Nail Tolliday est l’un des deux membres de Bent, groupe électronique de Nottingham, qui sort ces jours-ci son premier album, Programmed to love, entre Addntoxeries légères et house moogesque. La face DJ et programmation du duo a répondu à nos questions.
Chronic’art : Vous avez enregistré votre album en home-studio ?
Nail Tolliday : Pour certains titres, oui ; pour les autres, nous avons utilisé l’argent dispensé par EMI pour enregistrer dans de vrais studios. L’album a été enregistré en plusieurs parties, en deux ans. A la fin nous avions 60-70 morceaux parmi lesquels ceux de l’album. Ce disque est donc une sorte de Best of…
Sur quel matériel travaillez-vous ?
Au départ, on travaillait simplement avec un sampler et un ordinateur. Depuis, nous nous sommes mis à collectionner les vieux synthés, Korg, Moog, Roland : tout ce qui est vieux, mais qui sonne bien. Aujourd’hui, on les collectionne les synthés ! On en a entre 30, 50 et un paquet de boîtes à rythmes, plus quelques guitares et basses. Nous sommes vraiment parti de rien et je suis assez satisfait de pouvoir désormais exploiter tout ce matériel incroyable.
Sur le disque, il y beaucoup de nappes de synthétiseurs, très atmosphériques.
Depuis que je suis môme j’adore la musique synthétique : Depeche Mode, Jean Michel Jarre, Human League. Mais notre album ne contient pas que des sons synthétiques, il y a des sons organiques également, du piano, de la guitare. On aime bien effectivement les musiques ambient, les trucs planants à la Brian Eno.
Il y a d’ailleurs un morceau qui semble venir d’un aéroport…
Oui, c’est vrai, c’est très connoté, mais on aime bien ces ambiances, à la fois très froides, précises et harmonieuses. Ca peut être de la musique de Chill-out ou une musique qu’on écouterait comme on peut écouter le bruit de la pluie tomber derrière la fenêtre ouverte, avec une radio grésillant dans une pièce à côté. Les gens font ce qu’ils veulent avec notre musique.
Comment définirais-tu votre musique : de la « modern lounge music » ? Ca rappelle parfois la musique exotica, easy-listening…
Oui, ça m’arrive d’écouter ce genre de musique. Mais il s’agit plutôt de « Muzak » : la plupart des samples de l’album proviennent de ces horribles disques vinyles qu’on trouve dans les brocantes. Des réinterprétations au Moog ou à l’orchestre de standards de la pop, très mal arrangés. Je n’écoute pas vraiment ces disques, je m’en sers pour les sampler.
Votre manière d’utiliser les samples semble ressortir parfois d’un travail de mémoire : leur côté ancien surgissant comme des souvenirs enfouis.
Oui, mais ce n’est pas de la nostalgie. On a utilisé ce sample de Nana Mouskouri, dans I love my man plus pour sa mélodie, sa texture sonore, que pour théoriser un rapport au passé.
Ce morceau nous fait penser au Child d’Alex Gopher. Tu connais ?
Non, non, je ne crois pas.
Les vocaux sont très soul, très suaves, et ça rentre en contraste avec la musique synthétique et rythmée.
C’était toute l’idée : utiliser des samples de disques « terribles », sensés être de mauvais goût et en faire des morceaux mélodieux, en les sortant de leur contexte. La plupart des gens utilisent les samples comme excuse pour ne pas écrire de la musique, ils pompent James Brown ou Parliament et vivent de ça. Nous essayons nous d’utiliser les samples de manière un peu plus créative, en optant pour la difficulté. J’aime bien cette idée d’utiliser des disques de seconde main et de les transformer, plutôt que de louer un orchestre de cordes. Tous nos samples sont sales, ils grésillent, mais ils collent tous parfaitement aux morceaux. Nous samplons de la merde et essayons de l’embellir…
Comment procédez-vous sur scène pour reproduire ce foisonnement de textures sonores ?
On n’aura pas trop de matériel sur scène : un séquencer, un sampler, quelques synthés. Et puis nous serons deux. Parce que c’est plutôt ennuyeux de voir deux types penchés sur des machines pendant une heure, il y aura des projections vidéos derrière nous : la musique sera comme le soundtracks des images. Il y aura plusieurs chanteuses également qui défileront.
Tu te sers du Net pour découvrir de nouvelles choses en musique ?
J’ai toujours été plus intéressé par l’objet original que représente un produit, que ce soit un disque ou un film, que par sa reproduction. On m’avait proposé de voir le dernier Star wars sur un PC et j’ai refusé. Parce que je veux voir le film au cinéma, sur grand écran. Même chose pour un disque : j’aime bien attendre jusqu’à ce que le disque sorte, et courir ensuite au magasin de disques pour l’acheter, le décellophaner, le poser sur mon tourne-disque, et l’écouter enfin. Tandis que sur Napster, je ne ferais que cliquer sur la souris et écouter les morceaux à toute vitesse devant mon écran, sans jamais les apprécier vraiment. Evidemment, pour les gens qui vivent très loin et qui n’ont pas forcément accès aux disques, c’est bien. De même que pour dénicher des raretés : l’autre jour j’ai téléchargé un morceau de Kurt Cobain, âgé de sept ans, chantant dans la maison de sa mère. Marrant.
Propos recueillis par
Lire notre chronique de Programmed to love