Depuis le 23 janvier, le festival Capital Danse déploie les nuances changeantes d’un art en perpétuelle mutation. Tour d’horizon des stars et des compagnies présentes.
Bonne nouvelle : un festival de danse contemporaine pointe son affiche à Paris. Son nom : Capital Danse. Un titre finement trouvé, qui fait jouer la capitale avec une somme non négligeable de talents chorégraphiques contrastés. Du groupe Kubilaï Khan Investigations piloté par Frank Micheletti à l’expérience Harmaat de Fabrice Lambert en passant par la figure emblématique de la danse contemporaine, Carolyn Carlson, la troupe colombienne de Corpus Erigo ou la compagnie de butô japonais Tokyo Gui-èn-kan, cette manifestation, programmée par Pierre Barnier, opère des rapprochements actuellement inusités dans le monde de la danse, où les nouvelles tendances se taillent la part du lion.
On est dans le coup ou on ne l’est pas.
Dans le coup donc, mais résolument « out » -c’est là son charme-, Capital Danse avance sur un fil plus fin en convoquant des artistes actuellement à la pointe de la recherche, mais peu vus à Paris, comme Kubilaï Khan Investigations, tout en faisant la part belle à une star telle Carolyn Carlson.
L’idée de ce festival soutenu par la Mairie de Paris est née suite à une étude autour de la vocation du Théâtre de Chaillot, démontrant que la diffusion de la danse à Paris souffre d’un manque crucial de lieux. « Hors le Théâtre de la Ville, point de survie, résume Pierre Barnier. L’offre de danse est ridicule par rapport au nombre de théâtres parisiens. La Mairie de Paris a donc décidé de lancer cette opération avec le Théâtre Silvia Monfort, dont le plateau se prête bien aux spectacles chorégraphiques. Les cinq pièces devaient d’abord s’égrener tout au long de la saison, mais j’ai pensé que de les resserrer sur un temps limité pouvait avoir plus d’impact. »
Dont acte. A raison de deux représentations par spectacle, le festival court sur un peu plus de deux semaines.
Le collectif d’artistes Kubilaï Khan Investigations inaugurait l’opération le 23 janvier dernier avec une création intitulée Le Manioc de Dambotoka n’est pas fait pour les gens édentés. En scène, un DJ, un batteur, un percussionniste, un vidéaste et deux danseurs : Frank Micheletti lui-même, toujours aussi à vif sous sa tignasse rasta, et sa complice japonaise, Chiharu Mamiya. Ils se partagent l’espace, non pour créer un illusoire métissage, mais une vraie cohabitation, où la puissance et la singularité de chacun éclatent. Le tour de force de Kubilaï Khan Investigations, qui ne se définit pas pour rien comme un comptoir d’échanges artistiques, est d’articuler avec une lisibilité saisissante l’individu et le collectif dans un spectacle où tout finit par faire corps. C’est la touche Kubilaï qui réussit, avec une grâce unique, à maîtriser le désordre, tout en demeurant de bout en bout imprévisible. Le travail de vidéo en direct est remarquable : images de Micheletti retransmises sur grand écran et comme rongées par des jets de couleurs. Le Manioc de Dambotoka réussit à enraciner son identité sur un terrain plastique, chorégraphique et musical.
Tout aussi stimulante, dans un registre plus ludique, la recherche du vidéaste Sean Bacon pour le spectacle Nobody, never mind, du chorégraphe Fabrice Lambert et son groupe l’Expérience Harmaat. Un des trois interprètes est équipé d’une paire de lunettes-caméscope qui filme l’action, projetée en temps réel sur un écran. D’où un effet d’angles incongrus, de bascules bizarres, qui démultiplient la danse de façon vertigineuse en lui faisant perdre pied. Quant à la gestuelle de Fabrice Lambert, ex-interprète de Carolyn Carlson et Catherine Diverrès, elle fascine par sa souplesse acrobatique, son sens de l’urgence à fleur de peau et sa capacité à être graphique et charnelle. Le somptueux montage photo de Philippe Munda qui introduit la pièce, sorte de zapping de fragments de corps en noir et blanc, témoigne aussi du talent de Lambert à savoir s’entourer d’artistes novateurs.
A cette soirée française succédait une pièce intitulée Poliptico sobre Piel y Madera de la compagnie Corpus Erigo, repérée par Pierre Barnier lors du festival de Bogota 2000. « C’était la sensation de la manifestation, une des plus importantes au monde, deux fois plus grosse qu’Avignon. Il s’agit d’un spectacle autour de l’œuvre du peintre colombien Luis Caballero, qui vécut trente ans à Paris. Le corps nu y est toujours présent, mais de façon très douce, très poétique. Rien à voir avec la nudité crue, anatomique des chorégraphes français actuels. J’ai donc pensé qu’il était opportun de proposer une autre vision du corps nu aujourd’hui. Quant à la troupe japonaise de Taketeru Kudo, un jeune chorégraphe qui se revendique du maître Ijikata, il défend une ligne chorégraphique grotesque et violente. Du butô fondamental, avec, sur scène, des mètres cubes de paille et des poissons morts. » Entre les deux se glissera la soirée Spiritual Warriors de Carolyn Carlson. Soit quatre solos conçus pour quatre interprètes triés sur le volet : l’Israélienne Talia Paz, le Finlandais Tero Saarinen, le Japonais Yukata Takei et le Tibétain Tenzin Gönpo. La chorégraphe interprétera également un solo autour du thème de l’eau, l’une de ses sources permanentes d’inspiration. Gageons que ces guerriers de l’esprit sauront porter haut la danse sensuelle et spirituelle de Carlson.
Théâtre Silvia Monfort
106, rue Brancion
Paris 15e
Renseignements : 01 56 08 33 89
Jusqu’au 7 février 2001