Cette année encore, Belfort s’est affirmé comme le berceau de jeunes cinéastes prometteurs, partagés entre agitation sociale et expérimentations tous azimuts. Compte-rendu de l’édition 2001 du festival.

Premier long métrage de Rabah Ameur-Zaïmeche, Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ? fut sans conteste la révélation du festival. Situé en Seine-Saint-Denis, le film met en scène le retour de Kamel, interprété par le réalisateur lui-même, dans sa cité après un long séjour en prison. Tout en s’inscrivant dans la tradition des films de banlieue par les thèmes abordés (l’ennui dans la zone, les deals et trafics en tous genres, le racisme…), Ameur-Zaïmeche insuffle une énergie nouvelle au genre notamment grâce à une direction d’acteurs impressionnante et un parler qui ne sonne jamais djeune. Très loin de l’activisme révolutionnaire de son aîné, Ma 6-T va cracker de Jean-François Richet, Wesh wesh nous glace par son constat d’une banlieue en voie de décomposition, sans aucune lueur d’espoir.

La fiction est moins le fort de Free style, qui aurait pu se contenter d’être un beau documentaire sur la Guest Clique, groupe de rappeurs marseillais mené par Faf La Rage et Sista Micky, dont les impros séditieuses et les déambulations phocéennes suffisent à nourrir chaque image. C’est lorsque la réalisatrice Caroline Chomienne s’attache à leurs répétitions ou filme une folle chorégraphie hip-hop dans les rues de Marseille que Free style trouve son sujet : le flow urbain, les gestes et la tchatche d’une jeunesse précise. Le reste (petites frappes, trafic de drogue, violences fascistes) sonne faux et relève davantage d’une tradition gangsta à bout de souffle (voir Comme un aimant) que d’une inspiration profonde.

Vies hantées

Très proche de l’esthétique de son précédent long métrage, Les Solitaires, le nouvel opus de Jean-Paul Civeyrac, Fantômes, se situe une nouvelle fois dans les intérieurs intimistes d’appartements filmés en DV. La petitesse des moyens n’empêche pourtant pas le cinéaste de concevoir un récit fantastique évoquant un monde hanté par les figures du passé et perturbé par une mystérieuse histoire de disparitions en série. Partant du postulat que derrière chaque manifestation surnaturelle se cache un drame humain, Civeyrac nous offre au bout du compte un magnifique film d’amour et de deuil dans lequel la chair dénudée exerce sur nous un pouvoir à la fois érotique et mortifère. Un magnifique ballet des corps porté par la présence émouvante de son interprète principal, le jeune Guillaume Verdier (déjà présent dans le premier film de Civeyrac Ni d’Eve, ni d’Adam), sur lequel on ne manquera pas de revenir lors de sa sortie en salles le 20 février 2002.
Appartenant à la même génération de cinéastes chinois que Jia Zhang-ke, Wang Chao partage avec son compatriote la vision cynique de son pays dont il dénonce dans L’Orphelin d’Anyang les méthodes réactionnaires et répressives. Plus que son histoire un peu trop exemplaire (une prostituée confie son enfant à un chômeur qui accepte de s’en occuper en échange d’argent ; ils finissent par former une éphémère famille), on retiendra du film son âpre mise en scène, la plupart du temps exempte de tout dialogue. En privilégiant ainsi les gestes à la parole qui serait redondante, Wang Chao se rapproche des méthodes d’un Tsai Ming-liang ou d’un Hou Hsiao-hsien sans atteindre toutefois les sommets de leurs dispositifs respectifs.
Le cinéma allemand n’est pas mort, mais les distributeurs ne font pas leur boulot. Loin des dérives pseudo-branchées d’un Tom Tykwer (Cours Lola, cours), il existe une oasis d’auteurs purs et durs, hors-modes, hors-normes, et dont les films, fort logiquement, ne franchissent pas les frontières de leur pays. C’est le cas d’Angela Schanelec qui, avec Sophie est partie pour six mois, décrit l’été d’un groupe de trentenaires. Malgré une série d’événements importants (la mort d’un père, la naissance d’un amour), le film ne montre que des visages impassibles, des mots transparents, des corps fatigués. Une existence dépeinte comme une nature morte via une mise en scène distanciée dont la pointe de radicalisme glacé réussit à irriguer ce petit monde, à le rendre intriguant à force de figurations mornes et de marasmes sans larmes.

Prozac-land

Avec le haïku Là ce jour, Thomas Salvador confirme sa faculté à capter le monde de la façon la plus intense qui soit. Trois minutes et moins de dix plans suffisent à l’auteur d’Une Rue dans sa longueur (Grand Prix de l’édition belfortaine 2000) pour exprimer l’ampleur de son cinéma. Rien, trois fois rien (un jeune homme noué à une pousse verte observe la vie qui l’entoure) et pourtant, la sensation bouleversante d’être soudain confronté à l’essence d’un lieu, face au mystère de la nature ou d’un immeuble. Le regard de Thomas Salvador, son acuité magnifique promettent encore de grands films courts (ou longs ?).
Belfort était aussi l’occasion de découvrir le nouveau court métrage du cinéaste expérimental Jean-Claude Rousseau (Les Antiquités de Rome, La Vallée close). Dans Keep in touch, Rousseau reprend des images tournées lors d’un ancien séjour aux Etats-Unis pour nous offrir un récit de voyage en solitaire. Attablé devant une feuille blanche, le cinéaste se filme dans l’attente d’une inspiration, feuillète un magazine porno en écoutant le message téléphonique d’une possible (ou ancienne) conquête, regarde par la fenêtre. Les vues de l’extérieur interviennent alors comme autant de pistes éventuelles, somptueuses images d’une nature enneigée et d’un ciel en colère, ou descriptif anodin des voitures du parking de l’hôtel. D’une rare beauté, les plans de Keep in touch forment alors une litanie mélancolique de l’artiste voué au labeur isolé.
L’expérience la plus étrange et marquante de ce festival reste sans doute la projection du documenteur de Arnaud des Pallières, Disneyland, mon vieux pays natal. Répondant à une commande d’Arte, le réalisateur de Drancy avenir entreprend un voyage à EuroDisney et en revient avec un terrifiant cauchemar vidéo. Ce qui intéresse des Pallières, ce n’est pas la machine capitaliste et ses aberrations (ça, c’est le lot de Zone interdite) mais les symptômes délétères de ses propres fantasmes, les images d’une névrose collective. A travers une série de mini-récits dépressifs scandés par une langue malade, Dingo devient un pauvre hère en proie aux pires tourments existentiels et les manèges, attractions, et autres cohortes d’enfants effrayés semblent peupler un univers morbide, où il n’est question que de désespoir et de suicide, de perdition et de monstruosité. Bienvenue en enfer.

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Palmarès 2001

Grand Prix du long métrage français :
Fantômes de Jean-Paul Civeyrac
Grand Prix du long métrage étranger :
L’Orphelin d’Anyang de Wang Chao
Grand Prix du court métrage français :
Keep in touch de Jean-Claude Rousseau
Grand Prix du court métrage étranger :
Deadly boring de Henry Moore Selder (mention spéciale à O Inventario de Natal de Miguel Gomes)
Prix Gérard Frot-Coutaz :
Ce Vieux rêve qui bouge d’Alain Guiraudie
Prix Léo Scheer d’aide à la distribution :
Wesh wesh qu’est-ce qui se passe ? de Rabah Ameur-Zaïmeche
Grand Prix du film documentaire :
Asta E de Thomas Ciulei
Prix du public (long métrage) :
Sept chants de la toundra de M. Lehmuskallio et A.Lapsui
Prix du public (court métrage) :
Le Secret de Lucie de Louise Thermes
Prix du public (documentaire) :
Paroles de Bibs de Jocelyne Lemaire-Darnaud