Quels ont été les moments déterminants de votre carrière ?
Hormis ma rencontre avec Antonio Gadès ? Eh bien justement Sueños flamencos qui m’a ouvert les portes de Garnier. Pour la première fois de toute son histoire, l’Opéra de Paris accueillait un ballet flamenco. Une révolution qui a donné une dignité, une véritable légitimité à ce genre. Je n’oublierai jamais l’émotion ressentie quand le rideau est tombé : partout dans la salle, dans les coulisses, des ondes de bonheur ! Je le dis et le répète sans basse flatterie : danser devant le public parisien est vraiment fantastique. J’espère que je n’attendrai pas cinq ans pour revenir.
Vous dites souvent que le flamenco a beaucoup évolué ces dix dernières années ?
C’est indéniable. Techniquement, ce n’est pas comparable : les ballets sont plus stylisés, moins anarchiques. On travaille davantage la lumière, les chorégraphies, etc. Mieux : aujourd’hui, les festivals de danse affichent systématiquement dans leur programmation un spectacle de flamenco, ce qui n’était absolument pas le cas avant. Je pense que c’est un peu comme le jazz, il sera un jour reconnu sur le plan international. Le jazz est également une musique particulière, liée aux fibres, aux tripes. La route a été longue mais on y arrive peu à peu.
Qu’auriez-vous fait si vous n’aviez pas choisi la danse ?
Le piège ! Je ne vois pas… En tout cas, certainement rien qui ne soit artistique. L’informatique, toutes ces machines avec des boutons partout, quel cauchemar ! Ah si ! L’écriture, je pense.
Comment se présente ce nouveau spectacle ?
J’ai repris trois chorégraphies de mes anciens ballets, je les ai adaptées au regard de cette décennie en les agrémentant de pièces nouvelles. Quand les choses sont bien faites, elles passent la barrière du temps. Al Compas del Tiempo a été conçu ainsi : à la pulsation naturelle, à sa juste mesure, au rythme du temps, de son temps. J’ai décidé de revenir au rideau noir. Je voulais de la danse pure, délestée de tout effet inutile. Sur scène, je suis accompagnée de huit danseurs, trois guitaristes et trois chanteurs. Je veille à tout (les lumières, la chorégraphie, la musique, etc.), mais je danserai moins que de coutume : mes danseurs sont excellents ! Les costumes ont été confectionnés à Séville (les racines, toujours les racines). Ce spectacle a été créé à Jerez en 1999 et a reçu un très bon accueil du public. J’espère que les Parisiens l’apprécieront tout autant.
Vous le présentez comme « un ballet sans concession, sans subterfuges qui entraînent la danse vers un néant de trépidations frénétiques »…
C’est ainsi que je conçois le flamenco. Je suis un peu agacée par la modernité à tout prix. Je n’ai pas désiré d’argument, de thème particulier. La plupart des spectacles actuels de flamenco racontent des histoires qui émoussent l’émotion, sauf le respect que je dois à ces artistes ! Je souhaite offrir aux spectateurs de la danse délestée de tout effet. Du flamenco à l’état pur.
Etes-vous toujours sûre du soutien du public ?
Non, c’est vraiment un nouveau défi à chaque fois. J’ai peur, je suis en permanence taraudée par le doute. N’étant plus très jeune, je me demande systématiquement si ça va plaire.
Combien de temps vous prend une création ?
Deux mois, deux mois et demi maximum.
Pensez-vous déjà à votre futur ballet ?
Bien sûr, sans cesse.
Le plaisir de danser peut-il durer toute une vie ?
Oh oui alors ! C’est toute la magie de cet art : si vous êtes passionné, il vous possède corps et âme une vie durant.
Propos recueillis par
Théâtre Mogador
25, rue Mogador – Paris 9e
Renseignements : 01 53 32 32 00
Du 14 septembre au 1er octobre 2000
(photo : César Lucas)