Comme d’habitude, Côté Court, le festival du court métrage de Pantin (du 9 au 18 juin 2000) aura apporté son lot de surprises et d’enthousiasmes. Retrouvailles avec de jeunes cinéastes dont les noms circulent depuis quelques éditions, découvertes de nouveaux talents : la sélection 2000 a confirmé l’intégrité du festival et la cohérence de sa politique d’auteurs.
Au fil des années, Côté Court aura réussi à s’imposer comme l’un des rendez-vous essentiels du court métrage en France. Loin des battages de Clermont-Ferrand, de son marché du film chaotique où les acheteurs de chaînes internationales se bousculent pour dénicher la perle rare, la programmation de Pantin a su, pendant ses 9 ans d’existence, se concentrer sur l’essentiel : une sélection exigeante qui se distingue par la découverte et le suivi de jeunes auteurs autant dans le cadre de la compétition que des toujours stimulants panoramas français et européens, un travail d’exploration des cinématographies étrangères (cette année la Corée du Sud, qui après Cannes a indéniablement le vent en poupe) et une démarche de réflexion et de dialogues entre cinéastes, comédiens et spectateurs. Ces dernières notions d’échange et de discussion n’étant pas les moindres puisque les réalisateurs présents ainsi que leur équipe ont ici plus qu’ailleurs peut-être, en raison de la configuration même des lieux et de la convivialité de la manifestation, l’occasion d’entrer en contact avec leur public et de confronter les points de vue. Impossible de s’y tromper, c’est bien de cinéma dont il s’agit ici et point de divertissement.
A l’image de la ligne éditoriale globale où sont privilégiées les thématiques intimes, les questionnements narratifs et formels, la rétrospective Gérard Courant aura permis de revenir sur l’oeuvre-puzzle d’un curieux bonhomme qui accumule depuis 1978 les portraits en plan fixe sans son d’une durée de 3 mn 20 qu’il a baptisé Cinématons. 2 000 films, souvent rares et forcément inégaux, parfois inventifs, parfois décevants mais qui, tel un album d’images immuable, renvoient sous forme de clin d’œil à des personnalités chères ayant accepté de se prêter au jeu (Juliet Berto, Jean-Luc Godard, Sandrine Bonnaire, Robert Kramer, etc. – la liste est longue). Sur le principe arrêté d’une bobine (pellicule) pour une bobine (visage du sujet), les variantes sont quasi infinies même si peut-être l’échec ou la réussite du Cinématon en question est plus à mettre au crédit de celui qui se trouve devant la caméra que de celui qui la tient. Le systématisme acharné de Gérard Courant, dans lequel s’affrontent sans doute une part de satisfaction et une dose d’humilité, se hisse parfois difficilement au-delà de l’anecdotique mais c’est sa gratuité même, sa futilité souvent qui finissent par le rendre singulier voire attachant selon les cas.
Côté découvertes, le Festival de Pantin a couronné d’un Grand Prix Avec Marinette, premier film d’une jeune comédienne, Blandine Lenoir. Déjà remarquée à Belfort et à Pantin, cette subtile évocation des rapports de deux frères se déroule en une journée au cours de laquelle deux adolescents s’occupent de leur mère battue par un père alcoolique et la remplacent auprès des plus petits de la famille. Au terme du récit, l’un d’eux annonce à l’autre sa décision de quitter le village breton pour tenter sa chance à Paris avec sa petite amie, Marinette. Outre d’évidentes qualités d’écriture qui s’épanouissent dans la description juste et nourrie des liens fraternels, la réalisatrice tire le meilleur de l’espace qu’elle appréhende et dirige ses comédiens avec finesse, obtenant de deux interprètes non professionnels de parfaites prestations. Autre heureuse surprise : Une Rue dans sa longueur, injustement boudé par les différents jurys. Un premier film atypique qui laisse présager le meilleur de Thomas Salvador. En l’espace de 8 minutes, il parvient à instaurer une pulsation poétique et peu courante à son œuvre. Parcours initiatique secret, chemin d’apprentissage opaque en trois rencontres, Une Rue dans sa longueur n’a cure des conventions du court. Point de chute au récit, aucune concession aux normes narratives, le film joue de sa durée avec insolence et brio et conserve de bout en bout une portion de mystère, envoûtante et bien peu commune. On songe à Tati dans la façon dont l’humour occupe peu à peu le cadre, surgi du banal, du quotidien, du presque rien. Voilà en tout cas un cinéaste à suivre.
Dans la catégorie des auteurs s’étant déjà taillés une réputation dans les milieux festivaliers, notons la présence de l’énigmatique Du soleil plein les gueux, mis en scène par Alain Guiraudie (Tout droit jusqu’au matin, La Force des choses). Un peu moins d’une heure de délire verbal d’une ébouriffante créativité, une chorégraphie folle et aérienne structurent et déstructurent sans cesse ce western hors normes, où la Nouvelle Frontière se dessine dans les Causses, aux confins de l’Absurde. La liberté avec laquelle Guiraudie s’exprime, histrionnant tout azimut, en faisant le pari d’une audace de tous les instants sans pour autant sombrer dans la provocation, en dit long sur son potentiel de cinéaste. Exclu du palmarès (pour cause de trop furieuse inspiration ?), le film reste un des événements du festival et devrait légitimement bénéficier d’une sortie nationale. Sans vouloir prétendre à l’exhaustivité, il convient de citer encore quelques noms : celui de Joël Brisse qui avec La Pomme, la figue et l’amande confirme le bien que l’on pensait de lui ; ceux d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu dont La Brèche de Roland atteste le talent des cinéastes, leur acuité cinématographique et un humour très personnel ; celui d’Alain-Paul Mallard, enfin, qui avec L’Origine de la tendresse doit beaucoup à Pierre Michon et à ses Vies minuscules ainsi qu’à son interprète, la remarquable Isabelle Nanty.
Deux mots enfin sur Adolescents, diffusé dans le cadre du panorama français et qui aurait largement trouvé sa place en compétition officielle. Sur un sujet plébiscité par les courts métragistes, Valérie Minetto s’éloigne des sentiers battus et des stéréotypes, filmant avec grâce et un joli sens de l’ellipse les corps et les émois d’une poignée d’adolescents provinciaux. Pas d’émotion facile, aucune affectation : ce croisement de différentes interrogations pubères ne perd jamais de sa force ni de son ampleur grâce notamment à l’usage inspiré de la vidéo numérique. Un beau moment de cinéma.
Palmarès :
Grand Prix Côté Court
Avec Marinette de Blandine Lenoir
Prix spécial du jury
L’Etre-chair de Christèle Frémont
Mention du Jury
La Brèche de Roland d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
Prix d’interprétation féminine
Emmanuelle Gabet dans Bon week-end de Laurette Polmanss
Prix d’interprétation masculine
Cyril et Grégory Roudaut dans Avec Marinette de Blandine Lenoir
Prix de la jeunesse
Faux contact de Eric Jameux
Mention du jury Jeune
L’Embellie de Jean-Baptiste Erecca
Prix du public
La Brèche de Roland d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu
Prix de la presse
L’Origine de la tendresse d’Alain-Paul Mallard
Mention du jury Presse
Le Sourire d’Alice de Laurence Rebouillon