Avril aura été l’occasion, pour les cinéphiles qui ont la chance d’habiter le sud-ouest et les passionnés qui ont décidé de parcourir la France pour se rendre à Perpignan, d’assister à une riche rétrospective du cinéma africain. Les projections étaient accompagnées de plusieurs rencontres faisant le point sur l’histoire et l’actualité de la cinématographie de ce continent. Les « images d’Afrique » nous parviennent ce mois à travers trois longs métrages de fiction sortis le même jour.
Entre un cinéma américain outrageusement majoritaire et un cinéma français riche et diversifié, les films en provenance du reste du monde ne parviennent que difficilement à toucher le public national. Toutefois, la situation française est probablement l’une des plus enviables, compte tenu du nombre de films étrangers réussissant à sortir sur les écrans des pays voisins. Une certaine multiculturalité se trouve en partie reflétée dans les cinémas français (essentiellement parisiens hélas), due notamment aux co-productions françaises avec les pays africains ou européens. Cela dit, il y a bien longtemps (peut-être même est-ce la première fois) que trois films africains n’avaient pas été à l’affiche en même temps. A quoi il faut rajouter plusieurs manifestations autour des cinématographies multiples de ce continent (rencontres à Perpignan, à Paris…).
Sorti en 1993, Le Ballon d’or met en scène un jeune passionné de football, doué d’un sens du but « à la Papin », dont le parcours semé d’embûches le mènera sur le chemin de la gloire. A l’heure des préparatifs de la Coupe du Monde, la ressortie de ce film tombe à pic. Loin des thèmes chers au cinéma d’Afrique francophone produit ces vingt dernières années (opposition modernité/tradition, ville/campagne, ancrage dans la tradition orale des contes…), Cheik Doukouré a réalisé une comédie efficace, bien rythmée et probablement l’un des meilleurs films traitant du sport pratiqué par tous en Afrique : le football. Curieusement, l’ultime scène du film qui se présente comme une fin heureuse met le doigt sur l’un des problèmes majeurs du continent : la fuite des cerveaux, ici des pieds bénis par les Dieux du football. L’enfant est engagé par le club prestigieux de Saint-Etienne qui assurera sa formation, ce qui ne peut être assumé par son pays…
Tableau ferraille a circulé pendant plus d’un an dans différents festivals avant de sortir dans quelques salles en France. Daam, interprété par le comédien chanteur Ismaïl Lo, revient dans son village près de Dakar. Grâce à ses diplômes et à une totale intégrité, il réussit à gravir les échelons du pouvoir avant d’être trahi par ses proches qui ont comploté contre lui.
Réalisateur de cinq longs métrages et de quatre courts métrages de fiction ou de documentaire, Moussa Sene Absa a réussi à éviter le piège de la dénonciation de la corruption, traité dans une multitude de films de manière démonstrative qui ne permettent pas à l’oeuvre de dépasser son seul message. Ici, malgré un certain simplisme, les passages chantés et une construction dramatique bien maîtrisée expliquent probablement la réussite globale de l’entreprise.
Auteur d’une quinzaine de films (courts et longs métrages de documentaire), la réalisatrice Safi Faye, figure emblématique du cinéma sénégalais à qui le Festival de Femmes de Créteil vient de rendre hommage, situe son nouveau film sur le terrain souvent balisé de la légende. Mossane est une surperbe jeune femme promise à son cousin. Mais une légende veut que tous les deux siècles, naisse une fille d’une beauté telle, qu’elle ne puisse connaître qu’un destin tragique. Ce film peut résumer en grande partie les caractéristiques de nombreux films venant du continent africain.
On y retrouve en effet l’opposition tradition / modernité, ville / campagne. La ville corruptrice est incarnée par l’amie dévergondée de Mossane qui trompe son mari et qui introduit le modèle occidental par la lecture discrète de revues. Docteur en ethnologie, Safi Faye n’échappe pas aux passages obligés de nombreux films qui nous présentent de manière démonstrative la vie au village dans la brousse (le griot, les sacrifices, la présence de génies, le possédé libéré par le guérisseur…). Desservi par une mise en scène souvent maladroite, Mossane tente de dénoncer le sort réservé aux femmes africaines, en utilisant, hélas, une structure classique et sans grande inventivité.
Par leurs qualités et paradoxalement aussi par leurs défauts, ces trois films tournés sur le continent africain proposent une approche du cinéma peu présente sur les écrans français, bénéfique à l’ensemble de la cinématographie, car la multiplicité des discours contribue à la construction d’une réflexion complexe portée sur l’acte cinématographique.
Mossane de Safi Faye, avec Magou Seck, Isseu Niang et Abou Camara. Sénégal. 1h45. Sortie le 8 avril 1998.
Tableau Ferraille de Moussa Sene Absa, avec Ismaïl Lo, Ndèye Fatou Ndaw. Sénégal. 1h30. Sortie le 8 avril 1998.
Le Ballon d’or de Cheik Doukoure, avec Aboubacar Sidiki Soumah, Salif Keita, Habib Hammoud. France. 1993. 1h30. Sortie le 8 avril 1998.