Histoire de rompre avec une étrange consigne qui voudrait qu’on taise le nom de ceux qu’on attaque et qu’on laisse passer les entorses à l’intelligence, Chronic’Art a décidé de s’en prendre nommément, et pour ainsi dire violemment, à tous ceux qui prostituent la littérature dans les journaux ou à la télévision.
Nous nous sommes longtemps retenus en se disant que ces éventuelles diatribes ne pourraient que servir leurs destinataires, ou que le genre trop peu pratiqué de la charge frontale était peut-être vain. Mais ces hésitations ne mènent pas bien loin puisque tous les protagonistes du milieu restent très inamovibles ; puisque ces façons de petits arrangements entre amis, de collusions flagrantes et de bavardages déversés en dépit du bon goût desservent superbement la littérature ; puisque, au bout du compte, on finit par se lasser énormément. Autant donc renouer avec la bonne vieille méthode de la confrontation directe ou, mieux, de la dénonciation systématique. Il n’est bien entendu pas question ici de s’ériger en quelconques justiciers (quoique…), mais bien de libérer nos consciences d’un poids exaspérant, celui du silence consterné. Peut-être s’agit-il aussi d’un moyen ultime pour extirper le débat de ce très consistant mollard d’inepties dont on l’asperge. Au programme de la quinzaine, trois caresses expressément dédiées à quelques-uns de nos sympathiques, mais non moins affligeants, confrères.
Nicolas Rey nous parle
Sans doute devrions-nous ressentir une once de compassion pour Nicolas Rey et son public, ses opinions, ses poses veloutées, voire même cet ultime maintien cérébral que la biologie persiste à lui concéder courageusement, malgré l’indicible bêtise dont toute sa personne est enduite. Suite à la ponte fluide de deux petits chefs d’œuvre à la coquille délicate (Treize minutes et Mémoire courte ; ce dernier nous ayant montré du doigt des « avions qui décollent comme des adolescents ») il était logique de conclure que Nicolas Rey n’était, après tout, qu’un nuage de tempérament posé dans le lointain, un condensé de cette niaiserie cynique chère aux trentenaires perdus dans le monde vertical des adultes. C’était méconnaître l’analyste bouillonnant, l’amoureux des livres, l’éclaireur philosophique humblement retiré derrière le dandy enfariné. Car le malheureux tient chronique à l’émission de Franz-Olivier Giesbert (dont le regard intransigeant, la production romanesque et la haine bien connue de toute démagogie ne peuvent qu’imposer un garde-à-vous collectif), Cuisine et dépendances, en compagnie d’une bande d’écoliers enragés ivres de polémique et de justice. Après que l’un d’eux, Charles Pépin, eut envoyé la première salve intellectuelle (une sorte de raccourci historique tiré d’un quelconque manuel pour castors juniors), Rey le jeune mit tout le monde par terre en se fendant d’une retentissante analyse sur le désir chez Michel Houellebecq.
Ferme, le geste énergique, Rey inventoria tout un tas de choses pertinentes sur le sujet pour conclure, une main plaquée sur le coffret de l’abécédaire de Gilles Deleuze, que la solution se trouvait là-dedans, à la lettre D comme « désir », mais oui mesdames. Puis, sous l’œil paternaliste d’un Giesbert bien stupéfait, il fixa une des chroniqueuses et l’avertit que la désirer, elle, ne signifiait rien d’autre, pour Gilles Deleuze et lui-même, que désirer ses origines exotiques, ses vêtements, peut-être même son chien. Rey fit une pause pour, nous avertit son patron, mieux revenir nous expliquer, cette fois-ci, le Voyage au bout de la nuit d’un certain Céline. La post-production, cependant, ne jugea pas nécessaire de nous infliger pareil supplice car elle coupa, dans un souci d’économie bien compréhensible, l’intervention de notre décadent de service. Qu’elle en soit remerciée ; elle a, par ce geste, constitué l’élément le plus pertinent de cette plaisanterie télévisuelle.
La conjuration des imbéciles
Nous avions parcouru, il y a quelques mois, Le Toboggan, un épais tas de pages insipides « écrit » par un énième épigone d’Ellis, Fabrice Pliskin. Nous en étions sortis (c’est le mot) tout à fait affligés, mais aussi tout à fait attendris devant tant de maladresses dans l’art de la copie. Ce même Pliskin vient hélas de nous gratifier*, non pas d’un roman (soyez rassurés), mais d’une espèce de petit papelard en forme de tapis roulant où viennent défiler les plus consternants poncifs, et les plus audacieux raccourcis, sur quelques auteurs hâtivement estampillés « White Trash ». Autant dire des écrivains à abattre, puisque le monde se divise, chez ce type de petits plumitifs philistins, en méchants réactionnaires et en gentils humanistes. Dans la tête bien étroite de ces énergumènes donc, le réactionnaire est un vague concept élastique dans lequel on fourre à peu près tous ceux qui ne pensent pas comme eux. Egalitariste (ça évite de différencier, donc de réfléchir), ce qualificatif associe et confond, avec une audace qui confine au comique, des auteurs aussi différents que Muray, Dantec, Houellebecq ou Soral. Leur point commun ? Ce sont tous, nous dit-on, des hétéros beaufs blancs racistes, tétanisés par le changement, détestant le progrès, la gauche, les femmes, les noirs, les musulmans et bien sûr les juifs. Ultime fulgurance (il en est capable), Pliskin nous informe que tous ces abominables personnages ont pour archétype le non moins abominable rappeur américain Eminem. Fin de la démonstration. Pliskin est bien repu.
En attendant qu’il digère ses énormités, on est en droit de se demander si notre brillant journaliste a lu et compris ces trois auteurs incriminés, s’il a pu, le temps d’un miracle improbable, faire preuve de discernement. La restitution grossière de ses lectures nous autorise à en douter très sérieusement.
* aidé en cette lourde tâche par Aude Lancelin, dans « Le Nouvels obs »
Le cercle de nos amis
Cela aurait peut-être été presque émouvant, si ça n’avait pas été aussi ridicule : le très distingué directeur de la rédaction du Monde noyant une larme dans sa moustache sur le plateau de Guillaume Durand, lequel n’a pu que se réjouir de parvenir à chasser sur les plates-bandes d’un Delarue avec un si prestigieux invité. La scène aurait pu n’être que pathétique : à ces poignantes effusions s’ajoutait toutefois le poil de collusion et de complicité éhontée sans lequel on ne reconnaîtrait plus le petit monde du journalisme littéraire parisien. Les joues d’Edwy Plenel seraient peut-être restées sèches si l’inimitable Josyane Savigneau, surveillante en chef du dortoir éditorial, n’avait pas tant tiré sur la corde lacrymale tout en se répandant de bonne grâce en salamalecs mielleux et courbettes hypocrites -l’émotif patron de presse, faut-il le rappeler, est son employeur direct. Le sixième arrondissement, où son empire sur le monde des livres (avec et sans majuscule) rend jaloux autant qu’il fascine, ne tarda pas à être gagné de ces rumeurs dont il a le secret : la direction de France 2, où on ne rigole pas avec la déontologie, n’aurait que moyennement apprécié la comédie. L’emploi d’un conditionnel prudent, indice quasi-infaillible du défaut d’authenticité d’une information, tend à laisser penser qu’il n’y a là rien d’autre que l’une de ces contrevérités qu’on lance dans le flot médiatique en se disant que, perdues parmi leurs semblables, elles feront tant bien que mal leur chemin. On s’en fait malgré tout le relais en songeant qu’il n’y a guère d’arme plus élégante face à la stupéfiante effronterie de la classe au pouvoir, laquelle -ce n’est d’ailleurs pas une nouveauté, c’est le moins que l’on puisse dire- pousse le cynisme jusqu’à ne plus faire l’effort de déguiser un peu son manège autarcique. Le Monde des Livres, où l’on a fini par se dire que puisque Le Figaro le fait, pourquoi pas nous, offre ainsi une pleine page à Philippe Sollers pour la parution de son ouvrage bimestriel (un texte sur Mozart, cette fois, à moins qu’il n’ait déjà publié autre chose) : la chose n’étonnerait même plus si, soucieux de préserver cette façade de vertu et d’honnêteté qui fait la réputation du reste du quotidien, il n’était fait mention de ce que l’auteur « est éditorialiste associé au Monde« . Madame Savigneau, ministresse du livre bas de gamme, se fera bien sûr un plaisir de baiser copieusement la chevalière de notre dix-huitiémiste érudit lorsque Durand, encore lui, l’invitera sur le plateau de Campus, encore là. On retrouvera Sollers deux jours plus tard dans le Figaro Magazine, où l’on admirera son astucieuse manière de vendre son livre dans tous les contextes (une série de textes sur « ce qui a changé » depuis le 11 septembre -Sollers : « Entendre un jour jouer du Mozart sur Al Jazira serait un miracle »). On y apprendra aussi que les Quintettes pour piano et cordes « inédits » dont il fait un fromage dans son texte sont en réalité les deux Quatuors pour piano, ce que ni Alain Duault, ni Dominique Fernandez n’ont relevé dans le Monde. Telle n’était probablement pas la consigne. Quelques pages plus loin encore : des rumeurs quant aux Prix littéraires. Sollers préparerait son entrée au jury du Renaudot. Le Médicis Essai irait à… Edwy Plenel. Tout tourne très rond à Paris. Les cercles sont faits pour rester fermés, non ?
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