un amphi de l’Ecole Supérieure de Gestion, à Paris : post-punks, étudiants, probables néo-réacs, lecteurs aguerris ou non, un public aussi hétéroclite que les références et le parcours de l’invité de la soirée : l’écrivain Maurice G. Dantec, qui sort pour la première fois en public de sa tanière québecoise depuis un petit moment. La manifestation a été programmée par le webzine Ring, auquel il a récemment donné plusieurs papiers. Sous le plafond kitch de l’amphithéâtre, peint aux couleurs du zodiaque, les organisateurs ont installé une table ornée de bougies et d’un crucifix. Ambiance… David Kersan, rédacteur en chef de Ring récemment promu agent littéraire du romancier, parcourt les travées en chapeau et redingote sombre, complètement exalté. Attente. Dantec arrive finalement avec une grosse heure de retard, lunettes noires et cheveux longs ; Kersan invite le public à se lever pour applaudir le maître, un emphatique morceau de Laibach résonne. Bref, le ton de la soirée est donné : entre ludisme et mysticisme, ce sera plus une rencontre-hommage qu’une rencontre-débat, au risque de décevoir les quelques sceptiques arrivés là par hasard. Premiers mots : « Vous aussi, futurs écrivains sûrement en germe dans la salle, le mur de la critique officielle vous bloquera la route comme à moi ». Dantec a de quoi être en colère : avoir publié les deux premiers tomes de son journal, Le Théâtre des opérations, Gallimard a refusé de publier le troisième volet, intitulé American black box. Flammarion, un temps pressenti pour reprendre le flambeau, a finalement choisi de laisser tomber. Motif invoqué : juridiquement impubliable. Faute d’avoir pu en lire le moindre extrait, on est obligé de les croire sur parole. Au final, la seule actu de Dantec, c’est donc qu’il n’y a pas d’actu Dantec. Une situation qui aurait mérité un beau débat entre auteurs, éditeurs et journalistes : sur le flyer, Ring annonce la présence de l’écrivain Philippe Muray, de l’éditeur Raphaël Sorin (hier chez Flammarion, aujourd’hui chez Fayard, éditeur de Houellebecq et excellent connaisseur du milieu), de l’agitateur Jean-Louis Costes, du musicien Richard Pinhas et du cinéaste Gaspar Noé. Finalement, aucun n’a pris la parole (on ne sait même pas s’ils étaient dans la salle). Résultat : Dantec n’est entouré que d’une dizaine de proches de Ring, bras croisés derrière lui, à mi-chemin entre les apôtres qui assistent à la cène et la milice personnelle. Drôle de table ronde, un peu trop carrée.
Le Tdo 3 est dans les limbes
Sérieusement décontenancé par les attaques d’une partie de la presse au cours de ces derniers mois (Libération, Le Nouvel Observateur, Arnaud Viviant et compagnie), Dantec a en tout cas pu en se réchauffer à la chaleur d’un public largement acquis à sa cause.
Il est surtout venu tenter de s’expliquer sur le lynchage médiatique que lui a réservé le petit monde parisien il y a un an, après son échange de mails avec un groupuscule nationaliste. Le refus par Gallimard puis par Flammarion de publier la suite du Tdo en raison de propos jugés « diffamatoires » par les services juridiques en découle en droite ligne. Première info solide de la soirée : a priori, l’annulation est prolongée et American black box ne sortira pas en France jusqu’à nouvel ordre. Deuxième info : le prochain roman de Dantec, Cosmos Inc., sera quant à lui bel et bien publié en septembre prochain, mais chez un nouvel éditeur, Albin Michel. Pour calmer le jeu, Dantec parle longuement de son évolution intellectuelle, entre parents ex-cocos et débats enflammés au Québec, où il a élu domicile depuis quelques années. Avec un visible appétit de discussion, il revient sur sa manière d’appréhender la post-modernité à la lumière de Deleuze ou d’Origène, ne manquant pas de préciser au passage les implications de sa récente conversion au catholicisme. Parcours atypique, références encyclopédiques, sens du paradoxe, refus du consensus : n’est-ce pas finalement ce qui dérange le plus chez lui, ainsi que le demande malicieusement un membre du public ? Bonne question : la vraie raison de la fatwa dont il a été victime est peut-être ailleurs que dans sa brève correspondance avec des agités d’extrême-droite. Ses positions, comme il le rappelle sans cesse au cours de la rencontre, sont avant tout celles d’un écrivain catholique. Point barre. Quant à ses choix politiques pro-américains, il semble bien prêt à en parler, voire à en découdre avec tout adversaire suffisamment costaud sur le sujet. Il n’y en avait pas dans la salle ce soir-là. A écouter les explications de l’écrivain, il semble qu’il n’y ait plus d’autre raison désormais de justifier sa mise à l’écart que l’ignorance ou la caricature : placé dans un contexte où il n’est pas condamné par avance et où on lui laisse la possibilité de s’expliquer tranquillement, Maurice G. Dantec fait toujours preuve d’une complexité d’approche époustouflante et d’un humour corrosif. D’un autre côté, on ne peut que rester perplexe devant l’espèce de « ghettoïsation » dans laquelle il s’enlise lui-même en se laissant ériger en icône pour franges agitées de la contre-culture, au risque d’être un jour définitivement cantonné à la marge. Alors même qu’il a manifestement encore beaucoup à dire et à faire pour obliger la littérature (un « art télépathique », dit-il) à penser notre monde à la mesure de ses dangers et de ses enjeux. Rendez-vous en septembre, pour juger par vous-même.
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P.S. : Dernière minute : au lendemain de la mise en ligne de cet article, David Kersan, agent littéraire de Maurice G. Dantec et organisateur de la soirée, nous fait savoir que l’écrivain a annoncé par erreur le nom de l’éditeur Albin Michel. Dantec a pourtant cité Albin Michel à plusieurs reprises comme futur éditeur de son roman Cosmos Inc., sans être jamais repris par personne. Dans le doute mais avec une idée sur la question, nous ajoutons ce post-scriptum au compte-rendu et attendons la suite…