En-dehors des films les plus courus (« Traffic » de Soderbergh ou l’Ours d’or de Chéreau), la Berlinale 2001 offrait quelques alternatives réjouissantes. A condition de bien chercher…
Parmi les festivals internationaux de prestige, Berlin est souvent considéré comme le vilain petit canard. A juste titre vu la qualité très inégale des films proposés en compétition, celle-ci assurant sans convaincre le grand écart entre cinéma radical et populisme formaté (Le Fate Ignoranti de Ferzan Ozpetek, Little Senegal de Rachid Bouchareb ou encore la présence de Patrice Leconte avec Félix et Lola). Moins exigeant que ses alter ego cannois et vénitiens, Moritz de Haldern dirigeait sa Berlinale pour la dernière fois après 25 ans de bons et loyaux services. Bien que ses choix de programmation aient souvent laissé à désirer, on peut au moins lui reconnaître un talent : celui d’organisateur. Car le Festival de Berlin est un modèle de convivialité et d’ouverture. Des cinéphiles aux journalistes en passant par les simples curieux, tous les publics ont à peu près les mêmes chances d’accéder aux salles de la Potsdamer Platz, contrairement à l’odieuse logique hiérarchique qui règne sur la Croisette. Et si chacun doit se lever tôt pour espérer assister aux projections désirées, c’est un véritable bonheur de voir les cinémas remplis de spectateurs enthousiastes. Tout cela sans stress, sans précipitation et surtout sans le regard hautain des mieux accrédités.
Vian relu et (bien) corrigé
Venons en aux films, disséminés à travers de multiples sélections tendance fourre-tout, excepté les impeccables hommages rendus à Fritz Lang (intégrale avec accompagnements musicaux pour les films muets) et à Kirk Douglas venu saluer les festivaliers le temps d’une conférence de presse. La Compétition n’était certes pas le maillon fort de la manifestation, mais on pouvait y trouver au moins deux œuvres surprenantes : La Cienaga de Lucrecia Martel et Chloé de Go Riju. Le premier est un essai argentin à la narration quasi expérimentale, travaillant avec un indéniable talent formaliste la pesanteur et la fatigue des corps On y suit les vacances de deux familles amies soumises à un mois de février particulièrement marqué par la chaleur et l’humidité. Un climat générateur de tension et de réactions mystérieuses. Dans La Cienaga, des phénomènes a priori anodins (une cuite, un accident domestique, un jeu d’enfants près des marécages) prennent une dimension inquiétante, à la limite du fantastique, vers un monde peuplé de pulsions morbides ou incestueuses, de fables horrifiques et de fausses apparitions mystiques.
Adaptation japonaise de L’Ecume des jours (!), Chloé est le nouveau film issu des productions J-Works, société emblématique de l’embellie grandissante du cinéma nippon, et à qui l’on doit déjà le foisonnant Eureka de Shinji Aoyama. On retrouve d’ailleurs chez Go Riju la même ampleur dans les cadrages et les mouvements de caméra ; travellings glissants ou tremblements doux qui concourent à une impression de limpidité générale, voire de flottement maîtrisé. L’aspect superficiel du roman (métaphores hénaurmes, imagerie pseudo poétique), s’il n’est pas totalement exclu de la relecture, est du moins atténué par une mise en scène aussi sobre qu’inspirée. Du coup, on s’étonne d’être ému par ce récit abracadabrant d’un amour sous la menace d’une étrange maladie. Kuroe et Kotaro vivent en effet une passion rare jusqu’au jour où la jeune fille découvre qu’elle développe un nénuphar au sein de ses voies respiratoires, parasite qui la condamne à court terme.
Baignant dans une lumière splendide, Chloé bouleverse surtout lors de sa première partie, frémissements d’une rencontre amoureuse vécue comme un miracle permanent.
Courtney Love confirmée
Du Japon également, mais figurant dans la section Panorama, Jinsei Tsuji présentait l’impressionnant Hotoke, peut-être le plus beau film du festival. Là encore, la naïveté du scénario est transcendée par une étrangeté sous-jacente qui pervertit peu à peu les données d’un mélodrame classique. Adolescent secret et hypersensible, Rai (Shinji Takeda, héros de Tokyo eyes vu aussi dans le Tabou d’Oshima) braconne le poisson sous la houlette de son aîné, mauvais garçon mais chef de gang respecté. Amoureux d’une jolie aveugle qui, forcément, lui préfère son frère, Rai passe son temps libre à construire un Bouddha géant en ferraille, dans l’espoir de le voir un jour se soulever et détruire le monde… Mais la catharsis attendue surgira plutôt du côté des humains, avec une suite d’événements cruels et violents, initiés par les pulsions de personnages à la pureté souvent trompeuse. C’est justement à partir du moment où les masques tombent que le cinéma de Jinsi Tsuji prend toute sa démesure lyrique, enchaînant avec une implacable maestria les meurtres et suicides barbares sur fond de paysages idylliques et de romantisme absolu.
Les Américains se sont quant à eux distingués avec deux films aux antipodes. Projeté dans le cadre du Forum berlinois, The American nightmare est un documentaire pertinent et même assez touchant pour certains cinéphiles à jamais marqués par la vague de chefs-d’œuvre horrifiques qui déferla sur les Etats-Unis et le Canada entre 1969 et 1979. A travers son essai, Adam Simon met en parallèle des séquences de films de Romero ou Carpenter avec les grands bouleversements subis par leur pays (la guerre du Vietnam ou la conquête de la liberté sexuelle). Des entretiens avec les maîtres du genre et une poignée de théoriciens confirment l’influence de ces événements sur la genèse de Zombie, Massacre à la tronçonneuse ou encore du Parasite Murders de Cronenberg. Mais au-delà de son analyse plutôt fine, The American nightmare fonctionne un peu comme une madeleine proustienne, nous rappelant non sans nostalgie notre adolescence passée à mater des vidéos subversives, à la fois effrayés et émerveillés par ces images de l’excès.
Finissons sur une note moins noire avec une comédie douce-amère rehaussée par les présences conjointes de Lili Taylor et Courtney Love. Réalisé par le novice Bob Gosse, Julie Johnson (section Panorama) est avant tout une histoire de révolution intérieure vécue par le personnage titre, alias la toujours excellente Lili Taylor. Mère au foyer ordinaire, celle-ci décide un jour de se prendre en main et de « devenir quelqu’un ». Passionnée de sciences, Julie va larguer mari et aspirateur pour de sérieuses études d’informatique et d’astronomie. Comme si cela ne suffisait pas, notre héroïne s’aperçoit qu’elle n’est pas insensible aux appas de sa meilleure amie (Courtney Love)… Malgré son scénario un peu chargé, Julie Johnson est un beau portrait de femme marginalisée par son évolution intellectuelle. C’est aussi un grand film sur deux actrices au faîte de leur talent, immergées dans leurs personnages tout en ignorant la tentation du cabotinage. Constat devenu rare, et qui rend ces performances d’autant plus poignantes.
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