Oeuvres difficiles autant que populaires, les « Metal gear solid » occupent une place à part dans la production vidéoludique. Avant d’être des spy-simulators, ils sont surtout la plate-forme d’expression privilégiée de Hideo Kojima, père fondateur de la saga. Rencontre avec une véritable idole du jeu vidéo, à l’occasion de la sortie de MGS 3.
Chronic’art : A travers votre travail, vous n’avez de cesse de rappeler au joueur qu’il est en train de jouer à un jeu vidéo, que ce soit de façon directe (le volume du téléviseur dans Snatcher) ou plus subtile (les discussions cinéma avec Paramedic dans MGS 3). Quelle importance accordez-vous au lien virtuel / réel ?
Hideo Kojima : Un jeu, ça n’est pas seulement le logiciel. Le « jeu » englobe le logiciel, le matériel dont il dépend, la manette, la boîte, le manuel, la carte mémoire, même la télé. Utiliser tous ces éléments permet de produire un impact sur l’environnement quotidien du joueur. La représentation à l’écran et l’environnement réel se confondent pour intégrer le jeu. Contrairement à un film, un jeu ne se limite pas à l’écran.
Observez-vous des différences entre la façon dont les Américains, les Européens et les Asiatiques abordent vos titres ?
Leur façon de jouer est différente et nous ajustons le niveau de difficulté en conséquence. Aux Etats-Unis, il semble que les joueurs ne prennent pas la peine de changer souvent de camouflage. Au lieu de quoi, ils laissent Snake se balader à moitié nu pendant la majeure partie du jeu. Les Européens changent régulièrement de camouflage, du moins c’est ce que nous avons observé sur les versions de démonstration au cours des différents salons de jeux vidéo. Au Japon, peut-être en raison de Pokemon, beaucoup de fans se concentrent sur la capture d’animaux. Bien que la mission reste la même, les gens l’entreprennent différemment suivant leur pays et leur culture. En Corée du Sud, les fans adorent le scénario où « deux amis finissent par s’entretuer » et 90% des joueurs qui ont terminé le jeu avouent avoir pleuré à la fin.
L’inspiration Bondienne saute aux yeux dès le générique de Snake eater. Quel sont vos goûts en matière de James Bond ?
Pour la période Sean Connery, j’ai une préférence pour Bons baisers de Russie, Goldfinger et Opération tonnerre. J’aime aussi Au service de Sa Majesté avec George Lazenby. Concernant Roger Moore, l’acteur de James Bond avec lequel j’ai grandi, j’apprécie particulièrement L’Espion qui m’aimait.
Plus généralement, pouvez-vous nous confier une référence cinématographique particulièrement difficile à déceler dans Snake eater ?
Voyons… La mort et le cri du Shagohod vers la fin du jeu sont en référence directe à Duel de Steven Spielberg.
L’échelle est sans conteste l’un des moments forts de Snake eater. Pouvez-vous nous parler de sa conception, de l’effet que vous avez cherché à produire sur le joueur ?
L’idée derrière cette séquence était d’avoir une échelle impossible à grimper, une échelle que le joueur emprunte sans jamais en voir le bout.
Il s’agit avant tout d’une épreuve destinée à tester l’amour du joueur pour MGS. Si le joueur abandonne et décide de rebrousser chemin,il ne verra jamais la fin du jeu. Mais si le joueur aime vraiment MGS, alors, quoi qu’il arrive, il continue. Et les échelles sont indissociables de Donkey Kong, c’est un peu une sorte d’hommage au travail de Monsieur Miyamoto. On peut entendre le thème de Snake eater durant cette séquence. En tout, on l’entendra quatre fois dans le jeu. Au moment du générique, à l’échelle, dans la grotte et pendant le combat final. Il s’agit de préparer le joueur pour qu’il lie une relation particulière à ce thème : au moment du duel final, l’effet produit s’en trouve décuplé.
On vous sait père d’un petit garçon. La paternité a-t-elle eu une influence sur votre vision du jeu vidéo ?
Lorsque j’étais enfant, mes parents et mes professeurs considéraient la TV et les manga comme des ennemis naturels de l’éducation. Des organisations éducatives sont parvenues à faire censurer certains manga et programmes télé en prétextant qu’ils avaient une influence négative. Je pense pourtant que ces divertissements m’ont beaucoup appris lorsque j’étais gamin. Certaines choses concernant la société, la vie, et le monde dont l’éducation scolaire ne fait jamais mention. Actuellement, ce sont les jeux qui sont dans la ligne de mire. Les parents ne jouent pas et considèrent les jeux vidéo comme anti-éducatifs sous prétexte qu’il s’agit d’outils ludiques. Je suis d’accord pour dire qu’il existe des « mauvais jeux ». Tout comme il existe des « bons jeux », c’est la même chose qu’avec « la mauvaise éducation » ou « le mauvais cinéma ». Passer son temps à jouer plutôt qu’à étudier est bien entendu néfaste, mais je suis persuadé qu’il y a des choses à apprendre des jeux vidéo. En tant que père, je m’efforce de créer des « bons jeux ». La création, ça n’est pas seulement du business. Lorsque vous considérez leur influence, vos oeuvres ont également un devoir social. Cette conviction a été renforcée depuis la naissance de mon fils.
Lorsqu’ils choisissent d’emprunter des éléments à Metal gear solid, la plupart des développeurs s’en tiennent à l’aspect infiltration pour laisser de côté l’aspect le plus personnel de votre travail, comme la relation joueur / personnage. Etes-vous déçu de voir à quel point l’aspect le plus réflexif de Metal gear solid peine à faire école ?
Tout le monde à ses goûts, ses forces et ses faiblesses. Mon Metal gear solid, pour faire passer efficacement la notion d’infiltration, possède un contexte mondial, une histoire, des personnages et de nombreuses blagues en contrepoint de l’action. Mais la tension de l’infiltration est le point crucial de mon travail. Toutefois, pour générer cette tension, je pense que tous les éléments que je viens de citer sont nécessaires. Je cherche un point d’équilibre entre l’humour et le suspense, un peu comme le cinéma d’Hitchcock. Mais c’est ma philosophie, ma méthode. Si d’autres développeurs pensent que tout cela est inutile, ça ne me pose aucun problème. Simplement, Metal gear solid est ma définition personnelle du jeu d’infiltration.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Metal gear solid 3 : Snake eater