En douze ans, Chalon s’est bâti une solide réputation dans le monde du théâtre de rue. C’est LE Festival (avec Aurillac en août) à ne pas rater. Les compagnies affluent et sont partagées, comme dans tout festival à succès, en « in » et « off ». D’une durée de seulement quatre jours, Chalon dans la rue se vit les yeux et les oreilles grands ouverts, aux aguets.
Le spectacle est partout : dans la rue, dans un coin de cour, de jardin, sous un chapiteau. Les travestissements sont plus étonnants les uns que les autres; les passants sont harangués, bousculés par une marquise et ses laquais, par des araignées géantes, ils se trouvent nez à nez avec des ânes… Dans la masse des compagnies présentes, chacun tente de trouver l’idée la plus surprenante, la plus farfelue.
La rue vit aux rythmes de ces personnages qui ne font que passer ou qui profitent de la moindre occasion pour prendre à partie quelques festivaliers et les entraîner dans leur sillage. Les artistes de la rue semblent savoir tout faire et leurs créations le prouvent. Inclassables, elles mêlent théâtre, cirque, musique, chorégraphie, arts plastiques, vidéo… De nombreuses compagnies se définissent d’ailleurs comme des Collectifs d’artistes de formations diverses. Cet éclectisme est mis au service d’un théâtre qui se veut populaire (c’est la moindre des choses pour un festival des arts de la rue!); d’ailleurs le public réagit, joue, en redemande. Les enfants ne se privent pas d’interpeller les comédiens, qui rebondissent sur leurs interventions. Après quatre journées bien remplies, on se dit que les spectacles ne sont peut-être pas tous aboutis, mais qu’ils regorgent d’énergie et de créativité. Chalon donne envie d’être curieux.
La programmation dans sa quasi totalité propose des spectacles gratuits ? Soit, notre curiosité n’aura pas de limite. On guette, on pioche, on se laisse aller à la découverte, parfois aux retrouvailles, et on aime ça…
Le Trianon Nigremont (Animé par Calixte de Nigremont)
A chalon, la journée du curieux commence avec Calixte de Nigremont qui anime chaque matin des rencontres avec les artistes de Chalon dans la rue (in et off confondus). Cet aristocrate prétentiard reçoit en grand apparat dans son salon tendu de rouge où s’accumulent les portraits de ses aïeux. Calixte, virtuose de la répartie, est à l’aise dans cet exercice périlleux (deux heures d’improvisation). Il a réponse à tout, malmène gentiment ses invités et son public.
Les festivaliers se pressent chaque jour plus nombreux à son Trianon, pour ne manquer ni la « pétoche » du jour (le transfert des cendres de Dario Moreno au Panthéon a recueilli 750 signatures) ni le « compliment » appuyé, adressé aux directeurs du festival, Pierre Layac et Jacques Quentin. Ce rendez-vous nous familiarise avec les artistes, parfois penauds devant le micro de Calixte. Mais l’ambiance est chaleureuse et les interventions des spectateurs sont toujours bien accueillies par le maître des lieux. Il donne la parole aux uns et aux autres, même s’il se moque allègrement de leurs petites faiblesses.
Bref, Calixte a su instaurer un rendez-vous quotidien incontournable, à la fois pour le public et pour les compagnies. Espérons que nous retrouverons l’aristocrate aussi inspiré l’année prochaine !
Utopium Théâtre « Le Château »
Lorsque des festivaliers se rencontrent à Chalon, chacun conseille forcément à l’autre d’aller voir l’Utopium Theatre. La curiosité nous y a donc poussées. Sur le ton de la parodie, cinq comédiens interprètent des dizaines de personnages. Nous traversons toutes les époques, du moyen-âge aux années 80, avec pour seul lien un château hanté, décor unique de la pièce. Le sort jeté par des servantes malveillantes de l’époque médiévale influe sur le comportement de tous les visiteurs suivants. Ceci est prétexte à des débordements délirants.
On rit énormément de l’audace de l’Utopium. A coups d’anachronismes ravageurs, les comédiens enchaînent les clins d’oeil à une culture populaire de télévision, de cinéma et de variétés. Tout y passe: « Drôles de dames« , le Mondial 98, le Titanic, « Elephant man« , la musique disco… Les gags s’enchaînent à un rythme effréné, pour le plus grand plaisir du public. « Les Utopium », comme on les appelle à Chalon, organisent un fourre-tout burlesque et leur énergie démesurée entraînerait même le plus réticent des spectateurs.
Le Château est un divertissement tout public et l’Utopium le revendique. Ne boudons pas notre plaisir.
KomplexKapharnaüM (à l’Abattoir) – Récif, interprété par Les Passagers
Les risques du « théâtre de recherche », pourrait être la conclusion apportée à ces deux spectacles. L’an dernier, l’Abattoir avait été, dans une ambiance chaleureuse aux accents de foire, le rendez-vous obligé de tous les insomniques.. Rien de tout cela cette année. Certes, l’Abattoir: « lieu de Résidence et de Fabrication pour le théâtre de rue » donne la possibilité toute l’année à de nombreuses compagnies de réaliser leurs projets. On en retrouve certains, pendant le festival Chalon dans la rue.
Mais le KXKM, qui organisait les nuits, n’a-t-il pas confondu ce lieu avec un laboratoire d’expériences théâtrales obscures? Ne comprenant pas ce qu’on voulait nous montrer, nous nous sommes senties exclues du jeu. Citons l’exemple de ces hommes en blanc rampant sur le sol, leurs échasses aux pieds, entre des téléviseurs diffusant des images de paysages lunaires. Du petit lait pour les détracteurs du théâtre de rue… C’est d’autant plus décevant que l’ambition de ces nuits (la rencontre d’une cinquantaine d’artistes pluridisciplinaires) était pleine de promesses.
Pleine de promesses était aussi l’idée de départ d’un autre spectacle du festival: Récif. Les Passagers évoluent sur une scène verticale de 15 mètres carrés, accrochés à des câbles. Au cours de leurs déplacements, certains peignent à grands coups de brosse cette « scène-toile », qui sera achevée à l’issue du festival. Pendant les premières minutes, c’est étonnant et magique. Puis le temps passe et l’idée s’épuise. On espère encore, quelques images fugitives nous touchent, mais l’ensemble est cahotique et les textes, malheureusement en français, ne font que confirmer le sentiment de vide qui se dégage de ce spectacle. Resteront quelques images surprenantes, quelques belles sensations de légèreté, de suspension.
Délices Dada – La Donation Schroeder
Voilà un de ces spectacles pleins de surprises, que l’on va voir parce qu’ « on en parle beaucoup ». En effet, on en parle beaucoup, et c’est justifié. C’est un spectacle déambulatoire, composé de plusieurs mini-scènes que des groupes de spectateurs découvrent, guidés par trois comédiens.
Chaque scène est un petit laboratoire occupé par un scientifique. Les engins sont bizarres, les expériences aussi: on nous parle de greffe végétale sur un humain, d’archéologie olfactive, d’auto-hypnose partielle, etc… Passées les premières minutes de perplexité, les spectateurs comprennent qu’on les fait naviguer dans l’absurdité la plus totale et les rires fusent. Le fil conducteur est lui-même loufoque: madame Schroeder, avant de mourir, aurait inscrit dans son testament qu’elle désirait faire une donation à la ville de Chalon-sur-Saône. Cette donation est précisément le groupe de chercheurs. Après avoir rendu visite à l’ensemble des « scientifiques », les spectateurs sont invités à voter (on leur remet à l’entrée enveloppe et bulletin) pour ou contre la Donation Schroeder. On hésite ici à parler de « spectacle ». Le public est totalement intégré à l’histoire (les trois guides dialoguent avec lui) et les personnages sont si « vrais » que l’on oublie qu’il s’agit de comédiens. Tout tient grâce à leur jeu parfait.
La Donation Schroeder est une grande réussite, pleine d’imagination, qui nous entraîne de surprise en surprise. Les spectateurs entrent dans une autre dimension et se laissent guider avec délice. Les Dada sont une compagnie à ne pas manquer.
Corine Girieud et Valérie Valade
Le Festival des arts de la rue de Chalon-sur-Saône s’est déroulé du 23 au 26 juillet 1998. Rendez-vous l’année prochaine…